Déguster des barres énergétiques à base de poudre de grillon dans une classe de l’UQAM? Pourquoi pas! Nous assistons en ce lundi matin à une séance bien spéciale du cours de deuxième cycle intitulé Marketing responsable, donné par Fabien Durif. Le professeur du Département de marketing de l’ESG UQAM souhaite d’abord la bienvenue à ses invités, les étudiants de l’Université de Sherbrooke et leur professeure, Caroline Boivin. Ces derniers ont accepté de participer à un challenge entrepreneurial contre leurs vis-à-vis de l’ESG.
Fabien Durif présente ensuite William Walker, président et cofondateur de Naak, une jeune compagnie québécoise aspirant à démocratiser la consommation d’insectes. Une semaine avant la séance, les deux professeurs ont révélé à leurs étudiants le nom de l’entreprise qui ferait l’objet de la compétition. Ils leur ont fourni un article scientifique et deux articles d’actualité afin d’alimenter leurs réflexions.
Des barres performantes
«Qui avait entendu parler de Naak avant le cours?», demande William Walker en guise de préambule. Sept mains se lèvent. Le jeune homme d’affaires à la mine sympathique explique brièvement les débuts de son entreprise. Adeptes de triathlon, Walker et son ami Minh-Anh Pham s’intéressaient à l’impact de leur alimentation sur leurs performances. «Aucun produit sur le marché ne répondait à nos critères: performance, santé et respect de l’environnement», précise l’athlète.
Après quelques recherches, ils décident de créer leurs propres barres énergétiques à base de poudre de grillon. «Les insectes sont une excellente source de protéines complètes et leur élevage nécessite nettement moins de ressources que les sources de protéines traditionnelles», explique William Walker. Pour une quantité égale de protéines, illustre-t-il, l’élevage de grillons consomme 2000 fois moins d’eau que celle du bœuf, libère 100 fois moins de gaz à effet de serre et gaspille 12 fois moins de nourriture. «La poudre de grillon est deux fois plus protéinée que le bœuf, contient 1,5 fois plus de calcium que le lait et deux fois plus de fer que les épinards», ajoute-t-il.
En collaboration avec des nutritionnistes et des chefs-cuisiniers, les deux entrepreneurs ont commencé à produire les barres et à les emballer de façon artisanale. Pendant l’été 2016, ils ont participé à de nombreux événements sportifs pour faire connaître leur produit. «Nous avons vendu plus de 4000 barres, raconte William Walker, jusqu’à être dans l’impossibilité d’augmenter notre capacité de production.» Fin 2016, ils ont lancé une campagne de socio-financement sur la plateforme tabarrenaak.com. Le jeu de mots a fait mouche et ils ont pu trouver un coproducteur industriel pour honorer toutes les commandes.
«Actuellement, nous sommes solidement implantés dans les communautés sportives du Québec et présents dans plus de 400 points de vente, affirme l’entrepreneur. Nous souhaitons désormais proposer nos produits à travers le Canada.» Les deux partenaires ont d’ailleurs participé à la populaire émission Dans l’œil du dragon. Récemment, Naak a mis sur le marché des bouchées énergétiques et sa poudre de grillon. «La marque Le Choix du Président a investi le marché avec sa propre poudre de grillon, mentionne William Walker. Nous croyons donc qu’il s’agit d’un bon moment pour élargir notre clientèle auprès des grandes chaînes d’épiceries.»
Le défi à relever
Créés pour la performance athlétique, les produits Naak constituent également d’excellentes collations pour les personnes actives, soutient le président de l’entreprise. «Je vous demande aujourd’hui de nous aider à identifier une ou des bonnes stratégies marketing afin de rejoindre une plus vaste clientèle, indique-t-il aux étudiants. Des questions?»
«Quelle est la valeur ajoutée des barres Naak par rapport aux autres barres protéinées sur le marché?», demande une étudiante. «Face à PowerBar, nous nous positionnons comme étant écoresponsables et nous mettons de l’avant nos ingrédients 100 % naturels, répond l’entrepreneur. Par rapport aux autres barres aux insectes, nos produits se différencient en étant d’abord conçus pour leur apport énergétique.»
«Je vous demande aujourd’hui de nous aider à identifier une ou des bonnes stratégies marketing afin de rejoindre une plus vaste clientèle.»
William Walker
Cofondateur et président de Naak
À une autre étudiante qui demande s’ils ont commencé à approcher le marché canadien-anglais, William Walker répond qu’ils ont fait un premier séjour en Alberta et en Colombie-Britannique. «Une cinquantaine de magasins ont accepté d’offrir nos produits, mais la stratégie canadienne reste à définir.»
«Souhaitez-vous vous cantonner au créneau sportif ou investir le marché sous l’angle de l’écoresponsabilité?», demande un étudiant. «Nous avons deux types de consommateurs: le sportif qui consomme nos barres pour la performance et les consommateurs qui achètent nos produits dans les épiceries zéro déchet et qui favorisent l’écoresponsabilité, explique l’entrepreneur. Ce sont deux bonnes niches, mais il est difficile de s’adresser aux deux en même temps! Notre niche parfaite: le sportif écolo, mais ça commence à être pointu! Il faut trouver le bon positionnement pour notre marque entre ces deux niches, puis élargir notre clientèle vers le grand public.»
On cogite!
Les étudiants ont une heure pour relever le défi. Avant de quitter le local, William Walker les invite à goûter une barre énergétique choco-orange, qu’il a découpée en petites bouchées pour l’occasion. La plupart des étudiants goûtent avec curiosité. Une étudiante passe son tour: «JAMAIS on ne me fera manger des insectes!», jure-t-elle devant ses coéquipiers qui rigolent.
Quelques minutes plus tard, les étudiants sont au travail dans différentes salles de classe du pavillon. Certains commencent par dresser le portrait actuel de l’entreprise et de sa clientèle, d’autres se lancent immédiatement sur des pistes à explorer en matière de stratégie marketing.
L’Université de Sherbrooke compte trois équipes de cinq étudiants, l’ESG UQAM en compte cinq. «À Sherbrooke, le cours est obligatoire et se donne uniquement aux étudiants de la maîtrise en marketing. Ils font partie de la même cohorte depuis le début du programme et sont donc habitués de travailler ensemble», souligne Caroline Boivin, qui a participé il y a quelques années à la fondation de l’Observatoire de la consommation responsable que dirige le professeur Durif. À l’ESG, précise ce dernier, il s’agit d’un cours optionnel qui attire chaque année une trentaine d’étudiants provenant de la douzaine de spécialisations de la maîtrise en gestion – marketing, stratégie, management, gestion internationale, etc. –, du programme de B.A.A. cheminement d’honneur et même de l’extérieur de l’UQAM.
L’heure des présentations
La première équipe à présenter le fruit de ses réflexions est l’une des trois équipes de Sherbrooke. Les étudiants proposent à l’entrepreneur d’utiliser des influenceurs connus pour joindre la clientèle susceptible d’adhérer aux produits Naak. C’est une solution qui reviendra à quelques reprises lors des présentations. Une équipe de l’ESG suggérera de miser sur des influenceurs culinaires. Le nom de Marilou et de Trois fois par jour reviennent régulièrement dans les propositions étudiantes.
La deuxième équipe, de l’ESG, favorise le marketing expérientiel: présence lors d’événements sportifs avec un kiosque «Bouge ton Naak» afin de renforcer le lien de l’entreprise avec la clientèle sportive, et organisation d’ateliers de cuisine «Pique-Naak» pour faire connaître les produits auprès d’un plus vaste public.
William Walker écoute avec un plaisir évident toutes les présentations, commente certaines idées et pose une ou deux questions à chaque équipe.
La deuxième équipe de Sherbrooke propose de créer un smoothie protéiné à base de poudre de grillon. «Le smoothie est un produit populaire, plus féminin et que l’on consomme plusieurs fois par semaine», souligne l’une des étudiantes. L’équipe suivante, de l’ESG, suggère de fabriquer des muffins Naak. «L’offre actuelle dans le domaine est uniquement axée sur des produits trop sucrés. Il y aurait donc une place pour un muffin santé à la poudre de grillon et cela vous permettrait d’entrer plus facilement dans les épiceries et les cafés», explique l’un des membres de l’équipe.
William Walker écoute avec un plaisir évident toutes les présentations, commente certaines idées et pose une ou deux questions à chaque équipe: «Quelle est la compétition dans le domaine des smoothies?» «J’adore qu’on associe le grillon au côté gourmand de l’alimentation, mais un muffin, est-ce sain?»
Pendant ce temps au Green UX Lab
Durant les présentations, les membres des autres équipes visitent le Green UX Lab, le Laboratoire de recherche en nouvelles expériences utilisateurs et en écoresponsabilité que le professeur Fabien Durif met sur pied au pavillon J.-A.DeSève. Cindy Grappe, étudiante à la maîtrise, Alice Friser, doctorante et chargée de cours, et Henri Desrochers, étudiant au baccalauréat, offrent aux étudiants des ateliers pour faire connaître les équipements et domaines de recherche du laboratoire, comme le scanner corporel 3D et le branding olfactif.
L’avant-dernière équipe de l’ESG à effectuer sa présentation affirme au patron de Naak qu’il faut miser sur la curiosité quand il est question d’entomophagie. «Nous proposons de mettre sur pied le défi #jsuisgame, durant lequel les consommateurs seraient invités à réaliser de courtes vidéos sportives qui seraient présentées sur votre page Facebook par un influenceur comme Georges St-Pierre», explique l’une des étudiantes. «C’est drôle parce que nous travaillons déjà sur un truc du genre avec une agence d’influenceurs… mais sachez que Georges St-Pierre est au-dessus de nos moyens! Avez-vous des idées d’influenceurs moins chers?», demande William Walker à la fin de la présentation. «Il faudrait peut-être se tourner vers des micro-influenceurs de la communauté du CrossFit, par exemple, ou des chaînes sportives YouTube», suggère l’un des étudiants de l’équipe.
La dernière équipe de l’ESG, qui incite l’entreprise à nouer un partenariat avec un ou des blogues de cuisine pour mieux faire connaître la poudre de grillon, formule aussi deux recommandations. «Vous devriez indiquer sur l’emballage que vos produits sont faits au Canada et vous devriez uniformiser la langue sur l’ensemble de vos plateformes, car parfois c’est en français et d’autres fois en anglais.»
La dernière équipe de Sherbrooke recommande au dirigeant de Naak de cibler les 25-44 ans en misant sur la dénomination «collation» pour parler des barres et des bouchées. «Nous proposons un stunt publicitaire web intitulé “Ma première fois”: après avoir goûté vos produits, des consommateurs raconteraient les circonstances de cette première fois, explique l’une des étudiantes. Le montage ferait en sorte que l’on pense à une anecdote amoureuse… jusqu’à ce qu’on comprenne qu’il s’agit de goûter à des produits à base de poudre de grillon! Le potentiel viral serait immense.»
Et l’équipe gagnante est…
De retour en classe juste avant le lunch, les étudiants sont fébriles. «J’aimerais souligner le professionnalisme des présentations, toutes remplies d’observations justes, d’idées intéressantes et de pistes à explorer en matière de développement de produits et de stratégies de mise en marché», souligne William Walker.
La stratégie la plus susceptible d’être implémentée rapidement, et donc la plus intéressante pour lui, est celle de la dernière équipe, de l’Université de Sherbrooke, composée des étudiants Olivier Jacques, Camille Langlois, Catherine Lemay-L’Heureux, Marie-Soleil Bonsant et Samuel Bédard.
L’entrepreneur souligne que l’équipe gagnante a bien intégré les paramètres actuels de Naak et propose des leviers à mettre en place immédiatement. «Avec votre concept “Ma première fois”, vous avez ajouté une touche créative et humoristique intimement liée à l’essence de notre marque. Bravo!»