Révoltes étudiantes à Paris, Berlin et Mexico, enlisement des troupes américaines au Vietnam, assassinats de Martin Luther King et de Robert Kennedy, invasion de la Tchécoslovaquie par l’Union Soviétique… L’année 1968 a été le théâtre d’une succession de crises sociales et politiques qui ont secoué le monde.
Sous le thème «1968, 50 ans plus tard», la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques organise à l’UQAM une série de cinq conférences de janvier à mai 2018 (les derniers mercredis du mois), afin de tirer des leçons des bouleversements de cette année survoltée.
«En dressant la liste de tous les événements marquants de 1968, nous avons réalisé qu’il était impossible d’en comprendre les répercussions dans le cadre d’une seule conférence», souligne le professeur du Département de science politique Frédérick Gagnon, titulaire de la Chaire Raoul-Dandurand.
En 1968, la jeunesse se soulève un peu partout dans le monde. «Ces jeunes, étudiants et travailleurs, se mobilisent sous différentes formes contre les rapports d’autorité dans plusieurs sphères de la société – travail, éducation, famille -, contre les institutions établies et contre les figures de pouvoir», note Frédérick Gagnon. En Tchécoslovaquie, par exemple, ils sont les premiers à résister aux Soviétiques qui, au mois d’août, envahissent leur pays pour écraser le Printemps de Prague et mettre fin au rêve d’un socialisme à visage humain.
Offensive du Têt
La première conférence (voir encadré), le 31 janvier, portera sur l’offensive du Têt au Sud-Vietnam. Le 30 janvier 1968, durant la trêve du Nouvel An vietnamien, l’armée du Nord-Vietnam lance une série d’attaques surprises contre une centaine de villes du Sud, dont la capitale Saïgon. «Cette offensive constitue un point tournant dans la guerre du Vietnam, soutient le professeur. Elle ne se conclut pas par une victoire militaire, mais elle montre que les dirigeants des États-Unis avaient sous-estimé la détermination du peuple vietnamien. Elle ébranle la confiance dans la toute-puissance de l’armée américaine.» Cela conduira les États-Unis à se retirer progressivement d’un conflit devenu insoutenable pour l’opinion publique. En mars 1968, le président Lyndon Johnson invite le Nord-Vietnam à entamer des négociations de paix, puis déclare qu’il ne se présentera pas à l’élection présidentielle de novembre 1968.
Première conférence
La première conférence sur l’offensive du Têt se déroulera le mercredi 31 janvier, à 18 h, à la salle D-R200. Animée par Frédérick Gagnon, elle réunira Charles-Philippe David, fondateur de la Chaire Raoul-Dandurand et professeur au Département de science politique, Karine Prémont, professeure à l’Université de Sherbrooke et directrice adjointe de l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire, Julien Tourreille, chercheur en résidence à l’Observatoire sur les États-Unis, et Michel Coulombe, critique de cinéma à Radio-Canada.
Le lieu où se tiendront les autres conférences et les noms de leurs participants seront connus ultérieurement.
Le mouvement féministe
Le mouvement féministe, notamment aux États-Unis, fera l’objet de la deuxième conférence, le 28 février. En septembre 1968, les féministes du mouvement Now, basé à New York, perturbent le concours de beauté Miss America tenu dans un casino d’Atlantic City. «Elles jettent soutiens-gorge et trousses de maquillage aux poubelles, marquant ainsi leur refus de réduire les femmes à leur apparence physique, rappelle Frédérick Gagnon. Cette manifestation importante sur le plan symbolique critique la conception du corps féminin comme objet de convoitise, un thème toujours d’actualité à l’heure du mouvement #MoiAussi.»
Assassinat de Martin Luther King
L’assassinat en avril 1968 du célèbre militant pour les droits civiques, apôtre de la non-violence et prix Nobel de la paix, sera au centre des discussions à la conférence du 28 mars. «Provoquant des émeutes dans plusieurs villes des États-Unis, cet événement tragique a ébranlé la croyance selon laquelle on pouvait atteindre l’égalité entre les Noirs et les Blancs par des moyens pacifiques, observe le chercheur. Il a aussi conduit le Congrès américain, dans la foulée des réformes de 1964 et 1965, à interdire la discrimination à l’égard des Noirs en matière de logement. Aujourd’hui, de nombreuses études indiquent que, malgré les progrès accomplis, la marche vers l’égalité raciale est loin d’être terminée.»
Mouvements sociaux contestataires
«Cours camarade, le vieux monde est derrière toi». Ce slogan affiché sur les murs de Paris illustre bien les événements de mai 68 en France ainsi que plusieurs soulèvements à travers le monde. La conférence du 25 avril s’intéressera aux mouvements sociaux contestataires et aussi à l’impact exceptionnel de la télévision sur l’opinion publique. «Moins formatées et contrôlées à l’époque, les images télévisées servaient de caisse de résonnance à de nombreux événements, qu’il s’agisse de la grève générale en France, des émeutes dans les ghettos noirs aux États-Unis ou des manifestations contre la guerre du Vietnam, rappelle Frédérick Gagnon. Le populaire journaliste américain Walter Cronkite, présentateur du journal télévisé de CBS, montre des images des combats au retour d’un reportage au Vietnam et déclare: Je pense que nous allons perdre cette guerre.»
Mort de Robert Kennedy
La dernière conférence, le 30 mai, abordera, notamment, l’assassinat de Robert Kennedy en juin 1968 et l’élection à la présidence des États-Unis du candidat républicain Richard Nixon. «Si Robert Kennedy, candidat démocrate aux élections présidentielles, n’avait pas été abattu, peut-être que la politique américaine aurait évolué de manière différente, dit le chercheur. Cela a laissé le champ libre à Nixon qui, à l’instar de Donald Trump, a fait appel à la majorité silencieuse et mis l’accent sur la loi et l’ordre. Durant la campagne présidentielle de 1968, le candidat indépendant Georges Wallace, gouverneur de l’Alabama et partisan de la ségrégation, multiplie les discours racistes, lesquels rappellent les propos haineux entendus à Charlottesville il y a quelques mois.»
Que reste-t-il aujourd’hui de cette époque? Quel est l’héritage de 1968? «J’ai l’impression que nous n’avons pas beaucoup appris des erreurs du passé, dit Frédérick Gagnon. Certes, beaucoup de choses ont changé pour le mieux, mais il est déroutant de constater que certains débats menés il y a 50 ans se répètent aujourd’hui, sur la place des femmes dans la société, sur les inégalités sociales et raciales, sur les leaders autoritaires en politique. À bien des égards, 1968, c’était hier!»