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Plus de cyclones…

Un climat plus chaud, un Sahara plus vert et moins de poussière peuvent conduire à une intensification de l’activité cyclonique.

29 août 2017 à 16 h 08

Mis à jour le 30 août 2017 à 8 h 08

L’ouragan Dennis qui a frappé la côte américaine en 2005. Photo: Creative Commons

Il y environ 6000 ans, alors que la Terre connaissait un réchauffement climatique dû à des causes naturelles et que des moussons plus abondantes balayaient l’Afrique de l’Ouest, le désert du Sahara était couvert de prairies verdoyantes. Mais ce verdissement du désert n’a pas été sans conséquence sur le climat du reste de la planète. «Un Sahara plus vert entraîne une réduction des émissions de poussière et renforce la mousson ouest-africaine, ce qui conduit à des changements dans la circulation atmosphérique, entraînant une intensification de l’activité cyclonique partout dans les Tropiques, explique le professeur du Département des sciences de la Terre et de l’atmosphère Francesco Pausata. Dans l’Atlantique, cela peut vouloir dire deux fois plus de cyclones.»

À peine arrivé à l’UQAM, le jeune professeur a publié coup sur coup, au cours de l’été, deux articles dans des revues scientifiques majeures, Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS) et Nature Communications. Les deux articles découlent de recherches sur le climat du milieu de l’Holocène qu’il a menées au cours des dernières années à l’Institut météorologique de l’Université de Stockholm.

Les études menées jusqu’à ce jour sur l’activité cyclonique tropicale dans un climat plus chaud ne prenaient pas en considération les effets du verdissement du Sahara et de la conséquente diminution des émissions de poussière, explique le professeur. «Alors que de précédentes études suggèrent une activité cyclonique moins élevée malgré une insolation plus forte en été et une température plus chaude à la surface de la mer dans l’Hémisphère Nord, si l’on tient compte du verdissement du Sahara et de la réduction des concentrations de poussière, on observe plutôt une augmentation du nombre de cyclones dans les deux hémisphères, particulièrement sur la côte Est de l’Amérique du Nord et dans les Caraïbes, mais aussi dans la Mer de Chine méridionale.»

Les résultats de cette recherche sont détaillés dans Tropical cyclone activity enhanced by Sahara greening and reduced dust emissions during the African Humid Period, l’article paru en juin dernier dans PNAS et dont Francesco Pausata est le premier auteur.

Doit-on en conclure que le réchauffement climatique en cours à l’heure actuelle mènera forcément à une augmentation des événements tels que le cyclone qui frappe Houston en ce moment?  «On ne peut pas dire cela aussi nettement, répond le professeur. Le réchauffement actuel est différent de celui qui a marqué l’Holocène. Mais il est certain que notre étude démontre l’importance de facteurs tels que le couvert végétal du Sahara et les concentrations de poussière dans l’intensité et le développement des cyclones tropicaux dans le passé. Cela suggère que ces deux facteurs pourraient avoir une influence sur l’activité cyclonique tropicale dans un futur climat plus chaud.»

Greening of the Sahara suppressed ENSO activity during the mid-Holocene, l’article publié dans Nature Communications le 7 juillet dernier et dont Francesco Pausata est également premier auteur, traite lui aussi de l’influence d’un désert plus vert et moins poussiéreux sur le climat. «Le changement le plus important du milieu de l’Holocène, il y a 4000 à 7000 ans, s’est produit en Afrique, affirme Francesco Pausata. Presque tout le monde regarde du côté du Pacifique. Mais ce sont les changements en Afrique, le verdissement du Sahara et les énormes changements dans la circulation atmosphérique causés par l’intensification de la mousson ouest-africaine qui ont entraîné les bouleversements climatiques dans toutes les régions tropicales.»

Ces changements, révèle le chercheur, ont eu dans le passé un effet important sur la variabilité de l’ENSO (acronyme composé à partir des termes El Nino et Southern Oscillation), un phénomène climatique qui suscite l’attention de nombreux chercheurs depuis quelques années puisqu’il peut engendrer d’importantes modifications de pluviométrie, aggraver des situations de sécheresse ou de désertification, avoir une influence sur la température de l’eau dans l’océan, sur la répartition des ressources, etc. «Comprendre les variations historiques du système ENSO et leurs causes est très important pour prédire les changements futurs du climat», souligne Francesco Pausata. 

Jusqu’à présent, les modèles utilisés pour simuler le climat du milieu de l’Holocène, basés uniquement sur les changements de paramètres de l’orbite de la Terre, faisaient état d’une réduction de la variabilité de l’ENSO de 10% par rapport à la période pré-industrielle. Or, les données paléo-climatiques enregistrées pour cette époque indiquent plutôt une diminution de la variabilité de l’ENSO de l’ordre de 30 à 60%. Selon les résultats obtenus par Francesco Pausata et ses collègues, qui ont tenu compte, dans leur modèle, des effets du verdissement du Sahara, de la réduction des émissions de poussière et du renforcement de la mousson ouest-africaine, la réduction de la variabilité de l’ENSO atteindrait 25% par rapport à l’époque pré-industrielle, un chiffre qui se rapproche davantage des estimations obtenues à partir des données paléo-climatologiques.

«Plus de données paléo-climatologiques, en provenance des océans Pacifique et Atlantique, sont nécessaires pour établir la variabilité naturelle de l’ENSO et ses liens avec le bassin Atlantique, conclut le chercheur. En conjuguant ces données avec des modèles de simulation du climat qui tiennent compte des changements dans la végétation du Sahara et dans les émissions de poussière, nous pourrons améliorer nos prévisions des changements climatiques.»