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Trump, l’an un

Frédérick Gagnon analyse la société américaine un an après l’arrivée au pouvoir du candidat républicain.

Par Claude Gauvreau

3 novembre 2017 à 8 h 11

Mis à jour le 22 décembre 2017 à 10 h 12

Près d’un an après sa conquête de la Maison-Blanche, le président Donald Trump se retrouve associé à une nouvelle controverse. Son ancien directeur de campagne, Paul Manafort, et son ancien conseiller à la sécurité nationale, Michael Flynn, pourraient être inculpés dans le cadre de l’enquête sur l’ingérence de la Russie dans la campagne présidentielle de 2016. Si on parvient à démontrer qu’il y a eu collusion entre l’administration américaine et la Russie, pourrait-on voir se dessiner un mouvement en faveur de la destitution du président?

«Jamais un président n’a été destitué dans l’histoire des États-Unis, dit le professeur du Département de science politique Frédérick Gagnon. On ne peut pas exclure cette possibilité, mais il faut être prudent. Seul le Congrès a le pouvoir de destituer le président. La Chambre des représentants vote une mise en accusation, puis le Sénat “juge” le président et vote pour condamner – à une majorité des deux tiers – ou acquitter. Or, les Républicains sont majoritaires dans les deux chambres du Congrès et ils ne veulent pas en perdre le contrôle, surtout que des élections de mi-mandat auront lieu bientôt, en novembre 2018.»

Afin de souligner le premier anniversaire de l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand organise le colloque «Trump, l’an 1», qui réunira une dizaine de spécialistes américains et québécois, le 9 novembre prochain, à la Grande bibliothèque de Montréal. «Les chercheurs analyseront les conséquences de l’élection du milliardaire américain et discuteront de sa politique étrangère, du rôle de la société civile américaine, des enjeux liés aux frontières et aux migrations, ainsi que des relations Canada-Québec-États-Unis», explique Frédérick Gagnon, titulaire de la Chaire et directeur de l’Observatoire. Le colloque sera précédé, le 8 novembre, d’une conférence sur la renégociation de l’ALENA et ses enjeux pour le Québec. Organisé par la Chaire  Raoul-Dandurand et AMCHAM Canada, cet événement se déroulera  à compter de 17 h 30, à l’hôtel Westin, à Montréal.

«Trump demeure populaire auprès de sa base électorale, comme s’il gouvernait dans le but de la satisfaire. Actuellement, 80 % des Américains qui s’identifient au Parti républicain lui accordent leur appui.»

Frédérick Gagnon,

Professeur au Département de science politique et titulaire de la Chaire Raoul-Dandurand

Un président mal aimé ?    

Vu de l’extérieur, on peut avoir l’impression que Donald Trump est le président le plus mal aimé de l’histoire des États-Unis. «Bien que plusieurs Américains le détestent, le taux de satisfaction à son égard est relativement stable depuis neuf mois, oscillant entre 37 et 40 %, note le professeur. Trump demeure populaire auprès de sa base électorale, comme s’il gouvernait dans le but de la satisfaire. Actuellement, 80 % des Américains qui s’identifient au Parti républicain lui accordent leur appui.»

C’est le cas des électeurs évangéliques, proches de la droite chrétienne, et de ceux des États du Deep South et du centre du pays. «N’oublions pas que Donald Trump a réussi à battre Hilary Clinton dans trois États industriels, le Michigan, la Pennsylvanie et le Wisconsin, qui habituellement votaient démocrate, souligne le professeur. Il est parvenu à attirer dans le camp républicain les Américains qui ont subi les conséquences de la crise économique de 2007-2008 et qui n’appartiennent pas aux minorités ethniques courtisées au cours des dernières décennies par les Démocrates.»

Une société hyperpolarisée

Frédérick Gagnon croit que la société américaine est aujourd’hui plus divisée que jamais, remarque Frédérick Gagnon, mais l’arrivée de Trump au pouvoir est le fruit d’une polarisation qui existait déjà dans les années 1990. Une guerre culturelle a cours depuis 20 ans, notamment autour d’enjeux moraux tels que l’avortement et le mariage gai, sans parler des lignes de fracture religieuses. «Nous sommes maintenant dans une ère d’hyperpolarisation, dit le chercheur. La nouveauté est que l’avènement de Trump a permis à certaines langues de se délier. Après les déclarations incendiaires du président lors des affrontements raciaux à Charlottesville, des membres de groupes haineux ont affirmé que Trump était le président dont les États-Unis avaient besoin.»

«La gauche est davantage à l’avant-scène depuis quelque temps, comme en témoignent le mouvement Black Lives Matter et la grande marche des femmes à Washington, en janvier dernier.»

Frédérick Gagnon dit souvent à ses étudiants que la société américaine est faite de contrastes sur tous les plans. «Chaque fois qu’un groupe social réalise une avancée, il suscite une vive réaction de la part de ses adversaires, qui cherchent à regagner du terrain. Quand, en 1954, la Cour suprême a rendu un jugement favorable à l’accès des Afro-Américains à l’éducation supérieure, on a vu le Ku Klux Klan relever aussitôt la tête.» La présidence de Trump pourrait provoquer un réveil de la gauche progressiste aux États-Unis, pense le professeur. «La gauche est davantage à l’avant-scène depuis quelque temps, comme en témoignent le mouvement Black Lives Matter et la grande marche des femmes à Washington, en janvier dernier.»   

Perte de crédibilité

En matière de politique étrangère, Trump a engagé les États-Unis dans la renégociation de l’ALENA, dans le retrait du Partenariat transpacifique et de l’Accord de Paris sur les changements climatiques. «L’image du pays et sa crédibilité se sont considérablement détériorées sur la scène internationale, souligne Frédérick Gagnon. La grande majorité des Canadiens, par exemple, expriment leur pessimisme quant à l’avenir des relations canado-américaines. Et pour cause! Donald Trump a déclaré que l’ALENA était le pire accord commercial jamais signé par les États-Unis.»

Selon certains observateurs, le désengagement des États-Unis sur la scène mondiale laisserait le champ libre à la Chine, qui en profite pour s’imposer dans les dossiers du commerce international, de la Corée du Nord ou de l’accord nucléaire iranien. «La Chine joue effectivement un rôle important sur les plans commercial et sécuritaire, note le  chercheur. Elle a aussi des intérêts un peu partout, notamment en Afrique. Cela dit, il ne faut pas négliger le caractère attractif  de la puissance culturelle américaine.»

Négociations difficiles

Au chapitre de la renégociation de l’ALENA, Donald Trump a évoqué récemment la possibilité d’exclure le Mexique et de conclure un accord bilatéral avec le Canada. Justin Trudeau n’a pas fermé la porte à une entente à deux plutôt qu’à trois. «Encore une fois, Trump fait des déclarations susceptibles de plaire à sa base électorale, remarque Frédérick Gagnon. En réalité, les chambres de commerce aux États-Unis s’opposent au président. Ce que Trump propose sur le plan commercial pourrait avoir des effets néfastes tant pour l’économie mexicaine et canadienne que pour l’économie américaine, en particulier dans le secteur de l’automobile.»

Les négociateurs canadiens font face à un président qui croit en sa stratégie. «Comme Trump l’a lui-même expliqué dans son livre The art of the deal, cette stratégie comporte trois ingrédients: demander la lune, utiliser tous les moyens pour déstabiliser son interlocuteur et faire le moins de compromis possible. Il n’est pas exclu que Trump annonce un retrait unilatéral de l’ALENA afin de s’en servir comme arme de négociation.»

Dans The art of the deal, publié dans les années 1990, Trump écrivait aussi qu’il était facile d’attirer l’attention de médias. «Il suffit d’être un peu différent, voire théâtral, et de tenir des propos controversés, soulignait-il. C’est exactement ce qu’il fait depuis un an!», observe Frédérick Gagnon.