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Succès texto chez Tel-jeunes

Pour les jeunes, c’est comme avoir «un intervenant dans la poche», révèle une recherche en communication.

Par Pierre-Etienne Caza

1 décembre 2017 à 9 h 12

Mis à jour le 1 décembre 2017 à 10 h 12

Photo: iStock

Le mode préféré de communication des jeunes d’aujourd’hui est le texto. Pour établir ou garder le contact avec eux, de plus en plus d’entreprises et d’organismes modifient leurs pratiques. En 2013, Tel-jeunes a été le premier service d’aide au Canada à offrir la communication par texto. «La direction de Tel-jeunes a contacté le Centre de recherche sur la communication et la santé (ComSanté) et le Service aux collectivités de l’UQAM afin de documenter le processus de mise en place de ce service dès le départ», rapporte Christine Thoër, professeure au Département de communication sociale et publique. La chercheuse a réalisé une étude dont les résultats ont été publiés plus tôt cette année dans Santé mentale au Québec.

C’est en réaction à une baisse de demandes par téléphone et par courriel que Tel-jeunes a mis sur pied une stratégie d’intervention par texto ciblant les jeunes de 12 à 17 ans. «Le premier mois, l’organisme a reçu 11 934 textos, raconte Christine Thoër. Après un an, c’était l’un des principaux moyens d’intervention, loin devant les courriels, les séances de clavardage et le forum.»

Christine Thoër
Photo: Émilie Tournevache

Développée en collaboration avec l’équipe de Tel-jeunes, la recherche menée par Christine Thoër, à laquelle a participé Claire Vanier, agente de développement au Service aux collectivités, visait à cerner les motivations, les contextes et les types de problématiques qui amènent les jeunes à utiliser le service texto de Tel-jeunes, à documenter les caractéristiques de l’intervention brève par texto, et à identifier les avantages et les difficultés rencontrées par les intervenants. «Nous avons opté pour trois modes de collecte de données, précise la chercheuse. Nous avons organisé quatre groupes focus avec 23 jeunes âgés de 15 à 17 ans, nous avons analysé un corpus de 13 236 textos – soit 601 conversations – extraits des trois premiers mois de fonctionnement du service, et nous avons mené deux groupes focus avec 11 intervenants, un peu plus d’un an après le lancement.»

Principales thématiques

Le service texto a, dès le départ, soulevé pour les intervenants un défi qui ne se posait pas au téléphone: dans plus de la moitié des interventions, ils ne savent pas si le jeune avec lequel ils conversent est un garçon ou une fille. «Par le sujet abordé, certaines conversations laissent savoir à l’intervenant à qui il a affaire, précise Christine Thoër. Dans ces cas, la proportion de filles était de 88,4 %, ce qui reflète la proportion observée par le passé pour les autres moyens de communication de l’organisme.»

Trois thèmes dominaient les demandes reçues par texto: les relations amoureuses (36,3 % des conversations), la santé psychologique (21,6 %) et la sexualité (12,1 %). Les autres thématiques concernaient les relations familiales (5,3 %), les relations avec les pairs (4,7 %), la violence (2,7 %), l’école (2,2 %), et les drogues et la dépendance (1,5 %). «La grande majorité des conversations ne concernait pas des problématiques présentant un caractère urgent», mentionne la professeure.

Un «intervenant dans la poche»

Les groupes focus de jeunes utilisateurs ont révélé que les filles ont adopté rapidement le texto comme mode privilégié de communication avec Tel-jeunes. «Elles décrivent le téléphone mobile comme l’espace d’intimité par excellence, soulignant même que cette intimité peut être recréée en public en raison du caractère discret du téléphone», souligne Christine Thoër.

«[Les filles] décrivent le téléphone mobile comme l’espace d’intimité par excellence, soulignant même que cette intimité peut être recréée en public en raison du caractère discret du téléphone.»

Christine Thoër

Professeure au Département de communication sociale et publique

Les garçons apprécient aussi le texto, mais ils se sentent moins à l’aise que les filles à contacter Tel-jeunes dans un espace public, mentionne la chercheuse. «Souvent devant leur ordinateur, plusieurs garçons affirment qu’ils préfèrent le clavardage au texto.»

L’anonymat est l’une des caractéristiques du service texto que les jeunes aiment le plus. Ils disent être «moins gênés de poser des questions niaiseuses». Ils apprécient également l’instantanéité de ce moyen de communication. «Les filles disent ne pas hésiter à texter Tel-jeunes même en pleine journée à l’école, lorsque survient une situation problématique pour laquelle elles désirent obtenir des conseils», illustre la chercheuse.

Le texto permet aux jeunes de conserver une distance par rapport à leurs émotions, poursuit la professeure. «Contrairement au téléphone, où l’on doit répondre tout de suite à l’intervenant, le texto permet de réfléchir aux questions et de formuler une réponse mieux construite.» Les jeunes apprécient d’avoir le temps d’échanger avec l’intervenant et envisagent des conversations pouvant s’étaler sur une journée, voire plusieurs jours, en fonction de leurs besoins. «Pour eux, c’est comme avoir “un intervenant dans la poche”, qu’ils peuvent contacter au besoin», note-t-elle.

Ajustements nécessaires

Les intervenants rencontrés par l’équipe de recherche jugent globalement que le service texto constitue un moyen très efficace pour répondre rapidement à des questions courtes ou à des demandes d’information précises. «Ils constatent que les jeunes se sentent plus à l’aise qu’au téléphone pour aborder de front certains sujets et poser des questions directes, notamment en matière de sexualité, note Christine Thoër. Selon eux, ce nouveau service permet d’offrir des réponses à des jeunes qui autrement n’auraient sans doute pas contacté Tel-jeunes.»

Contrairement à ce que Tel-jeunes avait anticipé, le service texto a été utilisé dès son lancement par des jeunes vivant des problématiques lourdes, comme de l’automutilation et des idées suicidaires. Ces problématiques complexes posent des défis particuliers. «Les jeunes qui utilisent le texto sont souvent moins avancés dans leur réflexion que ceux qui prennent le téléphone, explique Christine Thoër. Ils font parfois état d’une souffrance existentielle assez diffuse et c’est donc plus difficile pour l’intervenant de comprendre le ou les problèmes qui les préoccupent, d’en cibler un, de cerner leur motivation à s’engager dans le changement et de travailler à l’identification de pistes de solution.»

«Contrairement au téléphone, où l’on doit répondre tout de suite à l’intervenant, le texto permet de réfléchir aux questions et de formuler une réponse mieux construite.»

Certains intervenants ont raconté qu’il leur faut parfois une trentaine de minutes avant de comprendre ce que le jeune veut exprimer. D’autres soulignent que plusieurs jeunes semblent attendre des solutions instantanées, plutôt que de s’engager personnellement dans une véritable réflexion.

Pendant la première année du service texto, la conversation avec un jeune pouvait débuter le matin, se poursuivre lors des pauses à l’école et continuer en soirée. «Dans la moitié des cas, les conversations que nous avons analysées duraient moins d’une heure trente et étaient composées d’une vingtaine de textos. Une minorité de conversations, notamment les problématiques lourdes ou de santé mentale, pouvait en revanche s’étaler sur 12 heures! Pas facile de garder le fil pour l’intervenant, qui traite entre temps avec d’autres jeunes.»

Mettre fin à une intervention est plus complexe par texto que par téléphone, ont relevé les intervenants. «Parfois, le jeune arrête de répondre ou explique qu’il doit mettre fin à l’échange, mais l’intervenant n’est pas en mesure de savoir si son intervention a rassuré le jeune, pas plus qu’il ne peut évaluer son niveau de détresse, comme ils ont l’habitude de le faire», illustre Christine Thoër. Tel-jeunes a décidé en 2014 de limiter les interventions dans le temps et d’y mettre fin par un message automatique après 15 minutes d’inactivité du jeune.

Un mémoire de maîtrise

Les intervenants de Tel-jeunes ont trouvé difficile d’utiliser le modèle d’intervention dont ils se servaient pourtant avec succès au téléphone. «Nous avons travaillé avec eux à l’élaboration d’un guide des procédures et de l’intervention par texto, affirme Christine Thoër. L’une des intervenantes de Tel-jeunes qui a participé à ce projet, Élise Huot, entame sa maîtrise en communication à l’UQAM. Elle s’intéressera plus particulièrement à l’établissement de la relation de confiance et aux interactions entre les intervenants et les jeunes dans le cadre du service texto de Tel-jeunes.»

Des défis pour l’avenir

Même si le service texto a rapidement connu du succès, Tel-jeunes souhaite réfléchir à des moyens de le promouvoir afin de le rendre plus attractif aux yeux des garçons, révèle Christine Thoër. L’organisme devra aussi s’adapter à une baisse de la moyenne d’âge des jeunes qui utilisent le service texto. «Il y a des enfants de 9 à 12 ans qui utilisent le service et cela nécessite des ajustements au modèle d’intervention», précise la chercheuse.

De plus en plus de jeunes contactent le service Tel-jeunes via des applications disponibles sur Internet plutôt que sur un téléphone mobile, ce qui a pour conséquence qu’il est impossible de retracer la personne en cas d’urgence. «L’organisme travaille notamment avec les services de police afin de trouver une solution à cette problématique», conclut Christine Thoër.