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Moustiques sous haute surveillance

Le Canada est-il menacé par une épidémie de la maladie de Chikungunya, de Zika ou de dengue?

Par Valérie Martin

27 juin 2017 à 15 h 06

Mis à jour le 29 juin 2017 à 13 h 06

Le virus tropical du Chikungunya se transmet par deux types de moustiques qui peuvent aussi être porteurs du virus Zika.  Photo: istockphoto.com

Les Canadiens risquent-ils d’être confrontés à une épidémie de maladies vectorielles, ces maladies infectieuses transmises par des moustiques telles que la dengue, le virus du Nil occidental, le Zika ou la fièvre jaune?

Le professeur au Département de géographie Philippe Gachon a participé à une recherche publiée le 5 juin dernier dans la revue Environnemental Health Perspectives (EHP). Réalisée par une équipe pluridisciplinaire, l’étude, intitulée Assessment of the Probability of Autochthonous Transmission of Chikungunya Virus in Canada under Recent and Projected Climate Change, avait pour objectif d’évaluer les risques potentiels de transmission du virus du Chikungunya au Canada. Ce virus tropical se transmet par deux types de moustiques qui peuvent aussi être porteurs du virus Zika. La maladie de Chikungunya est caractérisée par de la fièvre, des maux de tête, de la fatigue, et des symptômes associés à la polyarthrite et à la myalgie. Depuis le début des années 2000, des épidémies de Chikungunya ont notamment été observées en Afrique, en Asie du Sud, en Europe et dans les Caraïbes.

Pour se reproduire, les moustiques qui transmettent les maladies vectorielles ont besoin d’un climat chaud. Au Canada, un ou deux mois en moyenne affichent des températures de 23 degrés Celsius et plus. La durée potentielle de transmission serait ainsi limitée à la saison estivale. Seule la partie sud de la côte de la Colombie-Britannique présenterait un risque plus important à long terme en raison d’un climat plus doux et d’importantes précipitations, favorisant la prolifération des moustiques. Le sud de l’Ontario et du Québec pourrait aussi, dans une moindre mesure, être touché.

Hausse des températures

Bien que le risque demeure faible au Canada de contracter le virus du Chikungunya ou du Zika, plusieurs facteurs comme la hausse rapide des températures due aux changements climatiques pourraient contribuer à une recrudescence de la transmission possible sur le sol canadien. «Avec les conditions climatiques changeantes actuelles, la transmission des maladies vectorielles devient un enjeu de santé publique de plus en plus préoccupant, note Philippe Gachon. Des maladies que l’on ne voyait pas il y a à peine une décennie, comme la maladie de Lyme, sont en progression en Europe et en Amérique du Nord.»

Pour les fins de l’étude, celui qui est aussi chercheur au Centre pour l’étude et la simulation du climat à l’échelle régionale (ESCER), a évalué avec son équipe les risques de prolifération au Canada du virus du Chikungunya à court et à long termes au moyen du modèle régional canadien de climat (MRCC). Développé par le Centre ESCER, le MRCC, tel un zoom photographique, permet d’effectuer des projections climatiques et d’étudier les impacts des changements appréhendés dans l’environnement physique d’une région donnée.

«Le Canada fait partie des régions du monde qui vont connaître les plus grands réchauffements de la planète, explique Philippe Gachon. Le taux de réchauffement au pays est deux fois plus élevé que la moyenne mondiale (à l’échelle historique, au cours des dernières décennies, mais également sur ce que l’on anticipe dans le futur). Cela a déjà et aura des impacts.»

Des contaminants qui voyagent

D’autres facteurs peuvent contribuer à l’éclosion d’une épidémie. Le vieillissement de la population, qui accroît la vulnérabilité aux maladies, la croissance démographique ainsi que l’augmentation du trafic aérien et du nombre de voyageurs, potentiellement exposés et qui accroissent les risques de transmission, comptent parmi ces facteurs.

«Les populations contaminées se déplacent davantage», précise le chercheur. La croissance du commerce mondial et du volume de marchandises transportées ont aussi pour effet d’augmenter les risques de transmission. «Plusieurs bactéries et virus entrent au Canada de cette manière, souligne Philippe Gachon. Par exemple, la tordeuse des bourgeons de l’épinette a, entre autres facteurs, été introduite au pays par le transport du bois.»

Les facteurs d’exposition changent aussi rapidement, note le professeur. De plus en plus de Canadiens et d’Européens s’installent dans des endroits plus tempérés et plus chauds. «Ces personnes sont plus vulnérables puisqu’elles n’étaient pas exposées aux mêmes risques de transmission auparavant.»

De meilleurs systèmes de surveillance

Selon le chercheur, des systèmes de surveillance ou de suivi plus performants devraient être mis en place au Canada afin de mieux détecter la présence de moustiques porteurs de virus dangereux et d’assurer un suivi des maladies vectorielles. «De tels systèmes existent aux États-Unis, où la présence de moustiques porteurs des virus du Zika et du Chikungunya est de plus en plus remarquée, relève Philippe Gachon. Les Américains sont plus conscientisés, puisqu’ils sont déjà aux prises avec le problème.»

Des systèmes d’alerte plus développés permettent de suivre l’évolution des risques. «En Europe, les bulletins météo annoncent non seulement les vagues de chaleur, mais aussi les risques de se faire piquer par des moustiques porteurs de virus probables, dit le chercheur. Cela permet à la population d’obtenir de l’information sur les facteurs de risque des maladies vectorielles qui sont en train d’envahir le continent. Les gens sont capables de reconnaître les symptômes et d’agir plus rapidement pour minimiser les dommages.»

Au moyen de modèles régionaux de simulation du climat plus sophistiqués, comme ceux à plus haute résolution spatiale par exemple, il serait possible de mieux prévoir les éclosions de maladies et de développer une compréhension plus fine des risques. «Pour l’étude publiée dans EHP, nous avons utilisé des modèles régionaux de simulation du climat dotés d’une résolution de l’ordre de 50 kilomètres, soit la distance entre Montréal et Granby, explique Philippe Gachon. Pourtant, il y a des écarts de température entre ces deux villes.» Avec des modèles atteignant une résolution de quelques kilomètres seulement, on pourrait obtenir une information plus ciblée et mieux répondre aux besoins spécifiques des populations concernées.

«Il faut demeurer prudent et continuer à faire de la prévention et de la surveillance. Si la tendance se maintient en termes de changements climatiques, l’augmentation du risque de transmission des maladies vectorielles sera plus rapide que ce que l’on anticipait au départ il y a quelques années», conclut Philippe Gachon.