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Lac en péril

Un projet-pilote novateur vise à enrayer la prolifération des algues bleu-vert dans le lac Bromont.

Par Claude Gauvreau

14 novembre 2017 à 11 h 11

Mis à jour le 14 novembre 2017 à 11 h 11

Vue du lac Bromont. Photo: Pierre Dunnigan

Quelque 175 tonnes de Phoslock – un produit australien à base d’argile – ont été déversées récemment dans le lac Bromont, en Montérégie, afin d’enrayer la prolifération de cyanobactéries (aussi appelées algues bleu-vert) qui l’empoisonnent. Ce projet-pilote de la Ville de Bromont, une première au Québec, est le fruit d’une recherche qui a débuté il y a 10 ans, dont l’objectif est de restaurer la santé précaire du lac et de son écosystème.

«À l’été 2006, l’Association Action conservation du bassin versant du lac Bromont (ACBVC), un organisme à but non lucratif, a contacté l’Institut des sciences de l’environnement pour que celui-ci l’aide à faire la lumière sur la multiplication des algues bleu-vert», explique la professeure émérite du Département des sciences biologiques Dolores Planas, une spécialiste de la limnologie. Cet appel a donné le coup d’envoi à un programme de recherche dirigé par la professeure, en partenariat avec l’ACBVC et la Municipalité de Bromont, et appuyé par le Service aux collectivités.

Depuis deux décennies, le lac Bromont, à l’instar d’autres lacs au Québec, présente des efflorescences récurrentes de fleurs d’eau de cyanobactéries, visibles à la surface de l’eau, qui ressemblent à une purée de pois ou à un déversement de peinture, d’où l’expression algues bleu-vert. Ce phénomène n’est pas étranger à l’urbanisation et au déboisement, lesquels ont modifié au fil des ans le bassin versant du lac et son régime hydrique. «Au cours des 50 dernières années, rappelle Dolores Planas, la vocation du lac Bromont a été complètement transformée en raison, notamment, du développement des activités agricoles dans la région, de l’arrivée de nouveaux résidents sur les rives et de l’essor des activités récréatives et sportives durant les saisons hivernale et estivale.»

Les cyanobactéries comptent parmi les plus vieux micro-organismes apparus sur Terre. «Elles se retrouvent partout et s’adaptent à tous les climats», note la professeure. Quand elles deviennent trop abondantes, elles forment des fleurs d’eau pouvant présenter des risques pour la santé humaine, la faune et la flore. «Certaines espèces produisent des toxines qui causent des irritations cutanées ou des allergies, souligne Dolores Planas. Elles peuvent même affecter le foie, le système nerveux et le cerveau.» C’est ce qui explique les interdits de baignade qui ont frappé de nombreux lac québécois affectés par des proliférations de cyanobactéries au cours des dernières années. Les fleurs d’eau produisent donc des effets d’ordre socio-économique et récréotouristique: réduction des activités aquatiques, baisse de la valeur des résidences et des chalets, chute de fréquentation des campings.

Le facteur prépondérant dans la prolifération des algues bleu-vert est le surplus de phosphore, un nutriment essentiel aux cyanobactéries qui s’accumule naturellement dans les sédiments du lac. Les charges de phosphore peuvent aussi provenir de sources externes: fertilisants agricoles, compost ou engrais épandus sur les sols ou les pelouses, rejets d’eaux usées domestiques, municipales ou industrielles (installations septiques et réseau d’égout) et déboisement excessif.

Questions de recherche

Soutenue financièrement par le CRSNG, la Ville de Bromont et le ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, l’équipe de recherche de Dolores Planas, formée de plusieurs étudiants de cycles supérieurs, a procédé de 2007 à 2012 à l’analyse des caractéristiques physiques et chimiques du lac afin d’évaluer les apports internes et externes en nutriments des algues bleu-vert. Deux questions orientaient les recherches: d’où proviennent les nutriments, en particulier le phosphore, et où les algues s’alimentent-elles principalement?

«Nos travaux ont démontré que les sédiments au fond du lac constituaient la principale source de phosphore, même si les apports externes avaient contribué dans le passé à l’enrichissement du lac en nutriments et le font encore aujourd’hui, souligne la chercheuse. Selon les années, la source interne des sédiments représente entre 60 et 90 % du phosphore total présent dans le lac.» L’équipe de recherche a aussi observé que les cyanobactéries s’alimentaient dans la couche intermédiaire du lac, là où se trouve une sorte de membrane séparant les eaux profondes et les sédiments des couches d’eau intermédiaire et de surface.

La recherche a enfin permis d’identifier des turbulences climatiques qui affectent la membrane et la dynamique des populations de cyanobactéries. «Les températures élevées, les orages, les vents et les rafales contribuent à brasser les couches d’eau, créant un effet synergique qui libère le phosphore présent dans les sédiments et favorise l’alimentation et la croissance des algues», observe Dolores Planas.

Un produit efficace

Pour combattre la prolifération des cyanobactéries, les chercheurs ont recommandé à la Municipalité de Bromont de recourir à l’épandage de Phoslock un produit non toxique développé en Australie, au milieu des années 1990, par la Commonweealth Scientific and Industrial Research Organisation. Après avoir obtenu une accréditation du ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, la Municipalité a procédé au déversement. Si tout se déroule bien, on prévoit que la prolifération des cyanobactéries pourrait être enrayée d’ici deux ans.

Parmi tous les produits disponibles sur le marché, le Phoslock, en plus d’être le mieux documenté scientifiquement, s’avère celui qui a connu le plus de succès. Depuis le début des années 2000, le Phoslock a démontré son efficacité dans une vingtaine de pays à travers le monde, notamment en Europe. «Ce produit est composé d’une argile – la bentonite – à laquelle est fixé un métal – le lanthane –, qui réagit rapidement avec le phosphore pour former une molécule stable, explique la professeure. Le Phoslock permet de constituer une couverture argileuse qui emprisonne le phosphore dans les sédiments, l’empêchant d’atteindre la colonne d’eau et de nourrir les cyanobactéries.».

Assurer un suivi

La professeure était présente au lac Bromont, la semaine dernière, afin d’effectuer un premier prélèvement d’échantillon d’eau. Différentes variables physiques, chimiques et biologiques seront évaluées au cours de la première année post-traitement. «Nous vérifierons les effets des turbulences climatiques sur l’efficacité du traitement, le degré de toxicité des cyanobactéries durant leur décroissance, consécutive à la réduction de la quantité de phosphore, et la variation de la biodiversité du phytoplancton et des plantes aquatiques, dit Dolores Planas. L’analyse de ces données est importante, car elle permettra de valider le traitement pour de possibles applications du Phoslock dans d’autres lacs au Québec.» Les travaux seront financés par le ministère de l’Économie, de la Science et de l’Innovation.

Bien que nécessaire, l’épandage du Phoslock ne règle pas, cependant, tous les problèmes. «On doit intervenir en amont afin de limiter les apports externes de phosphore, insiste la chercheuse. La municipalité de Bromont a déjà déployé beaucoup d’efforts et établi des normes de contrôle concernant l’utilisation de fertilisants agricoles et la gestion des installations septiques.»

Plusieurs gestes individuels et collectifs peuvent être posés pour minimiser les problèmes associés aux cyanobactéries et empêcher les surplus de phosphore dans les lacs. Il est possible de mieux gérer les eaux usées et les installations septiques, de préconiser des pratiques agricoles et forestières qui respectent les écosystèmes, de protéger et de végétaliser les rives et les milieux humides afin de limiter le ruissellement des charges de phosphore.