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Pas des lobbyistes

Un rapport dénonce le projet de loi 56, qui traite les OSBL comme des lobbyistes.

Par Pierre-Etienne Caza

22 août 2017 à 14 h 08

Mis à jour le 31 août 2017 à 8 h 08

Illustration: iStock

Le projet de loi 56, déposé par le gouvernement du Québec à l’automne 2015 sous prétexte de discipliner les lobbyistes «délinquants», continue d’inquiéter le milieu communautaire. Ce projet propose de traiter les organismes sans but lucratif (OSBL) sur le même pied que les lobbyistes, les obligeant à s’inscrire au registre des lobbyistes et à déclarer toute communication ou activité qu’ils entretiendront auprès de représentants de l’État, et ce, sous peine d’amendes. Plusieurs intervenants du milieu communautaire se sont mobilisés contre ce projet, comme en fait foi le dépôt en juin dernier du rapport La surveillance et le contrôle technocratique des organismes sans but lucratif (OSBL): un enjeu de droits collectifs, fruit d’une recherche-action menée conjointement par la Table des regroupements provinciaux d’organismes communautaires et bénévoles, le Service aux collectivités (SAC) de l’UQAM et la Ligue des droits et libertés.

Les acteurs clés

Devant le tollé soulevé par le dépôt du projet de loi en 2015, le ministre responsable de l’époque, Jean-Marc Fournier, avait demandé au commissaire au lobbyisme du Québec d’effectuer une consultation publique sur la question. La consultation a bel et bien eu lieu, mais les conclusions tirées par le commissaire au lobbyisme – qui a quitté ses fonctions le 30 juin dernier – sont demeurées inchangées: tous les organismes, grands ou petits, OSBL ou pas, devraient être enregistrés comme lobbyistes. «Il a reconnu que, sur le plan technique et logistique, l’obligation de déclarer chaque contact avec le gouvernement serait nettement au-dessus de la capacité administrative des petits OSBL, mais il s’accroche au principe d’équité selon lequel tous doivent s’enregistrer comme lobbyistes», précise Lucie Lamarche, professeure au Département des sciences juridiques.

Lucie LamarchePhoto: Émilie Tournevache

L’Association des lobbyistes semble particulièrement insistante auprès du commissaire afin que ce dernier fasse pression sur le gouvernement pour l’adoption du projet de loi. «Dans les corridors, on murmure que l’Association des lobbyistes souhaite que le projet soit adopté tel quel afin de compliquer la tâche des petits regroupements d’environnementalistes contre lesquels plusieurs de ses membres luttent un peu partout au Québec, révèle la professeure. Obliger ces petits groupes locaux à s’inscrire à un registre et à composer avec les exigences administratives qui y sont associées serait une façon de leur mettre des bâtons dans les roues.»

À un an des élections, rien ne bouge du côté gouvernemental, constate toutefois Lucie Lamarche. «La ministre responsable de l’Accès à l’information et de la Réforme des institutions démocratiques, Rita de Santis, considère le projet de loi 56 comme l’un des nombreux éléments d’un chantier beaucoup plus vaste touchant la transparence de l’État. Ce faisant, elle oblitère la question politique qui est au cœur de l’argumentaire des organismes communautaires: la nature même des OSBL.»

OSBL et OBNL

Le rapport déposé en juin dernier lève entre autres le voile sur la confusion à propos des termes OSBL et OBNL (organisme à but non lucratif). Jusqu’en 2009, les OSBL, tant au Canada qu’au Québec, ont été incorporés selon une loi sur les compagnies qui les définit comme «une association n’ayant pas de capital-actions». «Certaines organisations, dont celles qui s’identifient à l’économie sociale, se sentent à l’étroit dans l’expression OSBL. Elles préfèrent le recours à l’acronyme OBNL (à but non lucratif), lequel n’exclurait pas l’idée de but économique», affirme le rapport.

En effet, la loi fédérale de 2009 sur les organisations à but non lucratif (OBNL) inclut les activités commerciales, mais ne concerne pas les organisations incorporées en vertu du droit québécois. «Le chaos juridique et linguistique naît du fait qu’au Québec, les OBNL sont sur toutes les lèvres (et surtout les lèvres ministérielles), mais n’existent pas en droit québécois», souligne le rapport.

La crainte des OSBL québécois, souvent des regroupements de quelques personnes soutenant une cause ou venant en aide à leurs concitoyens pour des problématiques bien précises, est d’être un jour assujettis aux mêmes règles administratives que les OBNL.

La liberté d’association

«La trajectoire historique des OSBL et leur pertinence sociale ne semble pas bien comprise par les acteurs gouvernementaux», affirme Lucie Lamarche. Voilà pourquoi le rapport déposé en juin dernier réaffirme avec aplomb la nature des OSBL. «L’argument central du rapport est qu’un OSBL est un regroupement de gens qui exercent un droit fondamental, soit la liberté d’association et d’expression, souligne Lucie Lamarche, qui est l’une des coauteurs du rapport (son collègue Georges LeBel figure également parmi les signataires). Les OSBL disent haut et fort: nous ne sommes pas des lobbyistes. Nous participons à la vie démocratique, mais nous ne sommes pas des influenceurs de décisions politiques comme les lobbyistes traditionnels.»

La professeure ne mâche pas ses mots. «Les lobbyistes professionnels participent d’une business qui voit les gens démocratiquement regroupés comme des compétiteurs. Je peux concevoir que cela les embête, mais ce n’est pas un argument raisonnable pour porter atteinte à la liberté fondamentale qu’est la liberté d’association», dit-elle.

Des capsules vidéo

Le rapport a été utile afin de réitérer la position des OSBL auprès du gouvernement et du commissaire au lobbyisme, mais il a également été utilisé par les acteurs du milieu communautaire pour éduquer leurs membres sur la trajectoire historique des OSBL et la défense de la liberté d’association.

Les OSBL sont sous pression depuis des années, car les exigences comptables à leur endroit se sont multipliées. «Trois capsules vidéo produites dans la foulée du rapport et donnant la parole à des gens du milieu qui témoignent de leur réalité seront en ligne cet automne afin de démontrer l’impact qu’ont ces mesures sur la vie démocratique au quotidien», précise Lucie Lamarche.

La professeure réitère le plaisir qu’elle a à collaborer avec le Service aux collectivités de l’UQAM. «Les filles du SAC sont des facilitatrices hors pair qui mènent leurs projets de main de maître, en effectuant un travail formidable de trait d’union entre les ressources universitaires et le milieu communautaire. Cette mobilisation contre le projet de loi 56 en est un bon exemple», conclut-elle.