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Derrière l’image

La Galerie de l’UQAM accueille avec le Centre Vox l’exposition centrale de Momenta, biennale de l’image.

Par Marie-Claude Bourdon

12 septembre 2017 à 16 h 09

Mis à jour le 12 septembre 2017 à 16 h 09

Dans une des petites salles de la Galerie de l’UQAM, une projection montre un rituel filmé sur l’île de la Pentecôte, dans l’archipel de Vanuatu, par l’artiste française Camille Henrot. Des indigènes sautent dans le vide du haut d’un imposant échafaudage en bambou, les pieds liés par une liane. L’œuvre, intitulée Coupé/Décalé, se confond à s’y méprendre avec un document d’archive anthropologique, mis à part une particularité: l’image se présente en deux moitiés. «L’artiste a coupé la pellicule en son milieu, explique Ami Barak, commissaire de Momenta – Biennale de l’image. Elle a utilisé ce stratagème pour faire comprendre que ce rite de passage n’est plus en usage, que ce qu’elle a filmé est devenu une mise en scène pour les touristes.»

Quelle réalité se cache derrière l’image photographique ou vidéographique? Ce questionnement traverse la série d’expositions présentées dans le cadre de Momenta – Biennale de l’image, 15e édition de l’événement anciennement appelé Le Mois de la photo à Montréal. La nouvelle directrice derrière ce changement d’appellation est la diplômée Audrey Genois (M.A. muséologie, 02), qui a fait ses premières armes comme conservatrice adjointe à la Galerie de l’UQAM, sous la direction de Louise Déry.

«Le mandat reste le même, précise-t-elle, celui d’une biennale d’envergure internationale organisée avec différents partenaires pour mettre en valeur la production des artistes d’ici et de l’étranger.  Le changement de nom reflète les changements technologiques qui ont entraîné une mutation de la photographie, et il met l’accent sur le fait que nous organisons une biennale, avec un commissaire invité et une thématique, et non un festival.»

L’image comme témoin du réel?

Installé à Paris, Ami Barak, le commissaire indépendant d’origine roumaine  invité cette année par la Biennale, a conçu sa programmation sous le thème De quoi l’image est-elle le nom? «J’ai voulu essayer, avec les artistes, de déblayer cette question qui m’obsède depuis un long moment, explique-t-il. Nous avons cette idée, imprimée dans notre ADN, que l’image est une réplique de la réalité, qu’elle dit la vérité. J’ai voulu poser la question de l’image, fixe ou en mouvement, comme témoin du réel.»

Décalages, détournements, renversements … Au fil des images présentées à Vox, centre de l’image contemporaine, et à la Galerie de l’UQAM, les deux lieux où est déployée l’exposition centrale de Momenta, le commissaire indique les multiples façons par lesquelles les artistes interrogent la réalité et la fiabilité de l’image. Plutôt que des témoins objectifs d’une réalité unidimensionnelle, ces artistes sont des révélateurs de sens caché, des lanceurs d’alerte, qui préfèrent la transfiguration à la réplication.

Avec ses portraits de travestis qu’il a convaincu de se dénuder pour la photographie, le Mexicain Luis Arturo Aguirre révèle l’ambiguïté identitaire de ses modèles, leur vulnérabilité et en même temps l’opprobre dont ils sont victimes dans la société mexicaine.

En photographiant de jeunes mannequins qui ont pour leur part accepté de se laisser vieillir artificiellement par des maquilleurs professionnels d’Hollywood, Dora Budor, de Croatie, expose la hantise de ces femmes de perdre leur principal capital: la beauté de la jeunesse. «Le décalage qu’elle met en scène n’est pas dépourvu d’une certaine cruauté», commente le commissaire.

Terrance Houle, un artiste canadien issu des Premières Nations, montre la colonisation à l’envers en introduisant des personnages vêtus d’habits autochtones folkloriques dans ses photographies campées dans la banalité du quotidien des villes canadiennes.

L’Israélien Moshe Ninio a photographié la cabine de verre où se tenait le célèbre criminel de guerre nazi Adolf Eichmann lors de son procès à Jérusalem en 1961-1962. En retournant la perspective, il fait voir le cubicule du point de vue du criminel. Le fond blanc introduit une étrangeté et sur l’une des photos, obtenue grâce à la superposition de deux clichés, dont l’un a été renversé, une forme de spectre apparaît dans le grain du bois.

Dimension fictive

Une projection d’une image du 19e siècle représentant une scène de déblayage de la neige à Montréal se double d’une dimension fictive grâce à une reconstitution sonore de la prise de la vue imaginée par Frédéric Lavoie (M.A. arts visuels et médiatiques, 08). Avec une touche d’ironie, les paroles échangées et les ordres donnés aux figurants dévoilent la mise en scène qui se cache derrière cette image en apparence documentaire et sans doute en grande partie fabriquée.

Pascal Grandmaison (B.A. arts visuels, 99) présente quant à lui un examen presque médical des entrailles d’une caméra 16mm datant de 1963 qui a révolutionné le documentaire. «Cette caméra qu’on pouvait transporter partout et utiliser pratiquement seul a été une des premières caméras nomades, note Ami Barak. En explorant l’intérieur, la mécanique et les engrenages de cet objet emblématique du cinéma vérité, l’artiste s’intéresse au rôle du cinéma documentaire. Dans une sorte de retournement, le sujet est devenu la caméra elle-même.»

Une autre œuvre présentée à Vox évoque de façon très poétique l’obsession contemporaine pour l’image comme trace de notre existence.  La vidéo de Mircea Cantor montre des figures féminines vêtues de voile blanc marchant dans du sable blanc et laissant des traces qu’elles effacent au fur et à mesure.  «C’est une sorte d’allégorie de notre monde où l’on laisse des traces inlassablement dans les médias sociaux… tout en souhaitant pouvoir les effacer», observe le commissaire.

L’exposition centrale du quartier général de Momenta regroupe 23 artistes. Elle est présentée à la Galerie de l’UQAM et à Vox, centre de l’image contemporaine, jusqu’au 15 octobre. En parallèle, des expositions individuelles se tiennent dans une dizaine de lieux à travers Montréal, dont le Musée d’art contemporain (Taryn Simon), le Musée des beaux-arts (Meryl McMaster), le Musée McCord (Jayce Salloum), le Centre Clark (Zanele Muholi) et Optica (Valérie Mréjen et Melix Ohanian).

De nombreux événements sont également organisés dans le cadre de la Biennale: discussions, conférences, ateliers, projections. On peut consulter le programme complet sur le site de Momenta.

Un beau catalogue, coproduit avec la prestigieuse maison d’édition Kerber Verlag, accompagne la tenue de la Biennale.