Série L’actualité vue par nos experts
Des professeurs et chercheurs de l’UQAM se prononcent sur des enjeux de l’actualité québécoise, canadienne ou internationale.
«Cette fois, les sondeurs ont vu juste», souligne en riant Julien Tourreille, chargé de cours au Département de science politique et chercheur en résidence à la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques. Tel que prévu, le candidat centriste pro-européen Emmanuel Macron (24 %) et la candidate du Front national Marine Le Pen (21,3 %) sont effectivement sortis gagnants du premier tour des élections présidentielles françaises. Les deux candidats s’affronteront lors du deuxième tour, qui aura lieu le 7 mai prochain.
La fin du bipartisme?
Avec un président socialiste présentant une cote de popularité abyssale, le candidat du parti Les Républicains, François Fillon, aurait pourtant dû l’emporter facilement, estime Julien Tourreille. «Les Républicains ont sous-estimé l’impact des scandales pour lesquels leur candidat a été mis en examen. Ils auraient dû choisir un autre candidat.» François Fillon, qui a obtenu 20 % des voix, a été inculpé un peu plus d’un mois avant le premier tour pour détournement de fonds publics. Quant à Benoît Hamon, il a récolté le pire score (6,4 %) du Parti socialiste à un premier tour depuis 1969.
Il n’en fallait pas plus pour que les commentateurs politiques relancent le débat sur la fin du bipartisme à la française. «On annonce souvent la mort des partis après de cuisantes défaites électorales, mais il faudra attendre les élections législatives, à la mi-juin, pour porter un meilleur jugement, affirme le chercheur. Cela dit, les Républicains et le Parti socialiste ont matière à réflexion au lendemain de ce premier tour. Les électeurs ont voulu leur envoyer un message clair: ils ne sont pas satisfaits de la façon dont la France a été gouvernée au cours des dernières années.»
La transformation du Front national
Quelques journaux français, dont le quotidien Le Monde, ont rappelé qu’il ne fallait pas banaliser l’accession du Front national au second tour d’une élection présidentielle pour la deuxième fois en 15 ans. «En 2002, les gens étaient descendus dans les rues pour manifester leur indignation et faire barrage au Front national de Jean-Marie Le Pen. On ne sent pas la même urgence cette fois-ci, constate Julien Tourreille. Cela est dû au travail de polissage effectué par Marine Le Pen, qui a réussi le “lifting” de son parti. Elle a su consolider sa base d’électeurs, surtout dans le nord, l’est et le sud-est de la France.»
«En 2002, les gens étaient descendus dans les rues pour manifester leur indignation et faire barrage au Front national de Jean-Marie Le Pen. On ne sent pas la même urgence cette fois-ci.»
Julien Tourreille
Chargé de cours et chercheur en résidence à la Chaire Raoul-Dandurand
Lors de ce premier tour, Marine Le Pen a amélioré les résultats obtenus par son père Jean-Marie en 2002 par plus de deux millions de voix. «C’est la première fois que le Front national obtient plus de 20 % des voix», précise le chercheur.
Les candidats défaits François Fillon et Benoît Hamon ont appelé les électeurs à se ranger derrière Emmanuel Macron, mais le «front républicain», comme on l’avait désigné en 2002, comporte quelques fissures. «Le candidat de l’extrême-gauche Jean-Luc Mélenchon (19,6 %) a prononcé le discours le plus troublant à l’issue de ce premier tour, en refusant de prendre clairement position pour le second tour. C’était inattendu, note le chercheur. Ses électeurs, attachés à la République et allergiques à l’extrême-droite, devraient majoritairement reporter leur vote vers Emmanuel Macron au deuxième tour. Mais certains préféreront peut-être s’abstenir.»
Le plus jeune président de la République?
Le prochain président de la France sera vraisemblablement Emmanuel Macron. «Il ne devrait pas y avoir de surprise comme avec le Brexit ou avec les élections américaines, car l’écart est assez important entre Macron et Le Pen», affirme Julien Tourreille. Les résultats du premier tour à peine dévoilés, les sondages donnaient 62 % des intentions de vote à Emmanuel Macron face à Marine Le Pen. «Il est possible que cet écart se réduise si Macron ne fait pas une bonne campagne de second tour et si le report des voix ne fonctionne pas bien, mais de là à envisager Le Pen comme gagnante, non…», laisse tomber le chercheur.
Le débat Macron-Le Pen, qui aura lieu la semaine prochaine, revêt une importance significative selon lui. «En 2002, Jacques Chirac avait refusé de débattre avec Jean-Marie Le Pen, rappelle Julien Tourreille. Là, ça m’étonnerait que Macron refuse, car il n’a pas le même élan. À l’époque, Chirac l’avait emporté avec 82 % des voix!»
Dans un contexte marqué par la menace terroriste, Emmanuel Macron a-t-il la stature d’un président de la République ? «Pendant sa campagne, il a su rassurer les Français sur ses capacités à diriger et il a fait preuve de fermeté lorsque questionné sur des enjeux liés à la sécurité, analyse Julien Tourreille. Son discours ne souffre pas d’angélisme ou de naïveté et il sait s’entourer de conseillers avertis.»
Advenant sa victoire, Emmanuel Macron, 39 ans, deviendrait le plus jeune président de la République devant Louis-Napoléon Bonaparte. Jamais élu, le centriste fut ministre de l’Économie de 2014 à 2016 dans le gouvernement de Manuel Valls avant de démissionner en août dernier pour se consacrer à son mouvement politique En marche! «Je suis curieux de voir quelle sera sa stratégie pour les élections législatives, souligne Julien Tourreille. Il compte présenter des candidats afin de recueillir un mandat fort et ne pas se voir obligé de gouverner par coalition avec les partis existants. Et il a affirmé sa volonté d’investir des candidats qui représentent un peu plus la diversité socioéconomique française. Il veut plus de représentants de la société civile, en lieu et place des fonctionnaires et des politiciens de carrière. Voilà une avenue intéressante.»
On peut consulter la liste d’experts de l’UQAM prêts à éclairer les diverses facettes de cette élection.