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Un nouveau LaboPop

La culture populaire québécoise entre au laboratoire.

Par Claude Gauvreau

15 juin 2017 à 9 h 06

Mis à jour le 20 juin 2017 à 15 h 06

Le chanteur et animateur Pierre Lalonde était l’une des vedettes les plus populaires des années 1960.

Chansons, romans en séries, variétés radiophoniques et télévisuelles, téléromans, best-sellers… Marquée par une grande diversité de genres, de formes et de supports, la culture populaire constitue un objet de recherche polyphonique, difficile à cerner. N’empêche, inauguré le 25 mai dernier à l’UQAM, le Laboratoire de recherche sur la culture de grande consommation et la culture médiatique au Québec (LaboPop) se consacrera à l’étude des différentes productions de la culture populaire, des années 1920 à aujourd’hui.  

Dirigé par les professeurs Chantal Savoie (études littéraires) et Pierre Barrette (École des médias), tous deux membres du Centre de recherche interuniversitaire sur la littérature et la culture québécoises (CRILCQ), le LaboPop ne cherche ni à célébrer ni à dénigrer la culture populaire. Adoptant une approche multidisciplinaire, il vise à saisir dans ses dimensions sociologique, esthétique et symbolique un vaste réservoir de récits, d’images et de thèmes véhiculés par une culture faisant partie de l’histoire culturelle du Québec.

«Nous voulons simplement mieux comprendre comment les préoccupations d’une époque s’incarnent dans certaines formes et dans certains supports de la culture de grande consommation», explique Chantal Savoie. «Quand on compare ce que les gens consommaient en termes culturels et ce qui était valorisé et encouragé par les élites, on se rend compte qu’il y a peu de correspondance entre les deux univers, dit Pierre Barrette. L’histoire de la presse écrite, par exemple, s’est limitée à celle des grands quotidiens. On a négligé les journaux plus populaires, comme Photo Police et Échos Vedettes, qui ont contribué eux aussi à structurer l’imaginaire collectif québécois.»

Un espace documentaire

Le LaboPop offrira un ensemble intégré de stockage, de traitement et d’interprétation de données de toutes sortes: documents écrits (livres, fascicules, journaux), sonores (chansons, émissions de radio) et audiovisuels (épisodes de téléromans, émissions de variétés). Des fiches signalétiques consigneront des renseignements descriptifs sur les diverses productions culturelles. «Les chercheurs qui s’intéressent à la culture populaire se connaissent, mais ne travaillent pas toujours ensemble, note Chantal Savoie. Ils pourront continuer de mener leurs propres projets de recherche tout en interagissant avec la base de données du LaboPop, laquelle proposera également de nombreuses ressources documentaires issues de divers projets de recherche sur la culture de grande consommation.»

La banque sera accessible aux professeurs et aux étudiants de toutes les universités. Des professeurs de l’Université de Montréal, de McGill et de Sherbrooke ont déjà établi des contacts avec les codirecteurs du Laboratoire.

«L’important est de s’assurer que les recherches existantes, passées et actuelles, soient répertoriées dans un même espace, souligne Chantal Savoie. Je pense, notamment, aux recherches des anciennes professeures de l’UQAM Julia Bettinotti – sur les romans Harlequin – et Renée Legris – sur les séries radiophoniques dramatiques.» Plusieurs autres travaux pourront s’ajouter, comme ceux des chercheurs de l’Université Laval sur les romans en fascicules publiés au Québec de 1940 à 1970, tels que Les aventures de l’espion IXE-13 ou Les aventures policières d’Albert Brien, détective national des Canadiens français.

«Le laboratoire ne vise pas tant à fédérer des chercheurs qu’un ensemble de données et de recherches, plus ou moins dispersées et difficilement accessibles parce que faiblement numérisées», observe Pierre Barrette.

Interroger les données

Un autre volet du projet consistera à annoter les fiches descriptives à l’aide d’un système de métadonnées qui permettra de les relier entre elles. «Nous voulons interroger les corpus de la culture populaire de manière différente car, jusqu’à maintenant, ceux-ci ont toujours été étudiés par petits ensembles, remarque Chantal Savoie. Certains chercheurs travaillent sur la musique populaire, d’autres s’intéressent à la télévision, d’autres encore se penchent sur les best-sellers. Notre défi est de construire une série de rapports transversaux entre les objets culturels.»

La professeure a mené une recherche sur la chanson populaire des années 40 au Québec en retraçant les préférences musicales des jeunes lectrices du Bulletin des agriculteurs. «On observe dans ces chansons des éléments de modernité associés aux thèmes du voyage et de la rencontre amoureuse, lesquels se retrouvent aussi au cinéma, dans une partie de la littérature des femmes et dans les publicités des magazines de cette époque. Nous sommes vraiment dans un imaginaire culturel en voie de changement. Les transformations dans ce domaine sont souvent liées à l’émergence d’une nouvelle génération qui, pour se démarquer de la précédente, trouve des véhicules culturels lui permettant de se forger une identité sociale.»    

Pierre Barrette, pour sa part, travaille à un projet de recherche sur le développement d’une culture de la célébrité au Québec, à partir des émissions de jeux et de variétés à la télévision, durant les années 60. «Les figures populaires qui y apparaissaient, comme Michel Louvain, Pierre Lalonde et Dominique Michel, se retrouvaient aussi dans les journaux à potins, à la radio et au cinéma, contribuant à l’émergence d’un star system québécois, différent de celui des États-Unis parce que fondé sur des rapports de proximité et de familiarité avec le public.»

En comptant sur l’expertise d’Olivier Lapointe, informaticien et doctorant en études littéraires, le LaboPop pourra cartographier les salles de danse à Montréal à une époque donnée, ou les décors de l’action dans les téléromans d’une certaine période. «Imaginons un corpus de deux téléromans de 10 épisodes chacun, l’un des années 60 et l’autre des années 80, dit Pierre Barrette. À l’aide d’outils d’analyse automatisés, nous pourrions établir un graphique qui compare l’échelle des plans et la profondeur de champ entre les deux corpus, permettant ainsi de saisir l’évolution de la représentation de l’espace dans le langage télévisuel.»