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Le Quartier latin d’hier à aujourd’hui

Foyer intellectuel de l’Amérique francophone au tournant du 20e siècle, le quartier de l’UQAM a retrouvé sa place au cœur de la vie culturelle montréalaise.

Par Claude Gauvreau

13 avril 2017 à 10 h 04

Mis à jour le 31 mai 2019 à 13 h 05

Série Cinquante ans d’histoire
L’UQAM, qui célèbre son 50e anniversaire en 2019-2020, a déjà beaucoup d’histoires à raconter. La plupart des textes de cette série ont été originalement publiés de 2006 à 2017 dans le magazine Inter. Des notes de mise à jour ont été ajoutées à l’occasion de leur rediffusion dans le cadre du cinquantième.

La rue Saint-Denis avec l’Université Laval et le clocher de l’église Saint-Jacques vers 1910.Photo: Musée McCord

D’origine parisienne, l’expression quartier latin remonte au Moyen Âge. À cette époque, elle désignait l’arrondissement d’une cité où s’élevaient les écoles et les universités, dans lesquelles l’enseignement était dispensé en latin. Ceinturé par la rue Saint-Antoine au sud, Sherbrooke au nord, ainsi que par la rue Saint-Hubert et le boulevard Saint-Laurent, à l’est et à l’ouest, le Quartier latin de Montréal a une histoire qui remonte bien avant la construction du campus de l’UQAM dans les années 1970. Cette histoire commence au 19e siècle, autour de l’église Saint-Jacques, celle qui a donné son clocher à l’UQAM et qui a été, pendant quelques années, la cathédrale de l’évêché.

Au début des années 1800, la rue Saint-Denis constitue l’axe principal du Montréal francophone. La rue sert de voie de passage entre la ville fortifiée, au sud, et les villages formant aujourd’hui le Plateau-Mont-Royal. L’église y est érigée de 1823 à 1825, entre Sainte-Catherine et de Maisonneuve.

«La construction de l’église Saint-Jacques traduit la volonté de la bourgeoisie catholique canadienne-française de s’installer dans ce secteur de la ville, observe le professeur émérite de l’École de design Marc H. Choko. Un geste correspondant à une ascension tant économique que géographique, qui entraînera la construction d’autres bâtiments prestigieux.»

À l’époque, de plus en plus de bourgeois francophones quittent les vieux quartiers encombrés du bas de la côte pour se bâtir de belles demeures le long des rues Saint-Denis et Saint-Hubert. Des avocats et des médecins s’établissent au rez-de-chaussée et louent les étages supérieurs à des familles. C’est pour desservir cette clientèle cossue que la rue Sainte-Catherine, alors un simple chemin, ne tardera pas à devenir une artère commerciale.

L’église Saint-Jacques connaîtra une histoire tumultueuse. En 1836, Mgr Lartigue, premier évêque de Montréal, en fait sa cathédrale. Mais, en juillet 1852, le plus désastreux incendie de l’histoire de Montréal rase l’église et le palais épiscopal encore en construction. Le nouvel évêque, Mgr Bourget, transfère le siège de l’épiscopat dans l’ouest de la ville, sur l’emplacement de l’actuelle cathédrale Marie-Reine-du-Monde. Une église paroissiale est reconstruite sur le site de l’ancienne cathédrale, mais, en 1858, les travaux sont perturbés par un nouvel incendie et ne seront achevés qu’en 1860.

Un ferment intellectuel

L’antenne montréalaise de l’Université Laval sur la rue Saint-Denis, à Montréal, en 1903.Photo: Musée McCord

«Le Quartier latin prend forme quand une “succursale” de l’Université Laval s’installe en 1895 à l’angle sud-est des rues Saint-Denis et Sainte-Catherine, près de l’église Saint-Jacques, là où se trouve aujourd’hui le pavillon Hubert-Aquin de l’UQAM», souligne le professeur du Département d’histoire Paul-André Linteau, spécialiste de l’histoire de Montréal [aujourd’hui professeur émérite]. La nouvelle université s’implante au cœur du quartier bourgeois francophone, concentré entre les élégants squares Viger, au sud, et Saint-Louis, au nord. «Elle héberge trois facultés – théologie, droit et médecine – et accueille les fils de la bourgeoisie canadienne-française», note l’historien.

L’Université Laval s’établit dans la métropole en dépit des protestations de Mgr Bourget, ardent défenseur d’une université montréalaise autonome. Il faut attendre 1919 pour que l’institution de la rue Saint-Denis obtienne sa propre charte et porte le nom d’Université de Montréal. La première université catholique et francophone de Montréal (du côté anglophone, l’Université McGill est en pleine expansion à l’ouest de la ville) constitue alors le berceau de la vie intellectuelle canadienne-française et le noyau du Quartier latin qui se forme à sa périphérie.

D’autres établissements prestigieux sont apparus, contribuant eux aussi à dynamiser le secteur. En 1905, l’École Polytechnique s’installe rue Saint-Denis, face à l’église Saint-Jacques, dans l’édifice qui abrite aujourd’hui le pavillon Athanase-David. En 1910, l’École des hautes études commerciales (HEC) est logée dans un magnifique bâtiment de style beaux-arts, aux abords du square Viger, où se trouve aujourd’hui BAnQ Vieux-Montréal. Puis, en 1915, l’érection de la Bibliothèque Saint-Sulpice rue Saint-Denis consacre la vocation universitaire du quartier.

Le carré Viger vers 1907. La fontaine qu’on aperçoit à gauche de l’image se trouve maintenant dans le square Saint-Louis.  Photo: Neurdein Frères / Musée McCord

Une partie de l’élite canadienne-française se regroupe autour du très fréquenté square Viger, inauguré en 1860. «Le square Viger est alors la place publique la plus prestigieuse à Montréal, dit Marc H. Choko. On y trouve la première grande serre, un kiosque à musique et une gare-hôtel luxueuse, construite en 1898 par le Canadien Pacifique sous la pression du maire, qui voulait dans l’est de la ville l’équivalent francophone de la gare Windsor. Quand le prince de Galles vient à Montréal, c’est à l’hôtel Viger qu’il réside.» Paul-André Linteau abonde dans ce sens. «Les bourgeois du quartier y réservent des salles pour des mariages, des fêtes et autres réceptions. Malheureusement, l’hôtel ferme ses portes en 1935, dans un contexte de crise économique, malgré la vive opposition de politiciens et de gens d’affaires de l’est de Montréal.»

La luxueuse gare-hôtel du CP, vers 1901. C’est là que les bourgeois du quartier organisent fêtes, mariages et autres réceptions.Photo: William Notman & Son / Musée McCord

De l’âge d’or au déclin

Au tournant du 20e siècle, des notables, magistrats, hommes de lettres et étudiants fréquentent assidument les cafés-terrasses, librairies, tabagies et estaminets du Quartier latin de Montréal, alors réputé pour être le principal  foyer intellectuel et culturel de l’Amérique francophone.

On raconte qu’à l’hiver 1895, six amis épris de littérature ont l’habitude de se réunir dans un café, rue Sainte-Catherine est. Ils arrosent leurs rêves et leurs complaintes à grands verres d’absinthe et de cognac. Fanfarons, ils se baptisent le «Club des six éponges». L’École littéraire de Montréal, dont faisait partie le poète Émile Nelligan, serait issue, dit-on, de leurs rencontres informelles.

La rentrée des classes dans le Quartier latin en 1937, à l’époque où l’Université de Montréal est installée rue Saint-Denis. Photo: Conrad Poirier / BAnQ

​En 1937, une petite librairie ouvre ses portes au 67, rue Sainte-Catherine. On peut non seulement y bouquiner, mais aussi y entendre son propriétaire, Henri Tranquille, discourir sur tous les sujets possibles. La librairie Tranquille devient rapidement l’un des lieux incontournables de la bohème littéraire et artistique montréalaise. C’est là que furent mis en vente, en 1948, les 400 exemplaires du manifeste Refus global.

Le divertissement occupe une place importante dans le secteur du Quartier latin, particulièrement rue Sainte-Catherine. Le Théâtre Français, inauguré en 1884 près de Saint-Dominique (le Métropolis actuel [aujourd’hui MTELUS]), présente des spectacles populaires et du vaudeville. Le Théâtre National (entre Montcalm et Beaudry) ouvre ses portes en 1900, suivi en 1906 par le cinéma Ouimetoscope (coin Montcalm). Des cours, des conférences, des films et des spectacles de variétés sont présentés au Monument-National, boulevard Saint-Laurent, siège social à l’époque de la Société Saint-Jean-Baptiste. Enfin, comment oublier les nuits de Montréal avec les restaurants, les cabarets ou les boîtes de nuit qui se multiplient à compter des années 1920. Le Red Light, boulevard Saint-Laurent, se développe, abritant débits de boisson, spectacles d’effeuilleuses, maisons de jeux et de prostitution.

La vitalité du Quartier Latin se maintient jusqu’en 1942, année où l’Université de Montréal déménage ses pénates sur le mont Royal. Plusieurs familles bourgeoises se déplacent elles aussi vers Outremont.

Mais le quartier avait déjà commencé à perdre de son prestige avec la crise économique des années 1930, affirme Paul-André Linteau. «Le secteur est plus ou moins entretenu et la rue Saint-Denis, où surgissent des maisons de chambre et des tourist rooms, devient beaucoup moins animée. Le tissu social se dégradera peu à peu au cours des décennies suivantes.»

Un nouveau souffle

À la création de l’UQAM, en 1969, les étudiants doivent suivre leurs cours dans 14 édifices vétustes éparpillés dans le centre-ville. Dix ans plus tard, l’inauguration des pavillons Judith-Jasmin et Hubert-Aquin, à l’angle des rues Saint-Denis et Sainte-Catherine, redonne sa vocation originelle au Quartier latin. «La présence de ce nouveau campus et celle des librairies, cinémas, restaurants, boutiques et cafés qui refont alors surface contribuent à donner un nouveau souffle au quartier et lui permettent de renouer avec le dynamisme culturel du début du siècle, note Paul-André Linteau. Elles favorisent le retour d’une population étudiante qui, couplée à celle du Cégep du Vieux-Montréal, ravive le Quartier latin.»

Dans les années 1970, la construction du campus central au centre-ville reflète la volonté de développer une université populaire et accessible. Photo: Service des archives/UQAM

La construction du campus central au centre-ville reflète la volonté de développer une université populaire et accessible, souligne Marc H. Choko. «Ce n’est pas étonnant si les nouveaux bâtiments sont installés au-dessus de la station Berri, au croisement des trois lignes du métro de Montréal.» D’autres pavillons – Paul-Gérin-Lajoie, Gestion, Design, DeSève – ainsi que le Centre sportif seront construits au cours des années 1990, transformant le paysage bâti du quartier.

Le Festival international de Jazz de Montréal durant les années 1980 et le Festival Juste pour rire, depuis les années 1990 jusqu’au milieu des années 2000, participent aussi à la relance du secteur, tout comme la Cinémathèque québécoise, le  théâtre Saint-Denis et Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ). Le clocher de l’ancienne église Saint-Jacques, devenu celui de l’UQAM, se transforme en un espace d’expression pour les arts visuels et numériques, contribuant à la requalification de la rue Saint-Denis et du Quartier latin. De nombreux étudiants et professeurs des facultés des arts et de communication participent à des projets d’installations et d’œuvres vidéo qui permettent d’animer et d’illuminer le site du célèbre clocher, notamment lors d’événements culturels comme Montréal en lumière.

Aujourd’hui, avec le Quartier des spectacles, dont l’UQAM est l’un des partenaires, le Quartier latin occupe une place essentielle dans la diffusion de la culture locale et internationale.

Source:
INTER, magazine de l’Université du Québec à Montréal, Vol. 15, no 1, printemps 2017.