
La guerre civile en Syrie a causé la mort et provoqué l’exil de centaines de milliers de personnes depuis 2011. Quelles sont les origines historiques de ce conflit complexe ? Le professeur du Département d’histoire Stefan Winter répondra à cette question dans le cadre d’une communication au colloque «Vers un nouvel ordre au Moyen-Orient: enlisement, réformes et repositionnements diplomatiques». Organisé par l’Observatoire sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques, l’événement se déroulera le 21 avril, de 8h 30 à 18h, à l’auditorium de la Grande Bibliothèque (BaNQ).
Spécialiste du Proche-Orient à l’époque ottomane, Stefan Winter a vécu plusieurs années en Turquie, en Syrie et au Liban. Il a publié A History of the Alawis, ouvrage paru en 2016 aux Presses de l’Université Princeton.
Le nom Syrie désigne à l’origine plusieurs provinces appartenant à l’ancien empire byzantin. «Après la conquête arabe au VIIe siècle, il n’existe plus d’unité administrative, politique et juridique portant ce nom jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale, qui entraîne le démembrement de l’empire ottoman, rappelle le professeur. Sans tenir compte des intérêts et des aspirations des populations, la France et la Grande-Bretagne – puissances coloniales européennes – se partagent alors des zones d’influence en créant des frontières artificielles, lesquelles constituent depuis une source de conflits.»
En vertu des accords Sykes-Picot d’avril 1916, Français et Britanniques s’entendent sur le démantèlement des provinces non turques de l’empire ottoman, comme la Syrie, le Liban et la Palestine. «Dans le cadre du découpage territorial issu de ces accords, le nord du Proche-Orient revient à la France et le sud à la Grande-Bretagne, explique Stefan Winter. En 1920, les Français décident de constituer le Liban en un État autonome, tout en le contrôlant, tandis que le reste de la région devient la Syrie.» Celle-ci demeure sous la tutelle de la France jusqu’à l’obtention de son indépendance en 1946.
Succession de coups d’État
Après avoir participé à la première guerre israélo-arabe en 1948, la Syrie connaît une période de grande instabilité politique, marquée par de nombreux coups d’État au cours des années 1950 et 1960. «Avant leur départ, les Français n’avaient pas mis en place des institutions nationales fortes ni des structures politiques démocratiques, de type parlementaire, pour assurer la stabilité de l’État», observe l’historien. Le régime syrien se compose d’anciens notables et de propriétaires terriens ainsi que de membres de l’armée nationale, discrédités aux yeux de la population. «Un discours politique, celui du nationalisme arabe, se met en place, visant à unir les populations de la région pour chasser les colonisateurs et pour réviser les frontières que personne ne reconnaît en Syrie», note Stefan Winter.
Ce nationalisme conduit la Syrie à s’unir avec l’Égypte en 1958 pour former la République arabe unie, mais des dissensions font avorter le projet et la nouvelle entité est dissoute en 1961. Le parti Baas, un parti nationaliste et pan-arabiste prend néanmoins le pouvoir en 1963 à la faveur d’un coup d’État.». Sept ans plus tard, en 1970, Hafez al-Assad, le père du président actuel Bachar al-Assad, devient président du pays et le demeurera jusqu’à sa mort, en 2000. «Son objectif était d’assurer une stabilité politique au régime et cela a fonctionné durant 30 ans», souligne le professeur
Mosaïque religieuse
La population syrienne est une mosaïque religieuse composée de musulmans sunnites (75%), d’Alaouites chiites (10%), de chrétiens (10%) de Druzes et de Kurdes sunnites. À l’époque de la montée des nationalismes et des luttes anti-coloniales dans les années1950 et 1960, les différences entre les communautés ethniques et religieuses étaient moins importantes qu’aujourd’hui. «Les musulmans et les chrétiens se disaient tous Arabes, rappelle Stefan Winter. Les choses ont commencé à changer avec le déclin du nationalisme arabe et la défaite contre Israël lors de la guerre de 1967. À partir des années 1970, l’appartenance à une communauté ethno-religieuse devient un facteur identitaire et politique. L’identité religieuse d’Hafez al-Assad, issu de la minorité chiite alaouite, était d’ailleurs perçue comme un problème par plusieurs musulmans sunnites.»
Les dirigeants en Syrie, en Égypte et en Irak refusent de partager le pouvoir et s’entourent de gens issus de leur famille ou de leur région natale. «Le régime d’al-Assad père a rapidement pris l’allure d’un gouvernement contrôlé par des membres de la minorité alaouite, contre le reste du pays, remarque l’historien Tous les postes clés dans l’armée et dans les services de sécurité et de renseignement étaient occupés par des Alaouites.»
De la libéralisation à la répression
À partir de 1990, le parti Baas pratique une politique de libéralisation économique et favorise les investissements étrangers. «Le pays se modernise, mais les clivages sociaux se creusent, note Stefan Winter. Une minorité de riches font carrière dans l’armée et forment une élite étatique, tout comme en Tunisie et en Égypte.» L’arrivée au pouvoir de Bachar al-Assad en 2000, après le décès de son père, suscite certains espoirs. «Jeune technocrate formé en Angleterre, il représente un gouvernement civil d’apparence plus ouvert.» De juillet 2000 à février 2001, c’est le «Printemps» de Damas: des groupes de la société civile et des intellectuels réclament des réformes démocratiques. Mais, après quelques mois d’effervescence, la répression s’abat et plusieurs leaders du mouvement son emprisonnés.
En Syrie, les universités, les syndicats et les autres associations de la société civile, y compris sportives, sont sous la férule de l’État depuis les années 1970. «Les seules associations indépendantes sont religieuses et sont rattachées aux Frères musulmans», indique le chercheur.
Quand éclate le printemps arabe, en 2011, des Syriens descendent dans la rue. «Les manifestants n’appellent pas à renverser le gouvernement, mais exigent plus de démocratie, souligne Stefan Winter. Le régime de Bachar al-Assad se durcit, jette de l’huile sur le feu en agitant le spectre d’une guerre civile et se présente comme le seul rempart pour préserver l’unité du pays contre la menace djihadiste.»
Un pays dévasté
Le professeur ne s’attend pas à de grands changements en Syrie, du moins à court terme. «Avant Noël, on a cru que l’armée de Bachar al-Assad, avec l’appui de la Russie, finirait par l’emporter. Pourtant, la guerre se poursuit. Au cours des dernières semaines, les djihadistes, soutenus par la Turquie, ont continué d’opposer une forte résistance.»
Même si les forces de Bachar al-Assad l’emportent, comment se maintiendront-elles au pouvoir dans un pays dévasté, dont l’économie est en ruines ? «Chose certaine, on ne pourra pas retourner en arrière et recréer un État syrien centralisé et fort», conclut Stefan Winter.