Une douzaine d’étudiants de la maîtrise en sciences de la Terre de l’UQAM, de l’UQAC et de l’Université d’Orléans, en France, ont effectué un périple de 10 jours dans l’Ouest américain, en octobre dernier. Ayant pour objectif d’étudier les systèmes hydrothermaux et les gisements minéraux, cette excursion avait lieu dans le cadre du cours Hydrothermalisme, donné par le professeur du Département des sciences de la Terre et de l’atmosphère Michel Jébrak, dont c’était le dernier cours en 30 ans de carrière.
Ce n’est pas un hasard si le professeur a choisi cette destination pour son chant du cygne. «J’ai fait un postdoctorat dans l’État du Colorado dans les années 1980, indique-t-il. Pour moi, cette excursion marquait la fin d’un cycle.»
Au fil des ans, Michel Jébrak s’est beaucoup impliqué dans la vie uqamienne. Successivement professeur, directeur départemental, vice-doyen et doyen de la Faculté des sciences, il a ensuite occupé le poste de vice-recteur à la Recherche et à la création, avant de revenir à l’enseignement en 2008.
Le voyage dans l’Ouest américain organisé par le professeur a été rendu possible grâce à des contributions du Département des sciences de la Terre et de l’atmosphère, du vice-président de la minière Osisko, Robert Wares, et du fonds FODAR UQAM-UQAC. Les collègues de Michel Jébrak, Florent Barbecot et Stéphane De Souza, accompagnaient également le groupe d’étudiants.
Des paysages diversifiés
«Pour bien comprendre le passé, il faut comprendre le présent, souligne le géologue. L’absence de végétation dans les zones désertiques permet d’examiner à l’œil nu les richesses géologiques de l’Ouest américain. C’est l’endroit où la cordillère américaine est la plus large, ce qui offre des paysages très diversifiés.»
L’avion atterrissant à Las Vegas, au Nevada, un arrêt dans la capitale du vice s’imposait. «Cette ville artificielle ne présente aucun intérêt pour les géologues, si ce n’est du faux volcan en plein centre-ville», lance Michel Jébrak à la blague. À bord de trois autocars, le groupe s’est ensuite dirigé vers la Vallée de la mort, en Californie. Sous une température de 35 degrés – très confortable si on la compare avec la température moyenne estivale, qui excède 45 degrés –, les étudiants ont marché dans le bassin du lac Badwater, un lac d’eau salée à sec situé à 85 mètres sous le niveau de la mer, soit le point le plus bas des États-Unis.
Après avoir visité quelques mines et parcs nationaux, le groupe a ensuite fait halte au majestueux Grand Canyon, en Arizona. «Toutes les strates forgées par le fleuve Colorado ont fait du Grand Canyon un livre ouvert sur plus de 500 millions d’années d’histoire, raconte Michel Jébrak. Le fond du canyon date de 1,8 milliard d’années, soit plus du tiers de l’âge de la Terre.»
Dinosaures et calderas
Guidés par un amérindien navajo, les étudiants se sont ensuite rendus dans un désert de l’Utah pour admirer des empreintes de pattes de dinosaures qui datent de plus de 120 millions d’années! «Ce qui m’amuse, c’est qu’on voit les pattes, mais aucune trace de leur queue. Les dinosaures se promenaient la queue en l’air», mentionne le professeur.
Avant d’arriver à Denver, le groupe a fait une dernière escale dans une caldera – super volcan – située dans les montagnes de San Juan, au Colorado. Avec un diamètre de plus de 80 kilomètres, La Garita constitue la plus grande caldera du monde. «L’explosion d’une caldera rejette des dizaines de kilomètres cubes de roches dans l’atmosphère. Non seulement ça détruit toute la zone, mais la poussière modifie le climat d’une bonne partie de la planète.» Michel Jébrak donne l’exemple de l’éruption du volcan Krakatoa, en Indonésie. À la fin du 19e siècle, elle avait modifié la couleur du ciel jusqu’à Paris et Londres… à plus de 11 000 kilomètres du volcan! «Heureusement pour nous, la Garita n’est plus en activité depuis 24 millions d’années», rassure le professeur.
« Nos anciens étudiants ont remplacé les Américains et les Ontariens à la tête des grandes entreprises du Québec en géologie. »
Michel Jébrak,
Professeur au Département des sciences de la Terre et de l’atmosphère
Une carrière bien remplie
Détenteur de deux doctorats en sciences et en géologie des ressources minérales de l’Université d’Orléans, Michel Jébrak a été embauché au Département des sciences de la Terre de l’UQAM en 1987. Lorsqu’il soumet la proposition d’acheter un microscope électronique à balayage, la direction de l’époque accepte d’acheter cet objet d’une valeur de plus de plus de 500 000 dollars. «Ce genre de décisions a contribué à forger l’expertise de l’UQAM en géologie, reconnue à l’échelle mondiale», commente le professeur. Aujourd’hui, le Département des sciences de la Terre et de l’atmosphère forme près de la moitié des géologues au Québec. «Nos anciens étudiants ont remplacé les Américains et les Ontariens à la tête des grandes entreprises du Québec en géologie», affirme-t-il avec fierté.
Au début des années 1990, il participe à la création de l’Institut des sciences de l’environnement. Cette conscience environnementale continuera de l’habiter tout au long de sa carrière. En 2009, il prend la tête de la Chaire UQAT-UQAM en entrepreneuriat minier, qui vise, dans une perspective de développement durable, à améliorer les pratiques au sein des entreprises minières. «Le développement minier doit absolument aller de pair avec les autres activités de la société. C’est pourquoi l’équipe de la Chaire comprend, en plus des géologues, des sociologues, des historiens, des économistes et des géographes.»
Spécialiste des ressources minérales, Michel Jébrak est l’auteur de plus d’une centaine de publications scientifiques dans des revues internationales. Son manuel Géologie des ressources minérales, rédigé conjointement avec Éric Marcoux en 2008, fait figure d’autorité dans le monde francophone. Mais c’est aussi un amateur d’art, qui a apprécié son expérience au poste de vice-recteur à la Recherche et à la création. «Cela m’a donné l’occasion de dialoguer avec tous les chercheurs et créateurs de l’UQAM. J’ai même participé à un colloque en danse. Pas mal pour un géologue!»
Lorsqu’il prendra sa retraite en juin prochain, Michel Jébrak compte bien demeurer actif comme professeur associé. Il souhaite également développer un nouveau champ de recherche sur les interactions entre la géologie et les sciences humaines. «Le grand défi des universités est de gérer des domaines transdisciplinaires. Le cloisonnement des disciplines produit une vision morcelée du savoir, et contribue à instrumentaliser les scientifiques, qui se font dire par les autorités qu’ils sont compétents uniquement dans leur propre niche. Il est essentiel que les universités établissent davantage de liens entre les disciplines pour développer un regard plus complexe sur la société.»