«La croyance aveugle dans les vertus de la croissance matérielle illimitée, la soumission aux lois du marché – même teintées de vert ou de durable –, l’hyperconsommation et la double persistance des asymétries Nord-Sud accompagnée du pillage implacable des écosystèmes et des déshérités de la modernité demeurent la trame de notre existence quotidienne au troisième millénaire». Ces quelques lignes d’introduction donnent le ton à l’ouvrage collectif L’espoir malgré tout. L’œuvre de Pierre Dansereau et l’avenir des sciences de l’environnement (Presses de l’Université du Québec).
«Devant l’intensification et la complexification des problématiques environnementales auxquelles l’humanité est confrontée, la pensée de Pierre Dansereau, ce pionnier de l’écologie, apparaît comme un antidote au désespoir ambiant», affirme le professeur du Département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale René Audet. Titulaire de la Chaire de recherche sur la transition écologique, il a codirigé la publication de l’ouvrage avec Normand Brunet, ancien chargé de cours et professeur associé à l’Institut des sciences de l’environnement, Marie Saint-Arnaud, chercheuse associée au Centre de recherche en éducation et formation relatives à l’environnement et à l’écocitoyenneté (Centr’ERE), et Paulo Freire Vieira, professeur à l’Université fédérale de Santa Catarina, au Brésil.
La carrière de Pierre Dansereau (1911-2011) s’est étalée sur plus de six décennies Celui qui a donné son nom au Complexe des sciences de l’UQAM jouissait déjà d’une grande renommée quand il a joint les rangs de l’Université en 1972. Au cours des années suivantes, Pierre Dansereau a participé à la mise sur pied des programmes de maîtrise et de doctorat en sciences de l’environnement ainsi qu’à la création, en 1990, de l’Institut des sciences de l’environnement. Le professeur émérite y a dirigé, jusqu’à sa retraire, le Laboratoire pour l’étude des écosystèmes et l’aménagement du territoire. Il a été un mentor pour plusieurs générations d’étudiants.
«Nous avons voulu explorer la voie tracée par ce grand écologiste sous trois angles complémentaires», note René Audet. Le premier angle réaffirme la pertinence d’une recherche scientifique interdisciplinaire et intersectorielle en sciences de l’environnement. Un second, plus poétique, fait appel à nos paysages intérieurs et à la relation affective que nous entretenons avec la planète. Enfin, le troisième, éthique et philosophique, s’inspire de l’«austérité joyeuse» que préconisait Pierre Dansereau.
Une vingtaine d’auteurs, dont plusieurs de l’UQAM, ont collaboré à l’ouvrage. Certains chapitres portent sur l’œuvre de Pierre Dansereau, tandis que d’autres proposent une réflexion sur l’état actuel et l’avenir des sciences de l’environnement. On y trouve aussi des portraits de l’écologiste et des témoignages de personnes qui l’ont connu. Paulo Freire Vieira souligne ainsi la contribution du chercheur à l’écodéveloppement, son caractère humaniste et ses préoccupations relatives aux inégalités Nord-Sud. Pierre Dansereau était un grand voyageur, qui a mené, entre autres, plusieurs projets en collaboration avec des chercheurs brésiliens.
« Il était contre les dogmes disciplinaires qui empêchent le développement de l’interdisciplinarité, tout en refusant de transformer celle-ci en un nouveau dogme. Ses contributions théoriques ont permis de penser ensemble les phénomènes humains et naturels.»
René audet,
Professeur au Département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale et titulaire de la Chaire de recherche sur al transition écologique
Héritage intellectuel
L’ouvrage célèbre l’héritage intellectuel de Pierre Dansereau. «Sa posture éthique face aux enjeux environnementaux et son approche interdisciplinaire constituent ses deux plus grands héritages», observe René Audet.
Pierre Dansereau disait qu’il n’y a pas de bon généraliste qui ne soit d’abord un bon spécialiste. Il a souligné le besoin de décloisonner les connaissances en rapprochant les sciences naturelles et les sciences humaines, insistant sur l’importance d’aborder l’environnement dans une perspective globale et intégrée. «Dansereau avait une conception très large de l’interdisciplinarité, note le professeur. Il était contre les dogmes disciplinaires qui empêchent le développement de l’interdisciplinarité, tout en refusant de transformer celle-ci en un nouveau dogme. Ses contributions théoriques ont permis de penser ensemble les phénomènes humains et naturels.»
Pour une écologie humaine
Pierre Dansereau a enseigné la botanique à l’Université du Michigan, de 1950 à 1955, avant d’accepter un poste au jardin botanique de New York. Il étudie alors la métropole américaine comme s’il s’agissait d’un écosystème naturel. «Ses recherches en écologie, en particulier son livre Biogeography: an Ecological Perspective, paru en 1957, ont favorisé la prise de conscience de la place et du rôle de l’être humain dans les écosystèmes naturels, souligne René Audet. À partir des années 1960, on s’est aperçu qu’on ne pouvait pas comprendre les écosystèmes sans considérer l’impact de l’action humaine sur la nature. Au début des années 1970, Dansereau dirige une recherche concernant les retombées de la construction de l’aéroport de Mirabel sur les communautés avoisinantes, l’une des premières études d’impact en environnement au Québec.»
«Les productions intellectuelles en sciences de l’environnement sont si nombreuses aujourd’hui qu’on oublie parfois les questions qui ont présidé à leur développement. Ces questions, Dansereau les a formulées pour la plupart.»
Bien que la pensée de l’écologiste soit moins présente aujourd’hui dans le monde universitaire, René Audet continue de l’enseigner en donnant un cours sur l’être humain et son environnement. «Certes, les sciences de l’environnement ont beaucoup évolué depuis les années 1970 et 1980, mais pour un sociologue comme moi, Pierre Dansereau demeure une référence. Les productions intellectuelles en sciences de l’environnement sont si nombreuses aujourd’hui qu’on oublie parfois les questions qui ont présidé à leur développement. Ces questions, Dansereau les a formulées pour la plupart.»
Quel avenir ?
L’espoir malgré tout propose une approche dans laquelle les sciences de l’environnement ont un rôle à jouer pour critiquer les inégalités et les rapports de domination en matière de développement. «On y reconnaît que le système productiviste actuel et la course à la croissance sont à la source de plusieurs problèmes environnementaux», dit le chercheur.
Intitulée «À la recherche d’une convergence transdisciplinaire», la conclusion de l’ouvrage souligne que de plus en plus d’acteurs locaux – les communautés autochtones, notamment – participent à l’élaboration des questions de recherche en sciences de l’environnement. «La transdisciplinarité va bien au-delà du fait de réunir des chercheurs de différentes disciplines et des membres de communautés locales, soutient René Audet. Elle implique que ces gens pensent ensemble les problématiques et les méthodes de recherche, tout en s’interrogeant sur les besoins auxquels celle-ci doit répondre.»
Le professeur travaille lui-même avec le groupe Solon, formé de citoyens qui se sont rencontrés dans le cadre d’un projet de ruelle verte. Créé en 2015, Solon a développé un projet dans l’arrondissement Rosemont–La Petite Patrie, intitulé Celsius, qui s’intéresse à la conservation des réseaux de chaleur dans les ruelles du quartier. «L’objectif est de déployer une infrastructure énergétique renouvelable et locale permettant aux résidents et aux utilisateurs de réduire leur facture énergétique, tout en contribuant à la lutte contre les changements climatiques, explique René Audet. Il s’agit d’une innovation à la fois technologique et sociale qui permet de mettre en œuvre une solution collective.»
L’espoir malgré tout sera lancé le 1er novembre, de 17 h à 19 h, au Ginkgo café-bar (pavillon J.-A.-DeSève).