Série Doc en poche
Armés de leur doctorat, les diplômés de l’UQAM sont des vecteurs de changement dans leur domaine respectif.
Marie-Soleil Fortier (B.Mus. 2004; Ph.D. études et pratiques des arts, 2017)
Titre de sa thèse: «L’influence de la pratique approfondie de méthodes d’éducation somatique sur la pratique musicale de musiciens professionnels: deux études de cas»
Directrice: Nicole Harbonnier-Topin, professeure au Département de danse
Codirecteurs: Isabelle Héroux, professeure au Département de musique, et Domenico Masciotra, chercheur indépendant
Enjeu social: santé et bien-être des musiciens
Rares sont les musiciens professionnels qui ne souffrent pas, à un moment ou un autre de leur carrière, de divers troubles musculo-squelettiques, voire de blessures graves liés à la pratique de leur instrument. «Ces problèmes, dit la diplômée en études et pratiques des arts Marie-Soleil Fortier, guitariste classique et directrice adjointe, depuis août 2016, de l’École de musique Vincent d’Indy, sont rarement d’ordre purement mécanique.»
Derrière le geste technique de la main, souligne-t-elle, il y a la posture du corps, elle-même liée au tonus musculaire, mais aussi à l’attitude mentale et à la dynamique émotive. «La pratique de la musique est un art complexe qui implique toutes les dimensions de la personne», observe la jeune femme. «On dit des musiciens qu’ils sont des athlètes du micro-mouvement, toujours en train d’affiner leur technique. Ce sont aussi des artistes à qui on demande de partager leurs émotions, des performeurs de haut niveau, qui doivent atteindre une grande maîtrise d’eux-mêmes.»
Enseignante et concertiste (elle a fait partie de l’ensemble de guitares Forestare pendant près de 14 ans), Marie-Soleil Fortier connaît bien les problèmes des musiciens: la souffrance physique, le blocage, quand le musicien atteint un plateau à partir duquel il ne semble plus capable de s’améliorer, ou l’anxiété de performance, qui paralyse à l’entrée en scène. Dans sa thèse, elle a exploré les avantages d’une approche de la musique fondée sur une prise en compte globale de la personne, à travers différentes méthodes de l’éducation somatique. «Ces méthodes ont pour objectif de développer une attention aux sensations et aux émotions, un peu comme les approches méditatives, dit-elle. Plusieurs recherches semblent indiquer que les musiciens qui intègrent ce type d’approche ont beaucoup plus de facilité à vaincre leurs difficultés.»
Ce qu’il faut changer
L’apprentissage traditionnel de la musique, avec ses infinies répétitions, vise une coordination des gestes parfaite, automatique. «C’est très utile, note Marie-Soleil Fortier, mais cela entraîne une pratique non réfléchie et c’est là que s’installent des tensions non conscientes et des blessures.»
Au contraire, l’éducation somatique amène l’interprète à devenir attentif, en situation de jeu, à tous ses micro-mouvements, à ses pensées, à ses émotions. Cette attention plus globale à la personne peut amener de petits changements – détendre son bras, changer sa posture – et donner au musicien la possibilité de penser sa pratique autrement, de résoudre son problème ou de surmonter son blocage. Cette pédagogie, très présente en danse, devrait inspirer un changement de paradigme dans l’enseignement de la musique, croit la diplômée. Il faudrait, selon elle, repenser les programmes afin qu’ils visent le développement global de la personne. «Oui, un cours complémentaire en éducation somatique peut être utile, dit-elle. Mais je pense qu’il faudrait aller plus loin et revoir notre façon d’enseigner la musique et de travailler notre instrument.»
Les musiciens professionnels ont tendance à se tourner vers les méthodes de l’éducation somatique quand ils se blessent ou qu’ils deviennent incapables de surmonter leur stress, remarque Marie-Soleil Fortier. «Pourquoi ne pas travailler en amont et développer une pédagogie holistique qui aide à prévenir ces problèmes?»