Voir plus
Voir moins

Des chiffres et des lettres

Les notes finales suscitent depuis les débuts de l’université la même attente fébrile chez les étudiants.

Par Pierre-Etienne Caza

12 décembre 2017 à 16 h 12

Mis à jour le 4 avril 2019 à 15 h 04

Série Cinquante ans d’histoire
L’UQAM, qui célèbre son 50e anniversaire en 2019-2020, a déjà beaucoup d’histoires à raconter. La plupart des textes de cette série ont été originalement publiés de 2006 à 2017 dans le magazine Inter. Des notes de mise à jour ont été ajoutées à l’occasion de leur rediffusion dans le cadre du cinquantième.

Photo: iStock

Il y a des choses qui ne changent pas dans le milieu universitaire. Les fins de session, par exemple. Pour plusieurs étudiants, elles seront toujours synonymes de course contre la montre, entre les derniers travaux à remettre et les notions à réviser pour les examens. Et les étudiants d’aujourd’hui, comme ceux d’hier, sont tout aussi fébriles à l’idée de connaître leurs résultats finaux. «Aujourd’hui, tout se passe sur le web. Mais il y a 30 ans, les étudiants étaient nombreux à passer à notre bureau après le dernier cours pour connaître leur note», se rappelle Bertrand Gervais (Ph.D. sémiologie, 1988), professeur au Département d’études littéraires. C’était aussi l’époque où les étudiants s’agglutinaient pour voir leurs résultats imprimés sur un tableau affiché dans le couloir du département. On n’avait pas, à l’époque, la même notion de la confidentialité qu’aujourd’hui!

Un A, un B ou…

Lors de la création de l’Université du Québec, les établissements du réseau ont opté pour la notation littérale (A, B, C, D, E), alors utilisée dans plusieurs universités canadiennes. Certains cours (c’est encore le cas aujourd’hui) étaient évalués uniquement avec la mention «S» pour succès ou «E» pour échec.

C’est parce qu’il «représente mieux que la notation chiffrée la nature qualitative de ce qui est évalué» que ce système avait été retenu, indique le Cadre général de l’organisation de l’enseignement pour 1969-70. Le professeur Gilles Raîche, du Département d’éducation et pédagogie, la trouve bien bonne. «Par définition, une mesure ne peut qu’être quantitative et non qualitative, explique ce spécialiste en mesure et évaluation. Je crois que l’adoption de la notation littérale répondait plutôt à un désir de simplifier le processus en créant des catégories.»

À titre indicatif, le registraire de l’UQAM, Denis Laforte, présentait en 1971 le barème suivant: A (85 à 100 %), B (75 à 84 %), C (65 à 74 %), D (60 à 64 %) et E (0 à 59 %). «C’est un système de mesure plutôt flou, forcément imparfait et difficilement comparable, car un “A”, par exemple, ne signifie pas la même chose d’une université à l’autre, d’un programme à un autre, ou d’une année à une autre pour le même cours», commente Gilles Raîche.

À l’initiative de l’UQAM, le réseau de l’UQ s’est penché vers la fin des années 1980 sur la possibilité d’ajouter aux lettres les notations intermédiaires + et -. C’est ainsi qu’à l’automne 1992, les étudiants ont vu apparaître sur leur relevé de notes des A+, A-, B+, B-, C+, C- et D+.  La moyenne cumulative était désormais calculée sur un total de 4,3 au lieu de 4. «Il était devenu urgent d’ajuster notre système de notation à celui des autres universités, de telle sorte que des comparaisons équitables puissent être faites», expliquait à l’époque Réginald Trépanier, président du Comité des règlements et des politiques d’admission. Plusieurs étudiants de l’UQAM étaient désavantagés par l’ancien système. Aux concours des grands organismes subventionnaires, ils risquaient d’être écartés faute d’un dossier jugé exceptionnel (A+). De même, certains étudiants ne parvenaient pas à être admis dans des programmes prestigieux à l’étranger parce que leurs résultats (notes A) n’étaient pas perçus comme hors du commun.

Le nouveau système a rapidement été intégré dans les pratiques. «J’ai vécu les deux systèmes et je préfère nettement celui avec les + et les -, qui permet de raffiner l’évaluation, souligne Jacques Forget (M.A. psychologie, 1974), professeur au Département de psychologie depuis le milieu des années 1980. Quand je donne un A+, c’est pour un travail réellement exceptionnel.»

«Le passage à une échelle mieux graduée représentait un progrès, mais le problème des synthèses de valeurs équivalentes demeurait», se remémore Georges Leroux (B.Sp. sciences religieuses, 1972), professeur émérite du Département de philosophie, qui a enseigné de 1969 jusqu’à sa retraite en 2006. Comme plusieurs de ses collègues, celui-ci avait conservé l’habitude de noter les travaux et les examens avec des chiffres – sur 10, sur 20, sur 100. «Cela permettait de mieux tenir compte des différentes composantes de l’évaluation et facilitait le travail de pondération pour la note finale», souligne-t-il. Comment, en effet, additionner 20 % de B et 35 % de C?

Une opération complexe

Une fois la note calculée, il fallait la transmettre. À la fin de chaque session, lorsque les professeurs avaient réussi à se sortir des dédales mathématiques de la pondération et avaient transposé les résultats de leurs étudiants en lettres, ils remplissaient des bordereaux de notes pour chacun de leur cours. Ils transmettaient ceux-ci à la direction de leur département, qui les acheminait ensuite au Registrariat.

«Une fois les notes parvenues au Registrariat, les commis les entraient une par une dans le dossier Étudiant et une contre-vérification était effectuée le lendemain avec un collègue, pour chaque note de chaque cours.»

Stéphan Tobin

Directeur des Dossiers universitaires au Registrariat

Dans les années 1970, on utilisait des cartes perforées pour entrer les notes dans ce qu’on appelait le «dossier Étudiant». Les outils informatiques ont évolué, mais la méthode est demeurée la même pendant plus de 30 ans. «Une fois les notes parvenues au Registrariat, les commis les entraient une par une dans le dossier Étudiant et une contre-vérification était effectuée le lendemain avec un collègue, pour chaque note de chaque cours», raconte Stéphan Tobin, directeur des dossiers universitaires au Registrariat.

L’opération d’entrée des notes dans le dossier Étudiant mobilisait à chaque fin de session une dizaine de commis. «C’était une opération complexe qui devait être menée rapidement et qui avait préséance sur tout le reste», se rappelle Stéphan Tobin, qui travaille au Registrariat depuis 1995. Un relevé de notes officiel était ensuite acheminé par la poste aux étudiants.

Affichage controversé

Attendre l’arrivée du facteur pour connaître ses résultats finaux? Plusieurs étudiants faisaient pression pour accélérer le processus. C’est ce qui explique que certains professeurs affichaient les résultats à la porte de leurs bureaux. Jacques Forget, qui a fait partie de la première cohorte du baccalauréat en psychologie, et Gilles Raîche, qui a étudié à l’Université du Québec à Trois-Rivières et à l’Université de Sherbrooke, entre autres, se rappellent de cette pratique.

Cette façon de faire n’était toutefois pas généralisée. «Je n’ai jamais affiché les résultats sur ma porte, pas plus que je ne les commentais en classe. Les discussions s’effectuaient sur une base individuelle avec les étudiants», se rappelle pour sa part Georges Leroux.

Au milieu des années 1980, dans la foulée de l’adoption du Règlement no 15 sur la confidentialité des dossiers nominatifs (à l’époque, le gouvernement vient de modifier la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels et il faut s’y conformer), les professeurs qui affichaient les notes à la vue de tous ont dû cesser de le faire.

Des étudiants, qui s’obstinaient à vouloir connaître leur note le plus tôt possible, croyaient prendre un raccourci en appelant directement le Registrariat. Mais rien n’y faisait! «Les commis n’avaient pas le droit de dévoiler les notes, même si celles-ci apparaissent au dossier de l’étudiant», mentionne Stéphan Tobin.

275-NOTE

Au début de la session d’hiver 1993, l’UQAM lançait NOTEL, un système de consultation de notes par téléphone. Il suffisait d’appeler le 514-275-NOTE à partir d’un téléphone («TouchTone», précisait-on à l’époque, car il existait encore des téléphones à cadran), de s’identifier à l’aide de son code permanent, de son numéro d’identification personnel et de son code de programme. Une voix automatisée donnait les résultats obtenus aux cours de la dernière session. Pour le plus grand bonheur des étudiants, NOTEL était disponible 7 jours par semaine, 24 heures sur 24. À la fin des années 1990, on dénombrait près de 100 000 accès au système par trimestre.

Sur la toile

Dès 1994, l’avènement du web a permis aux étudiants de consulter leur relevé de notes en ligne. On oublie aujourd’hui à quel point le web était une nouveauté technologique difficile à apprivoiser. Dans les pages du journal L’UQAM, le registraire de l’époque, Ygal Leibu, encourageait les étudiants à se familiariser avec la toile: «Trop compliquée pour plusieurs, la navigation sur Internet? M. Leibu considère qu’avec “un petit apprentissage”, tout le monde peut se débrouiller et en venir à trouver l’outil fantastique, voire convivial»…!

«Trop compliquée pour plusieurs, la navigation sur Internet? M. Leibu considère qu’avec “un petit apprentissage”, tout le monde peut se débrouiller et en venir à trouver l’outil fantastique, voire convivial»…! 

La qualité des services offerts aux étudiants sur Internet a valu au Registrariat un prix du Canadian Information Productivity Awards à l’automne 1996. Ces services résultaient d’un effort conjoint du Registrariat et de ce qu’on appelait à l’époque le Service de l’informatique et des télécommunications (devenu les Services informatiques).

En décembre 2000, puisque tous les étudiants pouvaient consulter NOTEL et qu’une grande partie avait accès à un ordinateur, le Registrariat a décidé de ne plus envoyer de relevé de notes par la poste.

Le logiciel RÉSULTATS

Tous ces outils amélioraient les services aux étudiants, certes, mais les commis du Registrariat devaient tout de même entrer les notes manuellement. À l’automne 2001, par exemple, ils en ont inscrit environ 145 000 dans le dossier Étudiant!

À la session suivante, on annonçait aux membres du corps professoral la création du logiciel RÉSULTATS, graduellement adopté au cours des années subséquentes. L’enseignant n’a qu’à entrer dans un chiffrier les notes obtenues tout au long de la session par ses étudiants pour que la note finale soit calculée automatiquement, selon une pondération qu’il a lui-même définie. «Les étudiants peuvent également avoir accès à leurs résultats sur cette plateforme», précise Marc Barassi (B.Sc.A. informatique de gestion, 1991), l’un des analystes aux Services informatiques qui a participé à la création du logiciel. Trois ans plus tard, à l’automne 2005, près de 90 % des professeurs avaient adopté le logiciel. «Les premières années, mes assistants de cours entraient les notes dans le système pour moi, raconte en riant Jacques Forget. Mais j’ai ensuite appris le fonctionnement du logiciel, qui est très convivial.»

Le Portail étudiant

Aujourd’hui, les étudiants peuvent consulter l’ensemble de leur dossier étudiant – inscription, relevé de notes, horaire personnel, etc. – sur le Portail étudiant, mis en place en 2015 et qui reçoit entre 7000 et 200 000 requêtes par jour. «On y retrouve l’ensemble des informations administratives les concernant et la plateforme est adaptative pour les tablettes et les téléphones intelligents», précise Lucie Corbeil-Labonté (B.A. études littéraires, 1995; C. informatique, 2002), analyste de l’informatique au Registrariat.

Avec tous ces outils technos à leur disposition, y a-t-il encore des étudiants qui rendent visite aux professeurs à la fin du trimestre pour connaître leur note finale? «C’est une infime minorité et il y a deux cas de figure, précise Jacques Forget. Il y a l’étudiant aux cycles supérieurs, qui doit obtenir rapidement une copie de son relevé de notes pour effectuer un séjour d’études à l’étranger ou compléter une demande de bourse, et il y a l’étudiant tout simplement anxieux.»

À notre époque de course à la performance, on note avec inquiétude une augmentation marquée du nombre d’étudiants insistant lourdement pour obtenir la meilleure note possible. La pression pour accéder aux études supérieures, pour décrocher les meilleures bourses et les meilleurs stages postdoctoraux se traduit par des comportements «à la limite de l’agressivité» chez certains étudiants, pour reprendre les propos d’un professeur. «Le phénomène n’est pas généralisé, note ce dernier, mais c’est tout de même préoccupant.»

Parfois, certains étudiants ressurgissent du passé. «Ils rebondissent pour me demander des lettres de recommandation, raconte Georges Leroux. Heureusement, j’ai conservé dans mes archives personnelles mes anciennes listes de notes. Je peux les consulter pour me rafraîchir la mémoire.» Comme quoi le papier peut encore servir!