Voir plus
Voir moins

Entre le cœur et la raison

Les esprits affectifs se retrouvent sous la loupe des jeunes chercheurs au colloque Cognitio.

Par Claude Gauvreau

20 juin 2017 à 14 h 06

Mis à jour le 20 juin 2017 à 14 h 06

Les émotions exercent une influence sur tous les processus cognitifs.

Après la cognition sociale, les esprits non humains, l’origine et l’évolution de la créativité et les esprits atypiques, une nouvelle facette de l’esprit humain sera explorée lors du colloque «Esprits affectifs: les sciences cognitives des émotions et des affects», qui se tiendra à l’UQAM les 21 et 22 juin prochains. Ce colloque Cognitio destiné aux jeunes chercheurs est organisé sous les auspices de l’Institut des sciences cognitives. Les participants y interrogeront la nature des processus émotionnels ainsi que leurs origines, leurs rôles et leurs fonctions grâce au croisement de différentes disciplines: neurosciences, philosophie, psychologie, psychiatrie, linguistique, sociologie.

Deux conférenciers de renom participeront au colloque: le professeur émérite de philosophie Ronald de Sousa, de l’Université de Toronto, et le professeur de psychiatrie et de psychologie Jorge Armony, de l’Université McGill.

«Nous avons choisi la thématique des esprits affectifs parce que l’on observe actuellement un regain d’intérêt pour les questions touchant l’affectivité», explique Simon Tremblay, étudiant à la maîtrise en philosophie (concentration sciences cognitives) et l’un des principaux organisateurs du colloque. «Les sciences cognitives ont souvent sous-estimé le rôle des émotions, malgré leur importance dans la vie psychique. Chose certaine, on ne peut plus les négliger, car elles exercent une influence sur tous les processus cognitifs.»  

Bien qu’il existe un consensus général sur la définition de la cognition, il en va autrement en ce qui concerne les émotions. «Les phénomènes affectifs sont particulièrement complexes et forment un ensemble hétérogène, dit le jeune chercheur. Il est difficile de constituer une théorie des émotions pouvant les englober de manière adéquate. Certains chercheurs établissent même des distinctions entre émotions, sentiments et humeurs.»

«Historiquement, on a opposé le cognitif (rationnel) et l’émotionnel (irrationnel) comme deux entités distinctes qui luttent pour le contrôle du comportement. Nous savons aujourd’hui que les émotions et la cognition sont complémentaires, voire interdépendantes.»

Simon tremblay,

Étudiant à la maîtrise en philosophie (concentration sciences cognitives)

Un fondement biologique ?

Les émotions reposent-elles sur un fondement biologique ? Existe-t-il une partie du cerveau qui serait associée spécifiquement aux émotions ? En ce qui concerne  la localisation des fonctions émotionnelles, les données récentes des travaux en neuro-imagerie fonctionnelle (IRMf) indiquent deux choses. «Premièrement, les fonctions émotionnelles ou cognitives ne peuvent pas être circonscrites dans une région particulière du cerveau, note Simon Tremblay. Deuxièmement, chaque région du cerveau remplit plusieurs fonctions différentes. À titre d’exemple, l’amygdale – partie du cerveau située dans la partie frontale du lobe temporal – est non seulement associée à plusieurs fonctions émotionnelles, telles que la peur, la colère et le dégoût, mais elle est aussi impliquée dans des fonctions cognitives, comme celle de l’attention.»

En d’autres termes, les associations structures-fonctions seraient problématiques puisque les fonctions sont distribuées dans le cerveau. «Plusieurs combinaisons de neurones sont possibles et chacune d’entre elles peut remplir plusieurs fonctions cognitives», observe l’étudiant.

Une fausse opposition

On a souvent tendance à opposer la raison aux émotions et même à valoriser davantage le raisonnement par rapport aux émotions. Pourtant, les progrès accomplis grâce aux recherches menées dans les différentes disciplines associées aux sciences cognitives montrent que ce conflit n’a plus raison d’être.

«Historiquement, on a opposé le cognitif (rationnel) et l’émotionnel (irrationnel) comme deux entités distinctes qui luttent pour le contrôle du comportement, rappelle Simon Tremblay. Nous savons aujourd’hui que les émotions et la cognition sont complémentaires, voire interdépendantes.»

Les processus cognitifs seraient directement impliqués dans la production de réponses affectives, tandis que les affects auraient un impact significatif sur la cognition. «Les états effectifs ont une influence sur la perception et l’attention, sur l’apprentissage et la mémoire, sur le raisonnement et la prise de décision ainsi que sur plusieurs autres processus cognitifs, souligne le jeune chercheur. On sait, par exemple, que les stimuli émotionnels nourrissent plus rapidement notre capacité d’attention. Quand nous accomplissons une recherche visuelle, nous repérons plus facilement une cible émotionnelle – un visage effrayant – qu’une cible plus neutre.»

Les robots et machines dites intelligentes pourront-ils un jour mieux raisonner que les humains en intégrant des processus émotionnels ? «Même si certains chercheurs prétendent que cela sera éventuellement possible, nous sommes encore dans le domaine de la spéculation», observe Simon Tremblay.

Plusieurs autres questions, toutes aussi fascinantes les unes que les autres, seront abordées lors du colloque. Les émotions sont-elles des produits de l’évolution ou des constructions sociales ? Comment les émotions se manifestent-elles en fonction des différences culturelles, sociales et éducationnelles ? Quels sont les liens entre les émotions, le ressenti et la conscience ? Quelle est la place de la vie affective dans la santé mentale d’un individu ?

Simon Tremblay lui, s’intéresse aux architectures cognitives et aux structures de l’esprit. «Mon projet de mémoire n’est pas encore défini, dit-il. Je m’interroge sur la façon dont les diverses fonctions émergent du cerveau, notamment sur l’interaction entre les émotions et les fonctions cognitives.»