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Percée dans la maladie d’Alzheimer

Une nouvelle molécule permet de détecter la maladie et d’en suivre l’évolution, une première à l’échelle mondiale.

Par Pierre-Etienne Caza

12 septembre 2017 à 15 h 09

Mis à jour le 13 septembre 2017 à 8 h 09

Photo: iStock

Depuis plus de 100 ans, la maladie d’Alzheimer donne du fil à retordre aux chercheurs. «Des milliards de dollars ont été investis par les compagnies pharmaceutiques et les gouvernements dans la recherche, mais rien de concluant n’a émergé parce qu’on a du mal à identifier la maladie avec certitude», rapporte Marc-André Bédard, professeur au Département de psychologie. Le chercheur vient de publier ses résultats les plus récents dans la revue Molecular Psychiatry, qui appartient au prestigieux groupe Nature. Ceux-ci portent sur une nouvelle molécule pouvant servir de biomarqueur pour à la fois détecter précocement et quantifier la sévérité de la maladie d’Alzheimer, une première à l’échelle mondiale.

Les recherches de Marc-André Bédard ont débuté il y a une quinzaine d’années en réaction aux difficultés inhérentes au diagnostic des différentes formes de démence, dont la maladie d’Alzheimer. Traditionnellement, on fait passer des tests psychométriques de mémoire, de langage et de concentration aux personnes que l’on croit être atteintes, explique celui qui est à la fois psychologue et pharmacologue. «Il faut plusieurs heures, voire même une ou deux journées pour caractériser les déficits observés et ainsi mieux identifier le type de démence dont il est question. Sauf que le taux de succès de cette approche est d’environ 80 %, ce qui n’est pas très fiable, surtout si on veut trouver des traitements pour la maladie. Comment tester efficacement des traitements si on n’est pas en mesure de diagnostiquer la maladie avec précision?»

L’impasse de l’amyloïde beta

Lorsque le Dr Alois Alzheimer a décrit la maladie pour la première fois, en 1906, il a noté la présence dans le cerveau de deux types de protéines : l’amyloïde beta et la protéine tau. «Au cours des 20 dernières années, les recherches se sont concentrées principalement sur l’amyloïde beta. On a ainsi découvert plusieurs biomarqueurs de cette protéine, explique Marc-André Bédard. Le problème, c’est que les sujets sains ont aussi de l’amyloïde beta dans le cerveau à partir de l’âge de 60-65 ans. Les biomarqueurs génèrent donc fréquemment des faux positifs.»

«Comment tester efficacement des traitements si on n’est pas en mesure de diagnostiquer la maladie avec précision?»

Marc-André Bédard

Professeur au Département de psychologie

L’autre problème avec l’amyloïde beta, c’est qu’elle est liée à un effet plafond. «Même si vous êtes subtilement atteint par la maladie d’Alzheimer, nous retrouverons une très grande quantité d’amyloïde beta dans votre cerveau. Cela implique qu’un traitement ne pourrait pas être correctement testé avec un biomarqueur de cette protéine, car l’effet plafond empêcherait de détecter s’il y a détérioration ou amélioration de votre condition.»

La mort cellulaire

Devant cette impasse, Marc-André Bédard a voulu explorer une autre avenue. «Alzheimer avait aussi décrit un troisième élément caractérisant cette forme de démence et celui-ci demeure sans aucun doute le plus négligé par la communauté scientifique. Il s’agit de la mort cellulaire, qui est directement corrélée à la symptomatologie des patients.» Le chercheur s’est donc attelé à la tâche de créer un outil capable de détecter et de quantifier correctement la mort cellulaire associée à la maladie d’Alzheimer.

Marc-André Bédard

Au cours des 15 dernières années, Marc-André Bédard et son équipe de l’Institut neurologique de Montréal ont développé une méthode novatrice utilisant une molécule, le Fluoroethoxybenzovesamicol (FEOBV) en combinaison avec un radio-isotope (18F). «La méthode s’avère fiable et sensible pour détecter des lésions, même très faibles, de certaines cellules cholinergiques que l’on sait être touchées dans la maladie d’Alzheimer, explique le chercheur. La molécule [18F]FEOBV se fixe à une protéine spécifique des cellules cholinergiques et, par imagerie cérébrale, on peut la retracer, ce qui nous permet d’identifier précocement et de quantifier le degré de sévérité de la maladie.» 

La nouvelle molécule a été dûment testée en laboratoire. «Il a fallu démontrer la stabilité chimique du produit, ainsi que sa fiabilité, sa sensibilité et son innocuité chez le rongeur et le primate, avant de la tester ultimement chez l’humain», raconte le chercheur, qui fut le premier à se faire injecter le produit en 2015!

Imagerie cérébrale démontrant la présence de cellules cholinergiques chez un sujet sain (A), un sujet avec de l’Alzheimer léger (B) et un sujet plus sévèrement atteint (C). Image fournie par Marc-André Bédard

Une étude a ensuite été réalisée pour comparer des sujets sains avec des sujets atteints de la maladie d’Alzheimer. L’article publié dans Molecular Psychiatry fait état des résultats de cette étude. «On remarque clairement une dégénérescence progressive des cellules cholinergiques proportionnelle à la symptomatologie, révèle Marc-André Bédard. Cela ouvre la porte à la validation de traitements, car on possède désormais un outil pour détecter s’il y a amélioration ou détérioration de la condition des sujets.»

Marc-André Bédard est fier du travail accompli par son équipe de recherche. «C’est assez rare dans le milieu universitaire qu’un chercheur mène ce type de recherche d’un bout à l’autre, c’est-à-dire de la synthèse du produit jusqu’à l’essai clinique chez l’humain, dit-il. Il a fallu me battre contre vents et marées pour convaincre l’establishment médical et l’industrie pharmaceutique qu’un psychologue pouvait mener à bien une telle aventure.» Il ajoute aussi que sans l’étroite collaboration de ses collègues chimistes, médecins, et ingénieurs de l’Institut neurologique de Montréal, le projet n’aurait jamais abouti.

Plusieurs projets de recherche sont en cours avec le [18F]FEOBV, testé pour détecter diverses autres maladies caractérisées par une mort cellulaire cholinergique. «Des chercheurs d’un peu partout à travers le monde s’intéressent à notre molécule et c’est tant mieux, conclut le chercheur. Il faut continuer le travail pour en arriver à valider des méthodes diagnostiques et des traitements efficaces.»