Une recherche sur l’inclusion des élèves en difficulté en classe ordinaire menée par Gérald Boutin, professeur au Département d’éducation et formation spécialisées, et ses collègues du Département d’éducation et pédagogie Lise Bessette (directrice) et Houssine Dridi, a permis de donner la parole à quelque 500 enseignants, de la maternelle au secondaire, dans neuf commissions scolaires à travers le Québec. L’enquête révèle le sentiment d’impuissance des enseignants, qui s’épuisent à la tâche sans parvenir à répondre adéquatement aux besoins des élèves, que ce soit ceux qu’il faut intégrer ou les autres.
«Les enseignants nous disent que le dépistage n’arrive pas assez rapidement pour être efficace, qu’il manque d’orthopédagogues et de psychologues et, surtout, qu’on leur impose un trop grand nombre de cas difficiles, résume Gérald Boutin. Pour eux, l’intégration telle qu’elle se pratique sur le terrain est faite de façon sauvage.»
Au cours des dernières années et depuis l’adoption de la dernière politique d’adaptation scolaire issue de la réforme des années 2000, le Québec a connu une réduction du nombre de classes spécialisées dans les écoles, non seulement en raison du paradigme de l’inclusion scolaire, qui a suscité un vif débat, mais aussi en raison des coupes budgétaires successives, note le professeur. Le nombre d’élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage (EHDAA) dans les classes ordinaires n’a cessé d’augmenter. Le pourcentage d’élèves HDAA intégrés en classe ordinaire est passé de 61% en 2003-2004 à 70% aujourd’hui.
«On ne parle pas seulement d’élèves avec de légères difficultés, précise Gérald Boutin. On parle d’enfants qui ont des troubles sévères de comportement, d’autistes, d’élèves souffrant de retards importants. Une enseignante nous a mentionné que sur six élèves en intégration dans sa classe, cinq étaient des cas lourds. Dans d’autre cas, plus de la moitié de la classe était constituée d’élèves HDAA.»
Menée en collaboration avec la Fédération autonome de l’enseignement (FAE), l’étude s’est étalée sur près de trois ans, de 2013 à janvier 2016. Des entretiens de groupe ont été conduits avec des enseignants, mais aussi avec des orthopédagogues, des enseignants en classe spécialisée, des techniciens en éducation spécialisée et des directeurs d’établissements. Des questionnaires soumis à un échantillon plus large ont permis de compléter les données qualitatives ainsi recueillies.
«Les réponses que nous avons obtenues dans les questionnaires recoupaient les témoignages des enseignants rencontrés en groupe», affirme Gérald Boutin. Ainsi, les enseignants étaient d’accord pour dénoncer le manque de soutien auquel ils doivent faire face. Les orthopédagogues, psychologues ou techniciens en éducation spécialisée sont ou bien absents ou bien trop peu disponibles. «Savez-vous, demande le chercheur, qu’on compte seulement un psychologue pour 1000 élèves dans les commissions scolaires du Québec?»
Un sentiment d’incapacité
De nombreux enseignants éprouvent un fort sentiment d’isolement, d’incapacité et même d’incompétence, malgré leur désir d’intégrer adéquatement les élèves HDAA. «Étant donné le grand nombre d’élèves HDAA et la multiplicité de leurs handicaps, il leur est difficile de répondre aux besoins de tous les élèves, souligne le chercheur. On leur demande d’être des jack of all trades. Mais ils ne peuvent pas être des spécialistes de tous les cas qui se retrouvent dans leurs classes!» Selon les personnes interrogées dans le cadre de cette étude, environ un élève HDAA sur cinq ne reçoit pas les services adéquats.
Certains enseignants ont mentionné devoir «sacrifier» des élèves parce que certains cas particuliers exigent d’eux trop d’attention. «Ce que les enseignants nous disent, c’est que cette façon de faire nuit au développement de tous les élèves, ceux avec des besoins particuliers et ceux sans besoins particuliers, note Gérald Boutin. Plusieurs jugent que la scolarisation en classe spécialisée serait plus bénéfique pour certains cas plus complexes.»
L’ouverture de classes adaptées aux cas spéciaux se retrouve d’ailleurs parmi les nombreuses recommandations des enseignants, qui regrettent d’être trop peu souvent consultés avant que des élèves HDAA soient intégrés à leurs classes. Les enseignants demandent aussi une augmentation du personnel de soutien, une identification plus rapide de l’ensemble des difficultés d’un élève afin que toutes les ressources nécessaires soient allouées pour l’aider à surmonter chacune de ses difficultés, la possibilité d’accéder à des formations plus pointues et une réduction du nombre d’élèves HDAA dans les classes ordinaires. Les enseignants souhaitent aussi avoir plus de temps pour coordonner leurs efforts avec ceux des parents et des autres spécialistes.
Selon Gérald Boutin, il est possible de favoriser l’inclusion souhaitée dans les politiques ministérielles. Mais il faut, pour cela, sortir de l’opposition entre classe adaptée et classe ordinaire, favoriser les classes relais et mettre davantage de ressources à la disposition des écoles. «Les enseignants ne sont pas contre l’intégration, dit-il. Mais ils ne veulent pas que cela se fasse à n’importe quelle condition. Des enseignants épuisés, cela nuit à l’intégration.»
La recherche des trois professeurs de l’UQAM suscite beaucoup d’intérêt dans les médias. «Ce n’est pas étonnant, car tout le monde est touché par ce sujet», note Gérald Boutin, qui souligne qu’il s’agit de la première étude sur l’inclusion à porter sur le vécu des enseignants.