Le Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE), Équiterre, la Fondation Coule pas chez nous et Nature Québec ont déposé une action en justice à la Cour supérieure, le 18 février dernier, pour que TransCanada soumette son projet de pipeline Énergie Est aux exigences de la Loi sur la qualité de l’environnement (LQE).
«Le gouvernement libéral de Philippe Couillard a décidé de contrevenir à cette loi parce que TransCanada refuse de s’y conformer en ne soumettant pas son projet à une évaluation complète par le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE). Les audiences du BAPE concernant Énergie Est doivent débuter le 7 mars prochain, sans que TransCanada ait produit une étude des impacts environnementaux de son projet, comme le prévoit la LQE», a souligné le professeur du Département des sciences juridiques Jean Baril, lors d’une conférence publique tenue à l’UQAM, le 25 février, à laquelle participait également Me Michel Bélanger, procureur du CQDE.
Le pipeline Énergie Est, s’il est construit, s’étendra sur 625 km au Québec, traversant plus de 800 cours d’eau ainsi que le territoire de plusieurs municipalités et des zones agricoles. Il transportera chaque année 400 millions de barils de pétrole des sables bitumineux dès 2021, sur une distance de 4 600 km, de l’Alberta au Nouveau-Brunswick. «Cet oléoduc favorisera la construction de nouvelles mines de sables bitumineux dans l’ouest du pays, lesquelles contribueront à l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre au Canada», a indiqué Jean Baril, un spécialiste en droit de l’environnement.
Faire respecter la loi
Les deux juristes ont expliqué qu’en vertu de la Loi sur la qualité de l’environnement et du Règlement sur l’évaluation et l’examen des impacts sur l’environnement, tout oléoduc de plus de 2 km doit être assujetti à la procédure d’évaluation et d’examen des impacts environnementaux du BAPE et requiert l’obtention d’un certificat d’autorisation du gouvernement du Québec. Il s’agit d’une procédure obligatoire en vigueur depuis plus de 35 ans.
«TransCanada aurait dû déposer un avis de projet au ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, a précisé Jean Baril. Par la suite, le ministère aurait émis une directive précisant tous les éléments devant faire partie d’une étude sur les impacts environnementaux du projet que la pétrolière aurait dû produire.»
Si l’étude d’impact est jugée satisfaisante par le ministre, celui-ci la soumet au gouvernement, lequel peut alors délivrer un certificat d’autorisation avec ou sans modification ou refuser de le faire. «Une étude d’impact préparée selon les prescriptions du règlement fait l’objet d’une étude attentive par les différents ministères concernés, jusqu’à ce qu’elle soit considérée comme satisfaisante par le ministre, qui la rend ensuite publique. Ce processus assure une meilleure qualité au document, lequel fait alors l’objet de consultations dans le cadre du BAPE», a expliqué le professeur.
«En 2014, le ministre de l’Environnement David Heurtel a rappelé plusieurs fois à la compagnie albertaine ses obligations légales. Mais TransCanada a toujours refusé de déposer un avis de projet, jugeant qu’elle n’est pas soumise à la réglementation québécoise», a souligné Michel Bélanger. Depuis deux ans, l’entreprise affirme qu’elle participera volontairement à un examen de son projet par le BAPE, mais que son étude environnementale soumise à l’Office national de l’énergie (ONÉ), une agence fédérale, serait le seul document de référence pour discuter de tous les enjeux reliés au pipeline au Québec. «L’Assemblée nationale a pourtant adopté, en novembre 2014, une motion unanime demandant spécifiquement au gouvernement d’assumer sa compétence en environnement et de renoncer à déléguer ses évaluations environnementales à l’Office national de l’énergie», a rappelé Jean Baril.
Une autre spécialiste en droit de l’environnement, la professeure Paule Halley, de l’Université Laval, croit aussi que le projet de TransCanada ne peut être soustrait au respect des dispositions de la loi québécoise. Dans un texte transmis récemment au Devoir, l’avocate affirmait que «la loi québécoise ne permet pas d’exempter ce projet d’oléoduc et n’autorise pas le gouvernement à renoncer à exercer son pouvoir décisionnel au terme du processus d’autorisation environnementale». L’avocate dressait, par ailleurs, un parallèle avec une décision rendue le mois dernier par la Cour suprême de la Colombie-Britannique, qui a rejeté les prétentions de Northern Gateway Pipelines, laquelle plaidait l’exclusivité de l’autorité fédérale sur les oléoducs interprovinciaux.
Un mandat tronqué
Devant le refus de TransCanada de s’exécuter, le ministre Heurtel a confié un mandat tronqué au BAPE, en vertu d’un autre article – 6.3 – de la LQE, une disposition qui n’a jamais servi à l’évaluation d’un projet de développement.
Jean Baril estime que cette procédure comporte plusieurs conséquences négatives: absence de directive du ministre quant au contenu spécifique de l’étude d’impact; documentation incomplète ou inexistante sur différents enjeux particuliers au Québec; absence de la procédure d’évaluation et d’examen de ce projet prévue par la loi; évitement de frais de plus de 136 000 dollars exigibles selon la procédure obligatoire.
«Le mandat donné par le ministre au BAPE exclut les volets touchant les retombées économiques et fiscales du projet pour le Québec et le respect des obligations de consultation envers les Premières Nations, a souligné le juriste. La conséquence la plus importante est que ce processus ne permettra pas au gouvernement de rendre une décision à l’égard du projet, mais le conduira à produire un simple mémoire qu’il présentera à l’Office national de l’énergie.»
Selon Jean Baril et Michel Bélanger, seule une procédure complète d’évaluation environnementale telle que prévue par la loi québécoise est en mesure de garantir les droits des Québécois à une information de qualité et à un environnement sain et respectueux de la biodiversité. C’est pourquoi ils demandent au gouvernement du Québec de suspendre la procédure actuelle du BAPE, le temps de permettre à la Cour supérieure de statuer sur les obligations de TransCanada à cet égard.
«Il y a deux semaines, l’Office national de l’énergie a lui-même invité TransCanada à refaire ses devoirs, déclarant que la documentation déposée était incomplète et ne permettait pas une consultation efficace, a rappelé Michel Bélanger. C’est pourtant sur la base de ces documents que la consultation québécoise se tiendra à compter du 7 mars.»