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Tourbière à sauvegarder

Un projet de recherche vise la restauration d’une tourbière dans la région de Lanaudière.

Par Pierre-Etienne Caza

27 septembre 2016 à 10 h 09

Mis à jour le 30 septembre 2016 à 9 h 09

Érable rouge, épinette blanche, pin gris, pin blanc, aulne, peuplier et érable argenté figurent parmi les espèces plantées dans la tourbière du chemin du Brûlé dans le but d’enrayer la prolifération du roseau commun et du nerprun cathartique.

Une tourbière comme terrain de jeu pendant 10 ans. C’est le «cadeau» offert par l’Agence métropolitaine de transport (AMT) à Daniel Kneeshaw, professeur au Département des sciences biologiques et membre du Centre d’étude de la forêt (CEF). La restauration de la tourbière vise à compenser la destruction de milieux boisés et de milieux humides engendrée par les travaux d’aménagement du Train de l’Est (ligne Mascouche). «Il est plus facile de construire une gare où il n’y a pas de maisons, mais cela signifie parfois que l’on détruit des espaces verts», explique Daniel Kneeshaw.

Daniel KneeshawPhoto: Photographe

Pour pallier ces pertes, et suivant les recommandations du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement, l’AMT s’est engagée à prendre sous sa responsabilité l’aménagement de la tourbière du chemin du Brûlé, située dans la ville de l’Assomption, qui est envahie par le roseau commun (Phragmites australis) et, dans une moindre mesure, par le nerprun cathartique. «L’objectif du projet de recherche est d’identifier les meilleures méthodes de lutte contre ces espèces envahissantes et les moyens de restaurer ce milieu humide», précise le chercheur, un spécialiste reconnu dans ce domaine.

Il y avait jadis beaucoup de tourbières dans le sud du Québec, mais puisque ces milieux étaient constitués de sol à la terre noire, excellente pour l’agriculture, la plupart ont été convertis en terres agricoles. «La tourbière du chemin du Brûlé est une tourbière forestière d’une quarantaine d’hectares entourée de terres agricoles», explique Daniel Kneeshaw, qui a déjà amorcé le travail de recherche sur le terrain. La zone qui l’intéresse pour ses recherches s’étale sur environ 3 hectares (ce qui correspond à environ 5,5 terrains de football américain).

À certains endroits, on retrouve plus d’une centaine de tiges de roseau commun au mètre carré, certaines atteignant 3,5 mètres. Le poteau que l’on aperçoit mesure 1,5 mètre (5 pieds).

Certains secteurs de la tourbière sont complètement envahis par le roseau commun, une plante non indigène qui pousse de façon très dense. «À certains endroits, nous avons recensé plus d’une centaine de tiges par mètre carré, certaines atteignant 3,5 mètres. On n’y voit rien et il faut porter des lunettes de sécurité car c’est dangereux pour les yeux», raconte le chercheur. Peut-on couper au sol le roseau commun ? «Oui, mais il repousse à une vitesse fulgurante.» Et si on le déracine»? «Ses rhizomes sont tellement denses que c’est pratiquement impossible, ou alors ça coûterait une fortune et détruirait complètement l’écosystème.»

Le chercheur et son équipe, constituée de ses collègues Tanya Handa (sciences biologiques), Alain Paquette (CEF) et Lluís Coll (Forest Sciences Centre of Catalonia), ainsi que de diplômés, d’étudiants au bac, à la maîtrise et au doctorat, comptent expérimenter des méthodes de lutte alternatives en fonction des caractéristiques des divers secteurs de la tourbière. «Nous ne pouvons pratiquement rien faire pour le moment dans le secteur où le roseau est omniprésent, mais d’autres zones sont intéressantes, dit-il. Ce sont nos expérimentations dans ces autres secteurs qui nous guideront ultérieurement pour la zone la plus problématique.»

Des arbres en renfort

Dans une zone où la nappe phréatique est très haute, les chercheurs tentent de recréer de petits monticules de terre afin d’y planter des végétaux.

Dans un secteur de la tourbière, aucun arbre ne pousse car leurs racines sont noyées et pourrissent. «Le fermier qui possédait la terre dans les années 1980 et 1990 a procédé à des travaux qui ont vraisemblablement fait augmenter le niveau de la nappe phréatique, explique Daniel Kneeshaw. Nous tentons, dans cette zone, de recréer de petits monticules de terre où nous plantons des végétaux. En grandissant, ils contribueront à assécher le sol.»

Dans d’autres zones, le roseau commun est présent, mais en moins grande quantité – on y trouve entre 60 et 100 tiges au mètre carré. «Nous allons tenter d’y faire pousser quelques végétaux qui pourraient créer des conditions défavorables au phragmite», dit le chercheur.

Une zone située près de la forêt adjacente à la tourbière est digne d’intérêt, car on y retrouve des bouleaux gris et des érables rouges qui atteignent 4 à 5 mètres de hauteur. «Nous constatons que le roseau commun ne pousse pas à l’ombre de ces arbres. Notre objectif est donc de faire croître des arbres pour que la canopée forestière empêche le phragmite de proliférer.»

La tourbière, comme beaucoup d’endroits dans le sud du Québec, connaît un problème de surpopulation de chevreuils, qui broutent les jeunes pousses là où le roseau commun est moins dense. «Nous projetons de conserver juste assez de phragmite pour rebuter les chevreuils et les autres herbivores, qui ne s’aventureront pas ou peu dans le secteur s’ils risquent de se blesser sur les roseaux, précise le spécialiste. On a aussi remarqué que les endroits dominés par le phragmite offrent peu de nourriture au chevreuil.» Bref, il s’agit pour son équipe de trouver des solutions permettant de contrer les effets dévastateurs d’une trop grande présence du roseau commun, tout en tirant avantage de sa présence. Beau casse-tête !

Un partenariat précieux

Daniel Kneeshaw et son équipe commenceront la plantation de petits arbustes dans certaines zones «ouvertes», où il y a peu de roseau commun. Ils planteront ensuite des arbres qu’ils pourront voir croître au fil des ans. Le partenariat entre l’UQAM et l’AMT, qui a débuté l’été dernier, se poursuivra en effet jusqu’à l’été 2027, accompagné de fonds totalisant près de 1 million de dollars. «C’est très rare d’avoir la chance d’effectuer un suivi de recherche pendant une aussi longue période, dit le chercheur. C’est précieux, surtout en foresterie, car les arbres ne parviennent pas à maturité en trois ans.»

«C’est très rare d’avoir la chance d’effectuer un suivi de recherche pendant une aussi longue période. C’est précieux, surtout en foresterie, car les arbres ne parviennent pas à maturité en trois ans.»

Daniel Kneeshaw

Professeur au Département des sciences biologiques

Le Service des partenariats et du soutien à l’innovation (SePSI) de l’UQAM a été impliqué dans l’élaboration de l’entente de partenariat avec l’AMT et assure un suivi du projet. Cette entente à long terme permet au chercheur de valider son approche et de s’assurer que ses plantations réussiront contre les deux espèces envahissantes de la tourbière. «Si nous réussissons à contrôler le roseau commun en plantant différentes espèces d’arbres, nous devrions être en mesure de contrôler le nerprun cathartique par la suite, affirme Daniel Kneeshaw. Cela dit, il faut terminer nos plantations avant le gel et la neige!»

Les étudiants qui veulent participer au projet peuvent contacter le professeur Kneeshaw, qui est en période de recrutement pour la suite du projet, qui sera consacrée au suivi des travaux, à la documentation de l’efficacité des plantations et aux ajustements.