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Un manque d’assiduité coûteux

Plus de 50 % des gens perdent de l’argent en souscrivant un abonnement annuel dans un gym, révèle une étude.

Par Pierre-Etienne Caza

18 janvier 2016 à 10 h 01

Mis à jour le 22 janvier 2016 à 13 h 01

Photo: Nathalie St-Pierre

Comme le veut la tradition, la nouvelle année amène son lot de résolutions, au grand bonheur des centres d’entraînement physique, qui font le plein de nouveaux abonnés motivés. Ces derniers seront-ils nombreux à déchanter dans quelques mois ? Les professeurs Jean-Denis Garon et Pierre-Carl Michaud, du Département des sciences économiques de l’ESG UQAM, ainsi que la candidate à la maîtrise Alix Masse se sont intéressés à l’assiduité de ces nouveaux abonnés sous un angle économique original. «Il s’agissait d’analyser la relation entre l’assiduité souhaitée au départ et l’assiduité réelle en lien avec la motivation de chacun, explique Pierre-Carl Michaud. Nous avons aussi observé les coûts réels de ces abonnements.» Les résultats de leur recherche ont été publiés dans Journal of Economic Behavior & Organization.

Les chercheurs se sont penchés sur le cas de 1475 nouveaux abonnés (dont l’âge moyen était de 33 ans) d’une chaîne de centres d’entraînement de la grande région montréalaise. Plus de 95 % de ces abonnés avaient souscrit à un contrat d’abonnement annuel en septembre 2011 –  septembre est le mois le plus achalandé dans ce type de centre après le mois de janvier. «Nous avons eu accès au relevé d’assiduité mensuelle pour chacun de ces membres pendant une année», précise Pierre-Carl Michaud.

Un problème de motivation

Lorsqu’une personne s’inscrit dans un gym, elle doit remplir un questionnaire sur sa santé et sur ses objectifs. On lui demande, entre autres, à combien de reprises elle espère se présenter au gym chaque semaine. «En moyenne, les gens ont affirmé vouloir s’entraîner trois fois et plus par semaine, ce qui correspond aux publicités et aux recommandations de la santé publique. Mais la réalité est tout autre: les données ont démontré que les gens ont fréquenté le gym en moyenne 1,39 fois par semaine durant l’année, révèle Pierre-Carl Michaud. Moins de 9 % des gens l’ont fréquenté trois fois et plus par semaine et plusieurs sont allés moins d’une fois par mois.» Le scénario est connu: le nouvel abonné se rend au gym une dizaine de fois le premier mois, un peu moins le deuxième, et ainsi de suite. «Quand ça tombe à zéro, les gens abandonnent et n’y retournent plus», note le professeur.

Les chercheurs ont voulu vérifier si un abonnement annuel au coût moyen de 39,10 dollars par mois demeurait rentable malgré cet écart entre l’assiduité projetée et l’assiduité réelle. Puisque le coût à la pièce pour une visite était de 14,95 dollars, il aurait fallu fréquenter le gym 2,6 fois par mois, tous les mois, pour rentabiliser son investissement. «Si les gens fréquentaient le gym aussi souvent qu’ils l’espèrent lors de leur abonnement, ce dernier serait rentable. Mais pour 56,8 % des nouveaux abonnés, le coût de l’abonnement annuel est plus élevé que s’ils avaient payé à la pièce», précise Pierre-Carl Michaud. En fait, les calculs ont révélé que le manque d’assiduité des nouveaux abonnés a fait en sorte que chaque visite au gym leur a coûté en moyenne 29,22 dollars.

Les chercheurs ont poussé l’exercice jusqu’à comparer pour chaque personne les coûts associés à un abonnement annuel et les coûts si cette personne avait payé à la pièce, en tenant compte du nombre réel de visites effectuées au gym. «Le coût moyen payé en surplus est de 346,45 dollars pour ceux qui n’ont pas été assidus, tandis que ceux qui l’ont été ont économisé en moyenne 702,40 dollars avec un abonnement annuel, note Pierre-Carl Michaud. Cela dit, lors de la signature du contrat d’abonnement, 99,2 % des gens font la bonne décision financière si on se fie au nombre de visites qu’ils projettent par semaine. Mais la naïveté de certains membres, disons-le ainsi, leur coûte cher en bout de ligne.»

Lors de l’inscription, on demande également au nouvel abonné de déterminer sur une échelle de 1 à 5 (jamais à souvent) s’il a tendance à remettre sa séance d’entraînement à plus tard. On lui demande selon le même principe de déterminer s’il a habituellement de la difficulté à atteindre ses objectifs de mise en forme. «Les gens sont conscients de leur problème d’assiduité, mais ils le sous-estiment grandement, note le chercheur. Et on a remarqué le même phénomène chez les gens qui renouvellent leur abonnement, qui sont pleins de bonne volonté, mais qui surestiment leur motivation.»

Moins de renouvellements

Du point de vue de la santé publique, ces résultats confirment ce que l’on savait déjà: la majorité de la population ne fait pas suffisamment d’activité physique. Du point de vue de l’entreprise, on pourrait penser que la situation est idéale: des gens achètent des abonnements annuels, mais n’utilisent pas ou peu les équipements, qui demeurent en bon état plus longtemps. «Les dirigeants de ces centres ne raisonnent pas ainsi, affirme Pierre-Carl Michaud. D’abord parce qu’ils ont à cœur la santé des gens et ensuite parce qu’un gym vide n’attire pas la clientèle.»

En fait, ces données sont d’autant plus préoccupantes pour les centres d’entraînement que les abonnés qui présentent un très grand écart entre leur assiduité projetée et leur assiduité réelle ont une probabilité moindre de renouveler leur contrat d’abonnement. «Cela a une incidence énorme pour une entreprise qui dispose d’un bassin fixe de population et qui doit recommencer son démarchage auprès de nouveaux client chaque année», note le chercheur.

Le projet se poursuit

Le défi des centres d’entraînement est de réussir à motiver leurs membres afin qu’ils se conforment à leurs objectifs initiaux. «Nous poursuivrons le projet afin de déterminer de quelles façons ils pourraient communiquer avec leurs abonnés en cours d’année afin de les inciter à être plus assidus, note Pierre-Carl Michaud. Nous souhaitons aussi savoir si ce genre de stratégie aidera l’entreprise dans le renouvellement des abonnements.»

Il est souvent difficile d’obtenir autre chose qu’un abonnement annuel quand on veut fréquenter un gym et la possibilité de payer à la pièce à chaque visite est rarement mentionnée d’emblée lors d’une première visite. Les abonnements devraient-ils être plus flexibles, ou offerts en lots de 10, 20 ou 30 séances? «Il appartient aux centres d’entraînement de déterminer si leur modèle d’abonnement doit être adapté à ces résultats de recherche. Ce qui est fascinant, c’est que nous avons, pour une rare fois, un type de recherche où convergent les intérêts corporatifs et les intérêts de santé publique», conclut le professeur.