Le jury du prix Athanase-David 2015, la plus haute distinction littéraire au Québec, l’a décrit comme un «créateur d’images», un «dessinateur d’idées». Romancier, poète et essayiste, le professeur associé du Département d’études littéraires Pierre Ouellet est l’auteur d’une quarantaine d’ouvrages. Il vient de publier un nouveau roman, Dans le temps (Druide), écrit dans une langue allégorique, dont les personnages inventent des formes de spiritualité, de sensualité, de rébellion et de transgression les plus étranges et les plus inusitées. Il s’agit du deuxième volume d’une trilogie. Le premier, Portrait de dos, est paru en 2013 et le troisième sera publié l’an prochain.
Le temps dont il est question dans le dernier roman de Pierre Ouellet est celui des années 1970, décennie turbulente et effervescente sur les plans social, politique et culturel. «À cette époque, au Québec, l’expérimentation et l’énergie créatrice étaient omniprésentes, rappelle le professeur. On s’intéressait à tout ce qui venait d’ailleurs: mouvement des droits civiques et contre-culture aux États-Unis, guerre du Vietnam, événements de Mai 68 en France. Cette injection de l’ailleurs nous a vaccinés, jusqu’à un certain point, contre certains réflexes folkloriques ou nationalistes au sens étroit de ces termes.»
Pierre Ouellet dit ne pas avoir voulu évoquer cette période de manière nostalgique ou mélancolique. «J’ai plutôt cherché à convoquer ce temps dans notre époque contemporaine, dans l’avenir qui nous attend, souligne-t-il. Nous vivons depuis quelques années une certaine apathie, laquelle a été un peu bousculée par le printemps étudiant de 2012. Ce qui m’intéresse, c’est l’avenir de la mémoire, la mémoire de ce qui a déjà existé.» L’écrivain se sert de cette mémoire pour trouver les germes qui, dit-il, permettraient à l’esprit de révolte de renaître. «Évidemment, les remises en cause dominantes dans les années 1960 et 1970 ne peuvent pas avoir les mêmes formes et les mêmes contenus aujourd’hui. Mais peut-être pourrait-on s’inspirer de ce temps pour reformuler des élans de rébellion.»
Membre de l’Académie des lettres du Québec et de la Société royale du Canada, Pierre Ouellet est né à Québec en 1950. Après avoir enseigné à la TÉLUQ et à l’Université du Québec à Chicoutimi, il a obtenu un poste de professeur à l’UQAM en 1989. Titulaire de la Chaire de recherche du Canada en esthétique et poétique de 2002 à 2016, il a pris sa retraite de l’enseignement en janvier dernier mais poursuit son travail d’écriture et de recherche, tout en encadrant des étudiants de maîtrise et de doctorat.
En plus d’avoir remporté, en novembre dernier, le prix Athanase-David pour l’ensemble de son œuvre, le professeur a reçu le prix du Gouverneur général du Canada dans la catégorie essai à deux reprises, pour À force de voir. Histoire de regard, paru en 2005, et pour Hors temps. Poétique de la post-histoire, publié en 2008. Il a aussi obtenu le prix Spirale pour Où suis-je. Paroles des égarés, publié en 2010, le prix du Festival international de poésie de Trois-Rivières pour Dépositions, en 2007, et le prix du roman de l’Académie des lettres du Québec pour Légende dorée, en 1998.
De la peinture à l’écriture
La peinture a été le premier mode d’expression de Pierre Ouellet. Adolescent, il est fasciné par la peinture moderne. «Le fait de pouvoir produire des images qui ne correspondent pas nécessairement à ce que l’on voit dans la réalité de tous les jours me passionnait, dit-il. Qu’il s’agisse du cubisme, du surréalisme ou de l’abstraction, la peinture nous plonge dans un réel plus onirique, ajoute du visible à ce qui est d’emblée visible et fait en sorte que notre vue devient soudainement étrange ou mystérieuse.»
La découverte de la littérature a été pour Pierre Ouellet un choc encore plus grand. «En lisant Rimbaud, Lautréamont, René Char ou Jean Cocteau, je me suis aperçu que la littérature permettait aussi de créer des images, des images verbales. J’essaie moi-même de créer des images suffisamment fortes pour qu’elles nous libèrent des automatismes que nous développons.» Le professeur reconnaît sa dette envers les écrivains du Nouveau roman, comme Claude Simon et Alain Robbe-Grillet. «Chez ces auteurs, le regard est plus important que l’action, l’intrigue ou la psychologie des personnages.»
Déborder les codes
Pierre Ouellet ne s’est jamais cantonné dans un genre littéraire, passant allègrement du roman à l’essai ou à la poésie. «L’essai me permet d’approfondir une question d’ordre philosophique, dit-il. Il m’arrive aussi de m’intéresser davantage à la musicalité de la phrase ou aux ruptures de ton. Le travail sur le poème prend alors toute son importance. Le roman, c’est la plaque tournante. Je peux y mettre du réflexif, du lyrique et du narratif. C’est le genre qui offre peut-être le plus de liberté parce qu’il peut conjuguer plusieurs approches.»
Roman, essai ou poésie, l’exploration constitue leur dénominateur commun. «Explorer suppose que l’on aille au-delà des règles établies, souligne l’écrivain. Dans mes écrits, j’essaie de déborder les codes qui régissent les genres. Plusieurs personnes me disent que mes essais sont souvent écrits dans une langue poétique. Il est rare, en effet, que je définisse des notions en recourant uniquement à des arguments théoriques. J’essaie de les incarner dans des images, lesquelles, en retour, ont un effet sur la pensée. Mes romans et ma poésie sont, quant à eux, chargés d’idées et de réflexions.»
Sensibilité collective
Avec l’art, le théâtre et le cinéma, la littérature est l’un des lieux où s’exprime la sensibilité collective, soutient Pierre Ouellet. «Dans les années 50 et 60, on avait l’impression que la littérature québécoise véhiculait des thèmes communs, que de nombreux écrivains, d’Hubert Aquin à Réjean Ducharme, en passant par Marie-Claire Blais, partageaient des traits stylistiques. Depuis, le Québec s’est diversifié et sa littérature aussi.»
Selon le professeur, la littérature québécoise actuelle est davantage porteuse d’altérité que d’identité. «Notre conception de la temporalité et de la spatialité s’est élargie, observe-t-il. Depuis les années 80, nos racines ne nous suffisent plus. De plus en plus d’écrivains situent leur univers romanesque ou poétique sur des continents lointains ou dans un ailleurs mythique, qui n’ont pas nécessairement d’ancrage dans notre réalité géopolitique.» Et les tonalités pour les aborder se sont aussi diversifiées, note Pierre Ouellet. «Entre Catherine Mavrikakis et Andrée A. Michaud, deux jeunes auteures importantes aujourd’hui, il y a un monde. L’une est dans un style emporté, voire colérique, tandis que l’autre use d’une langue très posée.»
Lire mieux
L’écrivain constate que la littérature, sur la scène médiatique, est confrontée à de nombreux concurrents qui attirent davantage l’attention du public. «Nous vivons les contrecoups de ce que Guy Debord appelait la société du spectacle, dans laquelle le divertissement et les loisirs l’emportent sur la culture au sens fort du terme. Le public des œuvres littéraires est plus restreint aujourd’hui qu’il ne l’était il y a 30 ou 40 ans.»
Cela dit, l’écrivain croit que les lecteurs, s’ils sont moins nombreux maintenant, lisent plus et mieux. «Pour certains de mes étudiants, la littérature est quelque chose de vital. Ils lisent les œuvres en profondeur, les travaillant et se laissant travailler par elles. Et cela me réjouit.»