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Un orienteur humaniste

Le conseiller en orientation professionnelle Mathieu Guénette plaide pour une approche humaniste des ressources humaines.

Par Pierre-Etienne Caza

5 avril 2016 à 16 h 04

Mis à jour le 6 avril 2016 à 9 h 04

Série «Sur le terrain»
Des diplômés de l’UQAM qui ont fait leurs preuves répondent à 10 questions sur leur univers professionnel.

Mathieu Guénette est de retour au bercail. Diplômé du baccalauréat en information scolaire et professionnelle (1995) et de la maîtrise en éducation, option carriérologie (1998), il avait travaillé au début des années 2000 à titre de conseiller d’orientation chez Brisson Legris, une entreprise spécialisée en orientation scolaire et professionnelle. Après un passage aux Services à la vie étudiante de l’UQAM en 2005-2006, puis à la Société Pierre Boucher de 2006 à 2012, le voilà de retour chez Brisson Legris, cette fois à titre de directeur des services professionnels. Il y supervise le travail d’une demi-douzaine de conseillers en orientation, en plus de participer au développement stratégique de l’entreprise, qui a pignon sur rue à Montréal depuis 1968. Il intervient régulièrement dans les médias et il enseigne également à titre de chargé de cours à HEC Montréal.

Quelle est la plus grande qualité pour être heureux dans votre domaine?

La curiosité, car elle permet d’être en apprentissage perpétuel. Je ne me contente pas de me tenir à jour dans mon domaine. Je lis sur la psychologie, le leadership, le coaching, etc.

Votre plus grande réussite?

D’avoir été capable d’élargir ma pratique pour la rendre plus stimulante et plus enrichissante. Ainsi, j’ai réussi à établir ma crédibilité dans plusieurs domaines connexes, comme l’enseignement en psychologie, la gestion de personnel, le coaching et les ressources humaines. En plus d’être membre de l’Ordre des conseillers et conseillères d’orientation depuis 1998, je suis membre de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés (CRHA) depuis l’an dernier.

Lors de mes études pour intégrer les CRHA, je me suis aperçu qu’en entreprise, il y avait des conseillers en ressources humaines, des coachs, des psychologues organisationnels, mais pas de conseillers d’orientation. La science de l’orientation y est méconnue et, pourtant, elle y serait très utile! L’orientation professionnelle, ce n’est pas uniquement bon pour les jeunes qui terminent le secondaire.

Un faux pas qui vous a servi de leçon?

Au milieu des années 2000, j’ai été embauché comme consultant en psychologie organisationnelle auprès de grandes entreprises. J’ai beaucoup d’admiration pour les gens qui brassent de grosses affaires et je crois que je me suis laissé impressionner. Je me suis éloigné des valeurs humanistes qui donnaient un sens à ma pratique, comme si je devais faire un deuil de celui que j’étais pour mieux me fondre dans mon nouvel environnement de travail. J’ai toujours aimé être un agent de changement et, là, c’est le milieu qui me changeait. Je tentais de devenir un homme d’affaires! Il m’a fallu deux ans pour me rendre compte que j’étais malheureux. J’ai compris qu’il était possible de me conformer à certaines pratiques organisationnelles tout en y mettant ma couleur et en changeant ce qui pouvait l’être.

Le faux pas n’a pas été d’aller travailler comme consultant en psychologie organisationnelle, mais bien d’avoir oublié en chemin, du moins au début, qui j’étais et pourquoi je faisais ce métier: pour aider les gens dans leur cheminement professionnel. J’ai choisi ce métier pour faire du bien aux gens.

Un bon coup d’un compétiteur que vous auriez aimé faire?

Yann Le Corff, conseiller d’orientation et professeur à l’Université de Sherbrooke, a créé un test, l’Inventaire de Personnalité de Le Corff (IPLC), qui est un outil d’évaluation de la personnalité basé sur la théorie des cinq facteurs «Big Five» : ouverture à l’expérience, conscience, extraversion, agréabilité et névrosisme. Son test est facile à utiliser avec les clients et le langage utilisé est axé sur le monde de l’entreprise davantage que sur le monde clinique. J’aime l’idée que l’on puisse utiliser des outils québécois de grande qualité comme celui-ci dans le cadre de notre travail. Yann Le Corff travaille à promouvoir la recherche en orientation et il est très généreux de son savoir. C’est un beau modèle !

La dernière tendance dans votre secteur?

La présence attentive. C’est une technique [N.D.L.R.: une forme de méditation] qui amène les gens à mieux se connaître. Cela permet de gérer son anxiété, mais c’est beaucoup plus que cela. Je crois que les outils proposés par la présence attentive permettent de porter un meilleur regard sur soi-même à long terme. Beaucoup de gens en orientation s’y intéressent, j’en parle beaucoup avec mes clients et j’espère que ce ne sera pas qu’un effet de mode.

Et ce qui est définitivement dépassé?

L’approche dite des carrières d’avenir! Cette vision de l’orientation, axée exclusivement sur les besoins du marché du travail, est, selon moi, contreproductive. Elle promet beaucoup et donne peu de résultats en bout de ligne. Suggérer à quelqu’un qui est en questionnement de se concentrer uniquement sur une liste de carrières d’avenir? Non merci! Il faut prendre en compte la personnalité du client et lui permettre d’ouvrir ses horizons, tous les horizons!

Sur la scène nationale ou internationale, qui est le «gourou» de l’heure?

J’aurais le goût de critiquer toutes ces approches en ressources humaines, surtout américaines, qui sont axées sur les garanties de résultats. Plusieurs livres publiés sur le sujet tiennent un discours selon lequel ce n’est pas parce qu’on travaille en ressources humaines qu’on doit être humain !! On y traite les gens comme des numéros, afin de repérer les bons travailleurs parmi les mauvais. Cette approche me fait frémir tellement elle est à l’opposé de mes valeurs et de ma pratique! Elle instrumentalise les ressources humaines, en proposant d’utiliser les êtres humains comme des robots, comme des pions que l’on déplace pour mieux faire fonctionner la machine capitaliste. Or, les humains sont complexes et les entreprises doivent respecter leurs travailleurs et développer une empathie, de même qu’une responsabilité sociale. Tout n’est pas que performance!

C’est comme si les spécialistes des RH voulaient établir leur crédibilité auprès des dirigeants en empruntant un langage financier axé sur la performance, entre autres, plutôt que d’essayer d’amener les entreprises à adopter une vision plus humaniste. On sait qu’il y a de plus en plus de problématiques de santé mentale sur le marché du travail. Or, des gens en congé de maladie ou qui font le minimum parce qu’ils ne se sentent pas engagés dans leur travail coûtent cher aux entreprises. Il faut une vision à plus long terme et un courant comme celui-là est nuisible à mon avis.

Nommez une étoile montante qui vous inspire.

Il y en a sept: Marie-Hélène Collin, Mélissa Turcotte, Fanny Charbonneau, Catherine Leduc, Dominic Prévost, Amélie Lesage-Avon et Mélissa Poirier. Ce sont les conseillères (et le conseiller!) d’orientation de mon équipe chez Brisson Legris. Ils sont jeunes, engagés, travaillants, dynamiques et inspirants! Ils n’ont pas peur de sortir des sentiers battus pour enrichir leur pratique et faire rayonner la profession. J’ai longtemps été travailleur autonome. C’est formidable d’avoir la chance de diriger une équipe comme celle-là.

Quel est le livre qu’il faut lire en ce moment?

Reinventing Organizations: vers des communautés de travail inspirées, de Frédéric Laloux. Notre équipe de direction y fait souvent référence. On y traite d’un nouveau modèle d’organisation en train d’émerger, porteur de sens, d’enthousiasme et d’authenticité, d’une façon inédite de penser le management. C’est un livre pratique, qui donne en exemple un certain nombre d’entreprises qui ont mis en application ces nouveaux principes de management à visage humain… et qui sont des leaders en matière de performance dans leur domaine. Une conférence de Frédéric Laloux sur YouTube résume le livre, qui est porteur d’espoir pour l’avenir.

Les deux principaux conseils que vous donneriez à un jeune qui commence sa carrière?

Il faut être généreux en temps et en attention. Il ne faut pas avoir peur de donner, il ne faut pas calculer. Cela amène des relations de qualité qui débouchent souvent sur des projets intéressants.

Il faut également développer une écoute attentive de ce qui se passe autour de soi. Être à l’écoute est un art que je tente de perfectionner encore et encore. Quand on est jeune, on est pressé de s’exprimer, on veut montrer qu’on a des choses à dire et qu’on est intéressant. Mais il faut apprendre à poser les bonnes questions et à bien comprendre les réponses. C’est ce qui permet d’élargir notre cadre de réflexion.