Photo: Mathieu Tremblay
Goéland ou mouette? Il n’est pas facile de départager les deux espèces, mais certains signes ne trompent pas. Si un oiseau de la taille d’une corneille, avec un manteau gris pâle et une bande noire entourant le bout de son bec tourne autour de la poubelle du parc, il s’agit d’un goéland. Les mouettes se trouvent rarement en milieu urbain et sont plus petites et délicates.
Cela ne signifie pas que les goélands fuient les milieux aquatiques, au contraire. L’île Deslauriers, entre Montréal et Varennes, abrite en effet sur un site d’environ un kilomètre carré la plus grosse colonie de goélands à bec cerclé au Québec, et l’une des plus importantes au Canada. «On y retrouve près de 45 000 couples, ce qui représente 5 % de la population mondiale de l’espèce», explique Jean-François Giroux. Le professeur du Département des sciences biologiques est un spécialiste non pas des espèces menacées, mais de celles jugées surabondantes. Son équipe s’intéresse spécifiquement à ce goéland, que l’on retrouve exclusivement sur le continent nord-américain.
Des citoyens exaspérés
En 2006, les villes de Terrebonne et de Repentigny ont confié un mandat à un cabinet d’expertise environnementale afin de trouver des solutions aux problèmes occasionnés par la présence accrue de goélands dans leur région. «En se rendant vers leurs aires d’alimentation, parmi lesquelles un site d’enfouissement de déchets, les goélands volaient au-dessus des zones résidentielles et laissaient tomber leurs fientes, explique Jean-François Giroux. Des citoyens exaspérés ont réclamé des mesures de contrôle.»
Un comité de travail a conclu qu’une approche intégrée et régionale était nécessaire. Mais, pour cela, il fallait disposer de meilleures connaissances scientifiques sur la distribution, les mouvements et les habitats des goélands. Des chercheurs de l’UQAM et d’autres universités ont alors élaboré un projet de recherche dans une perspective de gestion intégrée. «L’objectif était de mieux comprendre le comportement de quête alimentaire et la dynamique de la population de goélands qui niche sur l’île Deslauriers», explique Jean-François Giroux.
Afin de connaître les lieux privilégiés par les goélands pour se nourrir, les chercheurs ont muni 161 oiseaux de consignateurs de localisation GPS miniatures. «Nous les avions installés sur le dos des oiseaux, mais nous n’avions pas prévu la mue, se rappelle en riant Jean-François Giroux. Quand les oiseaux ont perdu leurs plumes, les GPS sont tombés!» De nouveaux dispositifs ont été attachés à la queue des oiseaux et les chercheurs ont alors été en mesure de relever 1 765 trajets d’alimentation.
Des gastronomes faciles à satisfaire
Les goélands à bec cerclé sont des gastronomes faciles à satisfaire, car ils mangent un peu de tout: éperlans, vers de terre, larves, souris, animaux tués sur la route, insectes volants. À l’occasion, ils ne dédaigneront pas les petits d’autres espèces d’oiseaux: des canetons, par exemple. Ils ne se font pas non plus prier pour squatter les cours d’école où ils attendent que les enfants leur donnent les restes de leur lunch. «Ce sont des généralistes opportunistes en matière d’alimentation, sauf que les données recueillies à l’aide des consignateurs de localisation et des analyses de tissus suggèrent qu’en période de nidification, les goélands ne varient plus leur menu et que chaque couple a ses préférences, révèle le chercheur. Comme si les futurs parents développaient soudainement des caprices alimentaires…»
Les données ont également révélé que les goélands se nourrissent principalement sur les terres agricoles situées près des colonies et dans les sites d’enfouissement. Comme le site de Terrebonne n’est qu’à sept kilomètres de la colonie de l’île Deslauriers, il était facile pour les goélands d’effectuer deux voyages de ravitaillement par jour afin de nourrir leurs petits restés dans le nid. «Cette proximité expliquait en partie l’accroissement exponentiel de la population», mentionne Jean-François Giroux.
Certains goélands plus paresseux mangent ce qu’ils trouvent… à 500 mètres de leur colonie. D’autres, plus aventureux, peuvent parcourir jusqu’à 45 kilomètres pour trouver nourriture à leur bec. En moyenne, la distance parcourue aller-retour est de 25 km par trajet.
Amateurs de fast food, certains oiseaux choisissent de jouer les pique-assiettes dans les poubelles de casse-croûtes ou de centres commerciaux. À leur grand étonnement, les chercheurs ont observé que ces goélands ont une charge parasitaire moindre que les oiseaux fréquentant des milieux naturels comme les rives du fleuve. «Notre hypothèse est que les parasites intestinaux se développent en suivant un cycle complexe qui nécessite souvent un hôte intermédiaire tel qu’un gastéropode (escargot) ou des crustacés, explique le professeur. On retrouve ce type de bestiole en milieu aquatique, agricole ou dans les parcs. Dans les poubelles, les goélands ont moins de chance de rencontrer ces hôtes intermédiaires.» Les frites froides et autres reliefs de repas minute auraient donc amélioré la condition des oiseaux et favorisé la croissance de la population!
Programme d’effarouchement
Une fois confirmé le fait que les sites d’enfouissement offraient aux goélands un buffet à volonté, les chercheurs se sont intéressés aux méthodes d’effarouchement permettant de les chasser, en particulier l’utilisation d’oiseaux de proie (site de Terrebonne) et l’abattage (utilisé sur un autre site situé un peu plus au nord, à Sainte-Sophie). Ils ont constaté que très peu de goélands réussissaient à s’alimenter à Terrebonne, car les faucons y faisaient un travail irréprochable. On ne pouvait pas en dire autant à Sainte-Sophie, en partie parce que le programme d’abattage était restreint aux heures de bureau des employés du site. «Les oiseaux ont fini par connaître les horaires des employés», note avec humour Jean-François Giroux.
À la lumière de ces résultats, les gestionnaires du site de Sainte-Sophie ont opté pour l’effarouchement par fauconnerie. Cela a eu des impacts observables durant la recherche. «Si les oiseaux doivent aller plus loin pour trouver des aliments, cela se reflète sur le taux de survie», indique le professeur. Les goélands à bec cerclé pondent trois œufs par année et le succès d’éclosion tourne autour de 80 %. Le nombre de jeunes qui survivent et réussissent à s’envoler était de 1,8 (sur les trois oeufs) dans les années 1980, alors qu’il est aujourd’hui de l’ordre de 1,1. «On observe au cours des dernières années un déclin de la population de goélands, et les citoyens de Terrebonne et de Repentigny ne se plaignent plus des nuisances», ajoute-t-il.
Fidèles, mais pas fusionnels
Après la période de reproduction, en juillet-août, les goélands quittent la colonie de l’île Deslauriers et se dispersent sur le continent. «Les couples sont fidèles au même partenaire d’une année à l’autre au sein de la colonie, mais on sait qu’ils ne migrent pas ensemble et qu’ils ne passent probablement pas l’hiver au même endroit», précise Jean-François Giroux. Tiens tiens… Fidèles, mais pas fusionnels!
Certains individus se retrouvent dans la région des Grands Lacs, d’autres dans l’État de New York, dans le Bas-Saint-Laurent ou au Nouveau-Brunswick. «Nous avons muni 25 oiseaux de balises Argos-GPS, qui nous permettent de les suivre tous les jours depuis trois ans, ce qui représente un ensemble de données unique», souligne le chercheur. Deux localisations sont obtenues chaque jour, à minuit (pour connaître l’emplacement du dortoir) et à midi (pour localiser les sites d’alimentation). «Nos résultats préliminaires indiquent que les goélands sont fidèles à leur route de dispersion d’une année à l’autre», précise-t-il. Un groupe, par exemple, passe toujours par Rivière-du-Loup et se rend ensuite à Edmundston, au Nouveau-Brunswick. «Ils y apprécient l’aéroport, car le tarmac est chaud et il y a des invertébrés dans la pelouse aux abords des pistes», note le professeur. Lorsque le froid se pointe, les goélands descendent plus au sud en longeant la côte Est américaine, poussant le périple jusqu’en Caroline, en Georgie et en Floride. Certains individus ont été retrouvés aussi loin que Cuba.
La candidate à la maîtrise Marie-Claude Murray tente actuellement d’estimer la survie annuelle des goélands à bec cerclé, des oiseaux qui vivent habituellement entre 15 et 20 ans. «Je souhaite déterminer l’effet du sexe, de l’âge, de la condition des oiseaux – surtout pour les jeunes qui s’envolent pour la première fois – et des conditions météorologiques sur la survie des oiseaux», explique-t-elle. Pour ce faire, elle utilise des données portant sur un groupe d’un peu plus de 9 000 goélands que les chercheurs ont marqués avec des bagues de plastique affichant des codes individuels. «À ce jour, nous avons cumulé plus de 13 000 observations», ajoute Marie-Claude Murray.
Ces observations proviennent de chercheurs du Québec, des autres provinces et des États-Unis, mais aussi d’ornithologues amateurs. «On sait, par exemple, que l’un des goélands s’est arrêté au même McDo du Connecticut quatre ans de suite! Une donnée plus inquiétante pour l’observateur, qui était là chaque fois, que pour l’oiseau!», souligne en riant Jean-François Giroux.
Observateurs 101
Tous les ornithologues amateurs peuvent s’improviser observateurs. Les goélands du projet de recherche de l’UQAM portent des bagues d’acier et des bagues de plastique bleues ou jaunes portant un code unique composé de 3 lettres ou chiffres. Si vous avez observé un de ces goélands bagués, vous pouvez rapporter votre observation en utilisant le formulaire sur le site http://goeland.uqam.ca/index.php/fr/rapporter-une-observation
L’équipe du professeur Giroux vous enverra des informations sur l’âge, la date et le lieu de baguage de l’oiseau. Si vous avez une photo qui montre le code de la bague, vous pouvez la joindre au formulaire, ce qui permet de valider votre observation.
Ces observateurs bénévoles sont cruciaux pour le travail des scientifiques, poursuit-il sérieusement. «Dès que l’on reçoit une observation, nous tentons d’y répondre le jour même, car les gens aiment savoir d’où provient l’oiseau qu’ils ont observé. Nous faisons également parvenir un bilan annuel à nos observateurs réguliers.»
Des bagues sont parfois retournées à l’équipe lorsqu’un oiseau est retrouvé mort. «On a déjà retrouvé une de nos bagues dans le bas de la tour de l’Université de Montréal, qui abrite un couple de faucons pèlerins, raconte Jean-François Giroux. Un faucon de l’UdM avait mangé un goéland de l’UQAM!»
Une belle couvée !
Le projet de recherche sur les goélands a été réalisé de 2009 à 2012 avec l’appui de plusieurs partenaires et du CRSNG. Il a donné lieu jusqu’à maintenant à la publication de huit articles scientifiques et de cinq mémoires de maîtrise. Certains projets se poursuivent encore et portent, entre autres, sur la dispersion post-reproductive et l’utilisation des toits plats pour la nidification. Une étude sur l’exposition des goélands à bec cerclé aux contaminants émergents comme les retardateurs de flamme, par le professeur Jonathan Verreault, est aussi en cours grâce à une subvention du Fonds de recherche du Québec Nature et technologies.
Source:
INTER, magazine de l’Université du Québec à Montréal, Vol. 14, no 1, printemps 2016.