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Passion harmonieuse ou obsessive?

Le bien-être psychologique d’un athlète dépend du type de passion qui l’anime, révèle Jérémie Verner-Filion.

Par Pierre-Etienne Caza

2 février 2016 à 16 h 02

Mis à jour le 3 février 2016 à 16 h 02

Photo: iStock

Si l’on se fie à la croyance populaire, un athlète qui désire atteindre les plus hautes sphères de la performance doit se consacrer uniquement à son sport, quitte à sacrifier tout le reste: les activités familiales, les amis, les loisirs et même ses études. «Il faut s’investir de manière importante si l’on veut devenir le meilleur dans son domaine, mais tout sacrifier n’est pas la seule façon d’y parvenir», affirme Jérémie Verner-Filion. Le doctorant en psychologie s’intéresse aux facteurs motivationnels qui permettent de prédire l’équilibre entre la performance à long terme et le bien-être psychologique des athlètes.

Le jeune chercheur prépare deux articles dans le cadre de sa thèse, sous la supervision du professeur Robert J. Vallerand, directeur du  Laboratoire de recherche sur le comportement social. Le premier rendra compte de ses observations à propos de quelque 150 joueurs (âgés de 14 à 22 ans) de l’Académie de l’Impact de Montréal, qui font l’objet depuis trois ans d’une recherche longitudinale. L’autre article portera sur un échantillon d’environ 800 joueurs de hockey midget et junior, qui avaient été interrogés à propos de leurs motivations au début des années 2000. «Grâce au Web, nous avons pu vérifier l’adéquation entre leurs réponses de l’époque et leurs accomplissements professionnels», précise-t-il.

Entre harmonie et obsession

Jérémie Verner-FilionPhoto: Nathalie St-Pierre

Les travaux de Jérémie Verner-Filion s’appuient principalement sur le Modèle dualiste de la passion, développé par le professeur Vallerand, une sommité internationale en matière de psychologie sociale. Ce modèle définit deux types de passion: la passion harmonieuse et la passion obsessive. Dans le premier cas, l’activité passionnante prend une place importante dans l’identité d’un individu, s’harmonisant avec ses autres centres d’intérêts, explique le doctorant. La motivation qui y est associée est habituellement intrinsèque, c’est-à-dire qu’elle est suscitée par l’intérêt et le plaisir que procure l’activité. Lorsque la motivation est extrinsèque – la personne cherche à obtenir de la reconnaissance, une récompense ou à faire plaisir aux autres –, il y a plus de chance de développer une passion obsessive, qui occupe tout l’espace identitaire. Les jeunes athlètes qui vivent ce type de passion dévorante sont plus à risque lorsque surviennent des situations difficiles. Un échec dans leur sport, par exemple, est vécu comme un échec de leur personnalité en entier.

Un type de passion mène-t-il davantage à la performance qu’un autre? Eh bien non!  «La passion harmonieuse et la passion obsessive mènent toutes deux à la pratique délibérée, laquelle mène à la performance», a pu constater Jérémie Verner-Filion auprès des jeunes athlètes en soccer et en hockey.

La pratique délibérée, rappelle-t-il, provient des travaux d’Anders Ericsson, le «père de la théorie des 10 000 heures» qui fait couler beaucoup d’encre depuis quelques années. Cette théorie stipule qu’il faut 10 000 heures de pratique pour atteindre le niveau de maîtrise associé à un expert de classe mondiale, et ce dans n’importe quel domaine. «Les jeunes athlètes ne s’engagent pas sur la voie de la pratique délibérée pour les mêmes raisons, nuance toutefois Jérémie Verner-Filion. Ceux qui vivent une passion harmonieuse et qui ont des motivations intrinsèques sont plus susceptibles de satisfaire en cours de route les trois besoins psychologiques essentiels à l’équilibre et au bien-être psychologique, soit le fait de se sentir compétent, autonome et affilié (développer des relations sociales significatives). Ceux qui se jettent dans la pratique délibérée pour des motivations extrinsèques ne satisfont pas ces besoins. En somme, travailler très fort et ne penser qu’à la réussite peut mener à la performance, mais cela a un coût au niveau du bien-être psychologique.»

L’influence des parents

Jérémie Verner-Filion s’intéresse également à l’influence des parents sur le développement des caractéristiques psychologiques des jeunes athlètes. «C’est une demande de l’Académie de l’Impact, qui souhaite mieux comprendre cette dynamique et améliorer ses interactions avec les parents.»

C’est dans le cadre de ce projet de recherche qu’il a rencontré le journaliste sportif Mathias Brunet, qui travaillait à l’élaboration du scénario du documentaire Parents Inc., présenté en janvier dernier à Canal D. Ce documentaire tente de cerner le rôle des parents dans le développement des jeunes hockeyeurs. Le doctorant a accepté d’y figurer à titre d’expert en psychologie sociale. «Le documentaire présente bien les deux côtés de la médaille, explique-t-il. D’un côté, le contrôle psychologique néfaste, où la motivation du jeune provient clairement du parent, qui souhaite le voir réussir, et, de l’autre, le soutien à l’autonomie, où on offre au jeune un cadre clair dans lequel il se sent libre d’exprimer ses choix et de prendre des décisions.»

Un bon filon…

Les recherches dans le domaine de la psychologie sociale intéressent de plus en plus les clubs professionnels. «Le Modèle dualiste de la passion pourrait même être appliqué dans d’autres domaines. Certains collègues l’ont appliqué à la réalité des musiciens classiques et on pourrait très bien envisager aussi des emplois plus traditionnels où on valorise énormément la performance», note Jérémie Verner-Filion, qui compte terminer son doctorat au cours de la prochaine année et s’engager sur la voie du postdoctorat. «J’ai toujours voulu être un chercheur universitaire et j’ai trouvé un filon qui me passionne», dit-il. De façon harmonieuse ou obsessive? Lui seul le sait…