Un flacon de verre soufflé qui contient la sueur d’une autre personne, un corps assemblé à partir de chambres à air, des poumons en vinyle remplis de mégots de cigarette, un personnage en aluminium de plus de six pieds de haut suspendu, des seins coulés dans de la barbotine (mélange fluide de ciment et d’eau)… Dans le cours Problématique de la sculpture: autour du corps, offert dans le cadre du programme de baccalauréat en arts visuels et médiatiques, les étudiants ont pleine autonomie quant au choix des procédés et des matériaux pour réaliser leurs projets personnels.
«Il existe de multiples façons d’aborder le corps en sculpture», souligne Stephen Shofield, un professeur de l’École des arts visuels et médiatiques qui développe depuis 30 ans une pratique artistique regroupant le dessin, la sculpture et la performance. «Beaucoup de sculpteurs s’intéressent à la représentation du corps, en tout ou en partie, dit-il. Rodin, par exemple, a été l’un des premiers à travailler sur des fragments du corps. Son atelier était rempli de mains, de pieds, de têtes sculptés. Aujourd’hui, plusieurs artistes contemporains abordent le corps comme un site situé dans un environnement, à partir duquel ils façonnent leurs œuvres.»
Le cours de Stephen Schofield poursuit plusieurs objectifs: sensibiliser les étudiants à diverses conceptions et représentations du corps en sculpture, à leur évolution à travers l’histoire de l’art et dans différents contextes culturels. Il vise aussi, et surtout, à susciter une réflexion sur le corps par la réalisation de projets individuels. Anatomie, posture, expression, gestes, physionomie, interdépendance entre le corps et l’espace environnant, altération du corps par des objets (prothèse, machine)… Les étudiants peuvent explorer plusieurs pistes de création.
Un environnement inspirant
Nous avions rendez-vous, le mois dernier, au cinquième étage du pavillon Judith-Jasmin, où se trouvent les cinq ateliers techniques des cours de sculpture – bois, métal, façonnage, moulage, résines et matières plastiques –, qui comptent parmi les mieux équipés en Amérique du Nord. Ce jour-là, Stephen Schofield ne donne pas de cours magistral. Une quinzaine d’étudiants travaillent à leurs projets de sculpture sous son regard curieux et attentif.
Les vastes espaces des ateliers sont baignés par la lumière du jour qui pénètre par de grandes fenêtres. On y trouve une profusion d’outils, de machines, de tables et de fours. «Ici, ce ne sont pas les procédés ni les matériaux qui manquent, dit le professeur. Les étudiants peuvent se livrer à diverses expériences en manipulant ou triturant du bois, du métal, de l’argile, du plâtre, du plastique, etc.»
Pour les étudiants, les ateliers sont un véritable terrain de jeu. Stephen Schofield, vêtu de son sarreau, circule d’un local à l’autre, observe discrètement ses étudiants, répond à leurs questions, formule un commentaire ou une suggestion. Malgré le bruit ambiant des machines et des outils, la plupart des étudiants sont entièrement concentrés sur leurs créations. Les techniciens responsables du fonctionnement des ateliers, complices, connaissent bien la nature de leurs projets et s’investissent en mettant la main à la pâte.
Machines et outils
Dans l’atelier de moulage, les étudiants expérimentent diverses techniques de fabrication de moules en plâtre et de résines plastiques pour produire des pièces uniques ou en série, à l’aide de divers matériaux: gypses, ciments, cires, plastiques, papiers, etc. L’atelier dispose, notamment, d’un jet de sable, d’une rotomouleuse (appareil de moulage par rotation) et d’une scie au diamant refroidie à l’eau.
Karelle Brunet travaille au moulage de seins en série, à partir de l’argile. «Je m’inspire d’un personnage mythologique, la déesse aux mille seins, dit-elle. Un personnage qui incarne l’image d’une femme forte et nourricière.»
En entrant dans l’atelier de façonnage et dans celui de résines et de matières plastiques, on a un peu le sentiment de pénétrer dans de petites usines. Le premier a été aménagé pour permettre le façonnage et le moulage de la céramique, de la cire et du verre moulé. Il abrite, entre autres, des fours électriques pour la cuisson de la faïence, du grès et de la porcelaine, ainsi qu’un four à gaz pour la cuisson des pièces de grandes dimensions. Le second sert à l’assemblage de divers types de résines synthétiques. On y trouve une thermoformeuse, une tour et une fraiseuse à lecteurs numériques. Une banque de quelques centaines d’échantillons de résines élémentaires ou de composés résineux complexes peut être consultée sur demande.
L’atelier de métal est doté de machines-outils servant, entre autres, à couper, plier, percer, cintrer et assembler les matériaux. Il est également équipé d’une forge au charbon, de postes de soudage semi-automatiques, d’un découpeur au plasma manuel ainsi que d’une table de découpe plasma à commande numérique (CNC), rien de moins! On y trouve enfin plusieurs tables de montage pour les travaux de précision.
Jean-François Lachance est en train de forger une structure en aluminium, qui sera plus haute que lui. «Je m’intéresse au métal depuis trois ans, dit-il. Mais, c’est la première fois que je fais de la soudure. J’aime la dureté du métal ainsi que le bruit et la chaleur qui se dégagent quand on le soude. C’est un travail très physique qui me plaît.»
Un peu plus loin, dans le même atelier, Jesus Castro cherche. Il n’a pas encore une idée précise de son projet. «Je veux créer un personnage qui sera un peu décalé par rapport à la réalité du quotidien. Il sera peut-être en équilibre sur des échasses, le regard projeté vers le ciel.»
Les formes d’art médiatiques et les images virtuelles n’ont pas remplacé les objets. L’intérêt des étudiants pour la sculpture ou la peinture en témoigne. Comme quoi on n’en pas fini avec la matière.