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Des primaires aux élections

L’Observatoire sur les États-Unis organise un colloque sur les élections américaines.

Par Pierre-Etienne Caza

15 février 2016 à 13 h 02

Mis à jour le 31 janvier 2018 à 15 h 01

Série L’actualité vue par nos experts

Des professeurs et chercheurs de l’UQAM se prononcent sur des enjeux de l’actualité québécoise, canadienne ou internationale.

Photo: iStock

Qui succédera à Obama? C’est la question que se poseront les experts et conférenciers américains, canadiens et européens qui participeront au colloque organisé par l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques le 25 février prochain, à la Maison du développement durable. «Il s’agira de faire le point à quelques jours du Super Tuesday  du 1er mars, quand les électeurs d’une dizaine d’États se prononceront dans le cadre des primaires américaines, souligne Frédérick Gagnon, professeur au Département de science politique et directeur de l’Observatoire. Nous aborderons les courses à l’investiture démocrate et républicaine, les enjeux de l’élection présidentielle, le comportement de l’électorat américain ainsi que les impacts de cette élection sur le Canada et le Québec.» L’événement est organisé en partenariat avec le ministère des Relations internationales et de la Francophonie, avec le Consulat des États-Unis à Montréal et le Conseil des relations internationales de Montréal (CORIM).

La division du vote

L’automne dernier, Frédérick Gagnon a demandé aux étudiants de son séminaire de maîtrise sur la politique américaine de se prononcer sur les courses à l’investiture. Il s’agissait de déterminer en septembre qui allait être le meneur en décembre pour chacun des partis. «Je suis le seul qui avait misé sur Marco Rubio du côté républicain, car je ne croyais pas possible que Donald Trump soit encore le meneur à la veille des primaires. Plusieurs étudiants ont toutefois vu juste», raconte-t-il en riant.

Frédérick Gagnon
Photo: Émilie Tournevache

Deux mois plus tard, Donald Trump se maintient en tête chez les républicains, ayant gagné les primaires du New Hampshire – il a perdu en Iowa où Ted Cruz, le candidat de la droite religieuse, l’a emporté. «C’est fascinant car Trump est un candidat paranormal sur le plan idéologique, affirme Frédérick Gagnon. Il tire à gauche sur certaines questions – il prône des mesures protectionnistes en matière de commerce international, il est contre la guerre en Irak et il a même vanté le système de santé universel canadien! – alors qu’il est clairement à droite sur d’autres enjeux, comme l’immigration, l’accueil des réfugiés syriens et le mur à la frontière entre les États-Unis et le Mexique.» Son discours nationaliste couplé à ses idées protectionnistes lui permet d’aller chercher un électorat qui échappe habituellement au parti républicain: les hommes blancs syndiqués, les cols bleus qui se sentent lésés par le système depuis la crise financière. «Trump leur plaît car il leur dit qu’il va aider les “vrais Américains” à conserver leur emploi.»

Le succès de Trump s’explique en grande partie par la division du vote. «Au New Hampshire, il a gagné avec 34 % des voix, souligne le professeur. Si on additionne les voix obtenues par les candidats dits “modérés” – John Kasich, Jeb Bush, Marco Rubio et Chris Christie – on obtient 45 %. Sauf qu’aucun ne veut quitter la course, car elle est trop imprévisible. Chacun espère que les autres vont se désister et ainsi recueillir leurs appuis [NDLR: Chris Christie s’est depuis désisté].»

L’art de communiquer

Donald Trump est également un candidat bizarre dans sa manière de faire campagne, estime Frédérick Gagnon. «Sa force n’est pas sa machine électorale mais son aura, son nom, le fait qu’il soit une bibitte médiatique.» Le vieux renard est peut-être novice en politique, mais il maîtrise l’art de la communication. «Ses propos sont simples. Il utilise des mots de moins de trois syllabes et des phrases courtes qui se terminent par des images frappantes, qui font peur et qui alimentent une certaine paranoïa sécuritaire. Il martèle l’idée que pour la première fois depuis longtemps, l’Amérique perd. Et son slogan est justement: Make America Great Again

Sa recette fonctionne et les médias embarquent dans le jeu, car les cotes d’écoute sont au rendez-vous. «Habituellement, sept millions d’Américains regardent les débats à ce stade des primaires, souligne Frédérick Gagnon. Présentement, les réseaux obtiennent des cotes d’écoute de 23 millions de téléspectateurs! Les gens ne sont pas nécessairement d’accord avec Trump, mais ils veulent l’entendre, car il est divertissant.»

Rien n’est joué

Aux États-Unis, il y a environ un tiers d’électeurs démocrates, un tiers de républicains et 40 % d’indépendants. «Ce sont ces derniers qui tranchent lors de l’élection présidentielle, poursuit le professeur. Or, Trump figure parmi les candidats qui font l’objet des opinions les plus défavorables de la part des électeurs indépendants.»

Les républicains ne voudront pas présenter un candidat qui a peu de chance de l’emporter. Un hypothétique face-à-face entre Clinton et Trump verrait Hillary l’emporter par cinq points, disent les récents sondages. Si la confrontation mettait aux prises Clinton et le sénateur de la Floride Marco Rubio, c’est ce dernier qui l’emporterait par cinq points!

Il est donc plus que probable qu’un candidat modéré soit plébiscité par le parti et que les autres se rangent derrière lui. «Je me suis trompé l’automne dernier et tout reste possible, mentionne toutefois Frédérick Gagnon. Trump est en tête des sondages pour les prochains caucus du Nevada et les primaires en Caroline du Sud. S’il fallait en plus qu’il gagne 8 États sur 14 lors du Super Tuesday, le 1er mars prochain, il serait encore plus fort. Rien n’est joué.»

Du côté démocrate

S’il semble probable qu’Hillary Clinton sera la candidate du côté démocrate, elle devra tout de même batailler pour remporter l’investiture, car le sénateur du Vermont Bernie Sanders a remporté les primaires du New Hampshire après avoir chauffé sa rivale en Iowa la semaine précédente. «C’est un politicien populaire en Nouvelle-Angleterre, mais les prochaines primaires ont lieu dans des États qui lui sont moins favorables, comme la Caroline du Sud, où il y a plus de représentants de la minorité afro-américaine», analyse Frédérick Gagnon.

Les récents «succès» de Bernie Sanders s’expliquent en partie par son discours de gauche qui plaît aux jeunes électeurs – il a embrassé les idées du mouvement Occupy Wall Street et prône l’augmentation des impôts des plus riches pour redonner aux moins nantis. «D’autres l’appuient, car ils ne veulent tout simplement pas d’Hillary Clinton», souligne le professeur.

L’ancienne secrétaire d’État du président Obama a un problème d’image, estime Frédérick Gagnon. «L’affaire des courriels – elle a utilisé un compte de courriel personnel pour échanger des informations classées – illustre pour certains le fait qu’elle n’est pas digne de confiance. Pour d’autres, elle incarne la politicienne de carrière par excellence, ce qui déplaît à un grand nombre d’Américains, qui ne la sentent pas sincère dans ses idées.»

Malgré ses difficultés à s’imposer franchement dans cette course, Hillary Clinton devrait être la candidate de son parti le 8 novembre prochain lors de l’élection présidentielle. «Cela dit, j’ai l’impression que le discours de Bernie Sanders aura une influence sur le programme démocrate. À l’époque de Bill Clinton, on disait qu’il était impossible de remporter une élection présidentielle avec un discours de gauche. Mais Obama l’a fait – notamment avec le mariage gai et la défense de l’environnement. Avec l’engouement que suscite Sanders chez certains électeurs, Hillary Clinton n’a pas eu le choix: elle a déjà emprunté des éléments du discours de son adversaire, changeant même son fusil d’épaule par rapport au traité de commerce transpacifique. C’est intéressant pour la gauche socioéconomique des États-Unis.»

On peut visiter le site Élection américaines 2016 de la Chaire Raoul-Dandurand pour obtenir toute l’information pertinente sur le sujet.