Les étudiants en communication qui se passionnent pour les séries télévisées auront la chance de rencontrer des professionnels de l’industrie de la télévision et du cinéma lors du colloque Le risque en séries, qui se déroulera à Montréal du 15 au 17 mars, dans le cadre de la deuxième édition des Rencontres internationales de la télévision de Montréal. Organisé par les professeurs Margot Ricard et Pierre Barrette, de l’École des médias, en collaboration avec la Société des auteurs de radio, télévision et cinéma (SARTEC), l’événement réunira des créateurs et artisans de séries télé québécoises, américaines et européennes afin de discuter des risques, tant financiers qu’artistiques, inhérents à la création et à la production de séries de fiction.
«Nous avons choisi un thème susceptible de rassembler des réalisateurs, des scénaristes, des producteurs et des diffuseurs», explique Pierre Barrette. «Ce sera aussi l’occasion de faire connaître la qualité des séries québécoises et de susciter un intérêt pour des coproductions entre des créateurs d’ici et d’ailleurs», souligne sa collègue Margot Ricard.
Le risque est-il garant de l’originalité en création télévisuelle? Est-il essentiel pour se démarquer sur la scène internationale? Quel est le rôle des télévisions publiques dans la prise de risques en fiction au Québec? Ces questions seront débattues lors du colloque, qui comportera également un volet création, avec des ateliers de scénarisation et des classes de maîtres.
Plusieurs scénaristes et créateurs québécois participeront à l’événement, dont Michelle Allen (Pour Sarah), Bernard Dansereau (Toute la vérité), Pierre-Yves Bernard (Minuit le soir), Martin Matte (Les beaux malaises) et François Létourneau (Série noire). Du côté international, Camilla Hammerich, productrice danoise de la populaire série Borgen, Jeppe Gjervig Gram et Anders Toft Andersen, créateur et producteur de Follow the Money, une série de suspense danoise diffusée dans le monde entier, ainsi que Javier Grillo-Marxuach, l’un des scénaristes de la célèbre série américaine Lost, qui animera une classe de maître consacrée au showrunning américain (méthode de production selon laquelle les différents épisodes d’une série sont scénarisés et réalisés par différents artisans supervisés par un concepteur, qu’on appelle le showrunner), compteront parmi les participants.
Risque et création
Selon Pierre Barrette, la fiction est le lieu par excellence de la prise de risques. «Les projets les plus originaux se font généralement en fiction télévisuelle, dit-il. Si on veut éviter de prendre des risques, on se tourne vers des produits formatés et on achète des concepts déjà éprouvés, comme celui de La voix.»
On dit souvent que les Québécois réussissent à faire des miracles avec peu de moyens. «C’est vrai, mais le risque est souvent présent derrière les miracles, observe Margot Ricard. Une série comme Les Bougon, par exemple, abordait un sujet nouveau: des gens vivant sur l’aide sociale qui profitent du système. Une série d’époque comme Les pays d’en haut, dont la production est coûteuse, comporte aussi sa part de risques. Le public va-t-il s’intéresser à un sujet qui a déjà été traité à la télévision et au cinéma? Quand on travaille dans un petit marché comme celui du Québec, on a peu droit à l’erreur.»
Pierre Barrette croit qu’il existe un lien intrinsèque entre le risque et l’originalité d’une série. «Ici comme ailleurs, la télévision a longtemps été pantouflarde, parce que c’est le médium de la convergence, du consensus, voire du conformisme, dit-il. Or, depuis le début des années 2000, notamment avec l’arrivée de la chaîne américaine HBO, on a commencé à prendre de plus en plus de risques. Et on s’est rendu compte que c’était payant, tant sur le plan artistique que financier, comme l’a démontré le succès remporté par des séries comme Mad Men ou Breaking Bad.»
Télé privées et publiques
Aux États-Unis, ce sont les joueurs privés, les chaînes câblées en particulier, qui prennent le plus de risque parce qu’ils en ont les moyens. «Netflix, par exemple, a 80 millions d’abonnés, qui paient 8 dollars par mois. Cela représente des revenus de 6,5 milliards de dollars par année, note le professeur. Pour des séries comme Les Sopranos ou Mad Men, les Américains disposaient d’un budget de 3 ou 4 millions par épisode, Ici, on produit un épisode d’une heure avec 800 000 dollars. Presque tout l’argent est mis à l’écran, alors que chez nos voisins du Sud, une partie du budget sert à payer les comédiens vedettes, l’équipe de scénaristes et le personnel technique.»
Dans des petits marchés comme ceux du Québec ou du Danemark, la télévision publique joue un rôle moteur dans la production de séries audacieuses, souligne Margot Ricard. «On l’a vu ici avec Tout sur moi et Nouvelle adresse, dit-elle. Les séries sont devenues le navire amiral de la production télévisuelle.»
Il est difficile, toutefois, de se démarquer sur la scène internationale, où l’offre est particulièrement abondante. «Les Scandinaves, qui évoluent dans un contexte semblable au nôtre, parviennent à se faire connaître hors de leurs frontières grâce, notamment, à leurs séries policières à la sauce nordique», dit Margot Ricard. «En matière de fiction télévisuelle, le Québec n’a pas encore trouvé son image de marque sur la scène internationale», soutient Pierre Barrette.
La méthode du showrunning
Les participants au colloque se pencheront sur la méthode de travail dite du showrunning, développée aux États-Unis, et s’interrogeront sur les possibilités de l’importer ou de l’adapter.
«Depuis que la logique du feuilleton s’est imposée dans les séries télé américaines, le travail d’équipe est devenu une règle, explique Pierre Barrette. Chaque épisode est écrit et réalisé par un scénariste et un réalisateur différents et ce sont les showrunners, tels que David Chase (Les Sopranos), Matthew Weiner (Mad Men) et Vince Gilligan (Breaking Bad) qui donnent une unité artistique à l’ensemble de la production.»
Le showrunner est le créateur du concept d’une série, poursuit Margot Ricard. «C’est le chef d’orchestre qui supervise toutes les dimensions de la production. Il a un droit de regard sur les scénarios, le choix des comédiens, les lieux de tournage, les décors, etc. Au Québec et en Europe, on travaille davantage en tandem, un créateur/réalisateur avec un producteur, ou un scénariste avec un réalisateur.»
Les deux professeurs croient que la force du Québec en fiction télévisuelle réside dans la qualité de ses scénaristes et réalisateurs. «Des gens comme Pierre-Yves Bernard ou Podz ont même été invités à travailler sur des séries en Europe», rappelle Margot Ricard. «Maintenant que les frontières entre la télévision et le cinéma s’estompent, la télé profite du talent des cinéastes et vice versa», ajoute Pierre Barrette.
Le colloque se déroulera à quatre endroits différents: le studio théâtre Alfred-Laliberté de l’UQAM, l’Institut national de l’image et du son (INIS), BAnQ Vieux-Montréal et Odéon Cinéplex Quartier Latin. L’inscription pour les étudiants, au coût de 5 dollars, est obligatoire.