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Au-delà de l’indignation

De nombreux diplômés ont participé à la deuxième édition de Perspectives 2016 sur l’éducation, la santé et les services sociaux.

Par Claude Gauvreau

14 avril 2016 à 15 h 04

Mis à jour le 14 avril 2016 à 16 h 04

Dans l’ordre habituel, Catherine Audrain, Marc St-Pierre, Marguerite Blais, Michelle Marchand et Raymond Lemieux, animateur de la table ronde.
Photo: Benoit Rousseau

Les raisons pour s’indigner ne manquent pas au Québec: coupes draconiennes dans les domaines de l’éducation, de la santé et des services sociaux, mais aussi démantèlement de structures de la société civile. Comment agir au-delà de l’indignation? Doit-on repenser, collectivement, un modèle de société porteur d’avenir? Quelle place les valeurs de justice et de solidarité sociales occupent-elles aujourd’hui? Ces questions ont fait l’objet d’un débat lors d’une table ronde qui a réuni, le 13 avril, quatre diplômés au riche parcours professionnel.

Catherine Audrain (M.A. sociologie, 2006), fondatrice de La Traversée, un organisme venant en aide aux femmes et enfants victimes d’agressions sexuelles, Marc St-Pierre (B.Ed. enseignement en adaptation scolaire, 1989), ancien directeur-général adjoint de la Commission scolaire de la Rivière-du-Nord et ex-membre du Conseil supérieur de l’éducation, Marguerite Blais (Ph.D. communication, 2005), conseillère spéciale à Octane Stratégies et ancienne ministre responsable des Aînés dans le cabinet Charest, et Michèle Marchand (Ph.D. philosophie, 2005), médecin et ancienne conseillère en éthique auprès du Collège des médecins du Québec, ont participé à la table ronde. Celle-ci était animée par Raymond Lemieux (B.A. communication, 1984), rédacteur en chef du magazine Québec Science et lauréat du Prix Reconnaissance 2013 de la Faculté de communication. 

De nombreux diplômés ont assisté à cette deuxième édition de la série de rencontres Perspectives 2016, qui s’est tenue à la Grande Bibliothèque de Montréal. L’événement était organisé par le Bureau des diplômés de l’UQAM, en collaboration avec les conseils de diplômés facultaires.

Des sources d’indignation

À partir de leurs expériences personnelles et professionnelles, les diplômés  ont d’abord abordé divers enjeux de société, qu’il s’agisse de la persévérance et de la réussite scolaires, de la place accordée aux personnes âgées ou de la détresse psychologique.

Marc St-Pierre, lauréat du Prix Reconnaissance 2012 de la Faculté des sciences de l’éducation, a déploré les compressions – un milliard de dollars en quatre ans – dans la formation des jeunes et dans les services aux élèves. «Une vingtaine de postes d’orthopédagogues ont été supprimés dans les écoles de la Commission scolaire de Montréal, a t-il souligné. Depuis la Révolution tranquille, nous avons investi des millions en éducation. Aujourd’hui, près d’un adulte sur deux éprouve des difficultés à lire un texte simple. La première compétence que nos enfants doivent acquérir est celle de la lecture.»

S’appuyant sur des données de l’Organisation mondiale de la santé, la lauréate du Prix Reconnaissance 2013 de la Faculté des sciences humaines, Catherine Audrain, a insisté sur la croissance de la détresse psychologique (états dépressifs et anxiogènes) dans nos sociétés libérales, laquelle affecte non seulement les adultes mais aussi les jeunes. «Dans une conférence au Cégep Rosemont à laquelle j’assistais il y a quelques jours, on a fait état d’une recherche démontrant que 32 % des jeunes au collégial étaient atteints de dépression et que 28 % éprouvaient une anxiété majeure.»

«Je suis indignée!», s’est exclamée Marguerite Blais, lauréate du Prix Reconnaissance 2004 de la Faculté de communication. «Les aînés au Québec vivent dans une sorte d’invisibilité, a-t-elle déclaré. À l’extérieur du milieu hospitalier, les services ne sont pas au rendez-vous. Les enveloppes dédiées aux soins à domicile, par exemple, sont souvent utilisées à d’autres fins. De plus, le Québec ne s’est toujours pas doté d’une politique pour les proches aidants qui interviennent auprès de personnes âgées. Un bon gouvernement est un gouvernement qui s’occupe des personnes les plus vulnérables. »

Sortir du sentiment d’impuissance

Michèle Marchand, lauréate du Prix Reconnaissance 2014 de la Faculté des sciences humaines, s’est décrite comme une indignée de longue date. Mais s’indigner et critiquer les actions gouvernementales, bien que cela soit nécessaire, ne suffit pas, a-t-elle souligné. Il faut aussi sortir du sentiment d’impuissance en agissant. «Dans les années 1970, j’ai participé avec un groupe de citoyens à la fondation d’une clinique médicale populaire dans le quartier défavorisé Centre-Sud de Montréal. Cette expérience ne fut pas de longue durée, mais elle m’a appris qu’il est possible de se mobiliser à la base.»

Selon la diplômée, la démocratie représentative comporte des limites, tandis que la démocratie participative et délibérative offre des avenues intéressantes. «Le Québec s’est donné une politique de soins de fin de vie à la suite d’un large débat de société», a noté Michèle Marchand.

Marguerite Blais a abondé en ce sens. «Certains politiciens ont peur des citoyens. Il faut que ceux-ci prennent la parole pour forcer les gouvernements à agir. On doit surtout éviter que les politiques publiques s’élaborent derrière des portes closes dans les officines gouvernementales.» 

«Face à la multiplication des enjeux sociaux et éthiques, chacun tente de construire une morale personnelle, a indiqué Catherine Audrain. Les jeunes, eux, sont les premiers à s’offusquer des inégalités et des injustices et à faire preuve de créativité. Ils l’ont montré au printemps 2012. Et ça, c’est rassurant.»

Marc St-Pierre a plaidé en faveur de la création d’un Institut national en éducation qui permettrait d’orienter les décisions du ministère et des écoles en fonction des connaissances et des données probantes issues de la recherche. «Un tel organisme pourrait faire connaître les pratiques exemplaires dans la lutte contre le décrochage scolaire et servirait de référence pour les gestionnaires, les enseignants, les intervenants scolaires et les parents.»

Pour Michèle Marchand, la mobilisation des institutions et des organisations de la société civile est plus importante que jamais. «C’est par elles, notamment, que se développe la solidarité sociale», a-t-elle soutenu.