
Une quarantaine de personnes ont assisté, le 28 mai dernier, à un débat sur La vraie nature de l’agriculture, tenu au Café-Terrasse de l’Insectarium dans la cadre de la 19e édition du Rendez-vous horticole du Jardin botanique de Montréal. Organisé par l’UQAM, Espace pour la vie, les Fonds de recherche du Québec et l’Union des producteurs agricoles (UPA), l’événement réunissait trois conférenciers: Marcel Groleau, président de l’UPA, Luc-Alain Giraldeau, doyen de la Faculté des sciences, et le professeur de l’École des arts visuels et médiatiques Michel Boulanger, un artiste qui s’intéresse à l’image de la ferme dans l’imaginaire collectif.
Ce café-rencontre s’inscrivait dans la foulée du colloque Entre campagnes et villes, présenté au dernier Congrès de l’Acfas, au cours duquel a été lancé le projet d’une grande exposition agriculturelle prévue pour 2017, à l’occasion du 375e anniversaire de Montréal. Ce projet visant à rapprocher Montréal et le monde rural a été conçu par la professeure de l’École des arts visuels et médiatiques Monique Régimbald-Zeiber, en collaboration avec Luc-Alain Giraldeau et Denise Pérusse du Fonds québécois de recherche – Société et culture. Il a reçu l’appui de l’UQAM, des Fonds de recherche du Québec, d’Espace pour la vie et de l’UPA.
L’animatrice du café-rencontre, la journaliste Hélène Raymond, de l’émission Bien dans son assiette, diffusée sur la première chaîne de Radio-Canada, avait soumis deux questions aux conférenciers: Qu’est-ce qui est naturel dans l’agriculture? Qu’est-ce qui menace l’agriculture?
Naturelle, l’agriculture?

Selon Luc-Alain Giraldeau, qui est aussi professeur au Département des sciences biologiques, il n’y a rien de naturel dans l’agriculture, et ce, malgré l’image que les citadins peuvent s’en faire. «Pour pratiquer l’agriculture, il faut évidemment avoir un objet naturel, une terre, des plantes, des animaux. Mais, dans la mesure où l’on entend par naturel quelque chose de spontané, sans intervention humaine, l’agriculture demeure un réaménagement artificiel d’un organisme vivant.» Le doyen a ainsi souligné notre capacité actuelle de contrôler le génotype des plantes et des animaux en créant des OGM. «Nous avons des vaches laitières capables de produire des quantités de lait que nos grands-pères n’auraient jamais pu imaginer. Nous avons toujours manipulé la nature. Allons-nous trop loin? Ce débat dure depuis 12 000 ans.»
Marcel Groleau s’est montré, lui, moins catégorique. «Bien qu’elle se soit adaptée aux découvertes scientifiques et aux changements technologiques, l’agriculture demeure une activité liée à la nature, a noté le président de l’UPA. L’agriculture, c’est l’optimisation des ressources naturelles par l’homme, une réponse naturelle au besoin fondamental de sécurité alimentaire.»
Pour Michel Boulanger, qui dit adopter le point de vue de l’observateur-dessinateur, le paysage agricole porte la marque bien visible d’un compromis entre nature et domestication du vivant. «Si je veux représenter ce paysage, je suis confronté à deux types de géométries. La première, naturelle, est chaotique dans son déploiement. La seconde, davantage euclidienne, est dessinée par l’être humain. Ce qui m’intéresse, c’est la façon dont ces deux réalités cohabitent et s’interpénètrent.»
Les gens en milieu urbain ont une représentation imaginaire de la ferme et de l’agriculture qui n’est pas si éloignée de celle des artistes, a poursuivi Luc-Alain Giraldeau. «Nos images s’inspirent de celles produites par les artistes des 18e et 19e siècles, alors que les dessins de Michel Boulanger représentent la réalité de l’agriculture du 21e siècle. Ce dialogue entre l’imagerie contemporaine de l’agriculture et celle héritée des siècles passés est particulièrement intéressant.»
L’imaginaire collectif de l’agriculture repose sur une vision d’où la modernité est absente, a lancé Marcel Groleau. «Le habitants des grandes villes ont une conception idéalisée de l’agriculture, basée sur une représentation du passé.»
Les associations d’agriculteurs ne recourent-elles pas à cette représentation pour faire la promotion de l’agriculture?, a demandé la journaliste Hélène Raymond. «Pour vendre leurs produits, les agriculteurs font appel à un imaginaire populaire, même si leur pratique en est complètement dissociée», a reconnu le président de l’UPA. «Il existe un paradoxe entre la critique des images bucoliques, voire romantiques, de l’agriculture et le fait d’utiliser ces images à des fins de promotion, a souligné Michel Boulanger. Les artistes, de leur côté, remettent en question les représentations convenues de l’agriculture pour en créer de nouvelles afin de faire voir les choses autrement.»
Dessins numériques de Michel Boulanger
Trois œuvres de l’artiste Michel Boulanger, Laiterie, Remisage hivernal et Salle de traite, sont présentées tout l’été sur un parcours extérieur aménagé dans les jardins de l’Insectarium, à proximité du Café-Terrasse. Ces dessins numériques exposent les visiteurs à la complexité des équipements de l’industrie laitière contemporaine. La froideur du traitement graphique des images contraste avec l’idée que l’on se fait d’un lieu destiné à la culture du vivant, tout en rendant manifeste le degré de sophistication des moyens technologiques impliqués dans la production agricole d’aujourd’hui.
Menaces à l’horizon
Luc-Alain Giraldeau croit que les forces économique occultes représentent la plus grande menace pour le monde agricole. «En exerçant un contrôle monopolistique sur les semences, de grandes entreprises, comme Monsanto, ont une énorme influence sur la production agricole, sur le poulet ou le porc que l’on consomme, sur ce que les agriculteurs sèment. À terme, cela peut conduire à une situation où les agriculteurs et les éleveurs deviendront des employés sur des terres qu’ils ne posséderont plus pour faire pousser des légumes et des graines qui ne leur appartiendront plus.»
Abondant en ce sens, Michel Boulanger s’est dit inquiet du développement d’une agriculture mondialisée, favorisant l’accaparement des terres par de grandes corporations. «Le danger, a-t-il dit, est la perte du lien identitaire entre la terre et ses habitants. Il faut éviter que les cultivateurs ne deviennent de simples opérateurs de machineries, sans véritable attache avec la terre.»
Plus optimiste, Marcel Groleau a tenu à rappeler que l’agriculture existera tant et aussi longtemps qu’il y aura des populations à nourrir. Cela dit, il reconnaît que le phénomène de l’accaparement des terres par de grandes sociétés menace l’agriculture. «L’UPA dénonce cette situation et exige des gouvernements qu’ils protègent la propriété des terres.»
Les échanges se sont conclus sur la nécessité d’assurer la diversité alimentaire au Québec, en stimulant et en protégeant la production locale. «Plus nous cultiverons le besoin de diversité au sein de la population, plus nous aurons de producteurs pour répondre à la demande», a déclaré Luc-Alain Giraldeau.
Le doyen de la Faculté des sciences a finalement insisté sur l’importance de prendre conscience du lien intime qui unit agriculture et culture. «Ce que nous voulons et ce que nous aimons influence l’agriculture et vice versa.»