Contrairement à ce que l’on entend souvent, les individus qui commettent des attentats au nom du djihad ne sont pas des malades mentaux, croit le professeur du Département de psychologie Jocelyn Bélanger, spécialiste des processus de radicalisation. Mais ils sont aux prises avec une douleur sociale qui les pousse à se joindre à un groupe dont ils embrassent la cause au point d’y sacrifier leur vie. «Rejoindre un groupe, cela donne la possibilité d’être quelqu’un et d’avoir sa place dans le monde, note le chercheur. Avec le groupe vient l’idéologie, le système de croyances. Mais l’idéologie est secondaire. Ce n’est pas le but. C’est un moyen pour combler une quête de sens.»
Depuis ses études doctorales menées à l’Université du Maryland sous la direction du professeur Arie Kruglansky, «une grosse pointure dans le domaine de la psychologie sociale», Jocelyn Bélanger consacre ses recherches à comprendre le radicalisme et la violence à des fins politiques. Au cours de son doctorat, il a fait partie de START (Study of Terrorism and Responses to Terrorism), un groupe de chercheurs financé par le Département de la défense américaine, qui a mené une étude sur plusieurs années et dans divers pays – Irak, Jordanie, Espagne, Sri Lanka, etc. – afin d’élucider les processus de radicalisation et de déradicalisation.
Ce qui intéresse tout particulièrement Jocelyn Bélanger, c’est la motivation des personnes qui se joignent à des groupes terroristes. «C’est un sujet paradoxal, note le chercheur. Être motivé au point d’être prêt à mourir pour une cause, cela va à l’encontre des principes de l’évolution, qui nous poussent plutôt à lutter pour notre survie et pour avoir une progéniture. Donc, d’un point de vue motivationnel, l’adhésion à ces groupes est un sujet fascinant.»
Un sentiment de puissance
Le principal facteur qui incite une personne à s’associer à un groupe radical, selon ce qui est ressorti de ses recherches, c’est la douleur sociale. «Ces individus ont le sentiment que leur vie n’a pas de sens, qu’ils ne sont personne, qu’ils ne sont pas respectés, dit le psychologue. Or, joindre un groupe procure un statut, aide à avoir une image de soi positive et, parfois, donne accès à des ressources. Une fois qu’on se sent membre du groupe, on éprouve un sentiment de pouvoir et de puissance.»
Une personne qui a vécu un échec personnel et qui joint un groupe extrémiste aura moins peur de mourir et sera davantage prête à mourir pour le groupe. «Comme dans l’expression “noblesse oblige”, appartenir à un groupe donne de la noblesse, mais cela implique des obligations… y compris l’obligation de tuer pour le groupe», dit le chercheur.
Si le fait de joindre un groupe impose également d’adhérer à ses valeurs et à son idéologie, on a tort de croire que l’idéologie (ou la religion) est la chose principale que les individus ont en tête quand ils se joignent à une formation terroriste, affirme Jocelyn Bélanger. «En fait, ils connaissent très peu et comprennent souvent très mal l’idéologie pour laquelle ils se battent», observe le chercheur, qui raconte une anecdote éclairante au sujet de deux djihadistes, depuis arrêtés, qui avaient quitté l’Angleterre pour aller combattre en Syrie. «Vous savez quel livre ils avaient acheté sur Amazon avant de partir? Le Coran pour les nuls!»
Ni des nuls ni des idiots
Attention, souligne le chercheur. Ces combattants ne sont pas des nuls ni des idiots. Mais, encore une fois, des gens en quête de sens, en quête d’une idéologie facile à assimiler, qui trace un portrait de la réalité en noir et blanc. «Ils sont prêts à prendre n’importe quelle idéologie qui leur permettra de donner du sens à leur existence, de devenir quelqu’un qui sera célébré dans la mémoire collective du groupe. Cela, nous l’observons à travers l’ensemble de nos recherches, et pas seulement dans les groupes islamiques. Nous le voyons dans des groupes ethno-nationalistes, comme les tamouls, ou chez les écologistes, où l’on retrouve aussi des terroristes.»
Pour le psychologue, la douleur sociale qui conduit à s’associer à des groupes radicaux n’est pas qu’un concept philosophique. «Un article publié dans la revue Science a montré que les régions du cerveau associées à la douleur physique sont les mêmes que celles qui réagissent à la douleur sociale», rapporte-t-il. Mais pourquoi cette douleur, bien réelle, serait-elle davantage apaisée par l’adhésion à un groupe radical? «La quête de sens, cela touche tout le monde et cela peut mener à des comportements prosociaux, note le professeur. Si on se tourne vers un groupe qui a des valeurs positives et humanitaires, cela aura des effets positifs. Le problème, c’est que pour une personne qui cherche à apaiser sa douleur sociale, les groupes qui prônent la violence comblent le manque ressenti beaucoup plus rapidement que les groupes prosociaux.»
Paradoxalement, pour un jeune qui ne se sent pas respecté et qui cherche un sens à sa vie, il suffit parfois d’un fusil. «Quand tu pointes ton fusil sur le visage de quelqu’un, quand tu prends des gens en otages, c’est toi qu’on écoute», illustre le chercheur. Une personne qui décide de se battre pour une cause sociale devra investir beaucoup de temps et d’efforts avant d’obtenir des résultats, sans que cela ne lui procure beaucoup de notoriété. «Quand tu meurs pour le djihad, tu deviens instantanément un héros, un martyr, souligne le psychologue. À Gaza, on met des affiches avec le portrait de ces gens-là dans les rues. Le terroriste du marathon de Boston a eu sa photo sur la couverture du Rolling Stones.»
Ni des fous
Pour Jocelyn Bélanger, il ne faut pas confondre douleur sociale et maladie mentale. Selon lui, les groupes radicaux ont d’ailleurs plutôt tendance à expulser les éléments souffrant de maladie mentale. «Ces groupes-là sont à la recherche de bons soldats, remarque-t-il. Prenez les terroristes responsables des attentats de Charlie Hebdo. Ils étaient calmes et bien entraînés. Ce n’était pas des fous.»
Les jeunes radicaux sont par contre des victimes de la propagande extrémiste et des cibles pour les leaders qui cherchent à les attirer dans leurs groupes. «L’ostracisme est un facteur important de radicalisation, constate le psychologue. C’est d’ailleurs une arme utilisée par les recruteurs.» On a raison, selon lui, de craindre un regain d’islamophobie après les attentats de Paris. «C’est exactement ce que souhaitent les groupes terroristes, car ils tablent sur le rejet et sur l’ostracisme pour recruter de nouveaux membres.»
Mieux comprendre les processus de radicalisation permet d’envisager des moyens de prévenir certains attentats. Selon Jocelyn Bélanger, «80% des attentats commis par des membres de groupes extrémistes sont prévisibles, car les membres de la famille et de l’entourage savent qu’il y a eu radicalisation.» Or, les études ont démontré qu’il est possible d’intervenir pour «déradicaliser» les personnes qui ont joint des groupes terroristes. «Au lieu de les mettre en prison, il faut leur redonner une dignité, les traiter avec respect et leur apprendre un métier pour qu’ils puissent réintégrer la société et y trouver leur place», mentionne le psychologue. Il faut les aider dans leur quête de sens. «Souvent, quand ces individus ont la chance de lire et d’en apprendre davantage sur la cause pour laquelle ils ont combattu, ils se disent qu’ils auraient dû faire de la politique au lieu de se battre.»