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Un être sensible

La juriste Martine Lachance salue la nouvelle loi visant  l’amélioration de la situation juridique de l’animal.

Par Claude Gauvreau

10 décembre 2015 à 10 h 12

Mis à jour le 14 décembre 2015 à 15 h 12

La nouvelle loi inscrit dans le Code civil que les animaux ont des impératifs biologiques, une première à travers le monde. Photo: Istock

Dorénavant, au Québec, les animaux ne seront plus considérés comme des «biens meubles», mais comme des «êtres doués de sensibilité» ayant des «impératifs biologiques». Voilà ce que stipule le projet de loi 54 visant l’amélioration de la situation juridique de l’animal, adopté à l’unanimité par l’Assemblée nationale le 4 décembre dernier.

«Il s’agit d’une avancée significative. Par ce geste, le Québec se met au diapason de la France et d’une dizaine d’autres États européens, qui ont déjà reconnu dans leur constitution ou dans leur code civil que les animaux sont des êtres sensibles», observe Martine Lachance, professeure au Département des sciences juridiques et directrice du Groupe de recherche international en droit animal (GRIDA)

Jusqu’à l’adoption de ce projet de loi, le Code civil du Québec divisait l’univers juridique en deux catégories fondamentales: les personnes – soit les êtres humains et aussi les personnes morales telles que les corporations – et les biens, c’est-à-dire tout le reste – maisons, chaises, grille-pains et… animaux. En d’autres termes, un chien, un chat ou une vache ne différait pas d’un grille-pain ou d’une chaise du point de vue légal. Le fait de blesser ou de maltraiter un animal équivalait à détériorer un bien. Rien de plus, rien de moins.

La nouvelle loi inscrit dans le Code civil le fait que les animaux ont des impératifs biologiques (voir encadré), une première à travers le monde. «On reconnaît ainsi qu’un chien, un porc ou une poule pondeuse ont des besoins biologiques différents et qu’ils doivent recevoir les soins appropriés y correspondant de la part de leur propriétaire, précise Martine Lachance. Cela signifie également que l’on devra adapter nos modes d’exploitation des animaux à ces impératifs biologiques.»

La loi s’applique aux animaux domestiques et de la ferme (chat, chien, bœuf, cheval, porc, mouton, chèvre, poule et leurs hybrides), aux animaux de compagnie (domestiques ou sauvages, à l’exception des animaux exotiques) et de laboratoire, ainsi qu’à certains animaux de la faune élevés en captivité à des fins commerciales, tels que le renard roux et le vison d’Amérique. «Le ministre s’est aussi donné le pouvoir réglementaire d’inclure d’autres animaux, souligne la professeure. De plus, des animaux de la faune pourront être protégés par le Code criminel, ce qui n’était pas le cas auparavant.»

Des impératifs biologiques

Selon la nouvelle loi visant l’amélioration de la situation juridique de l’animal, les impératifs biologiques sont ceux liés à l’espèce ou à la race de l’animal, à son âge, à son stade de croissance, à sa taille, à son niveau d’activité physique ou physiologique, à son état de santé, ainsi que ceux liés à son degré d’adaptation au froid ou à la chaleur.

Le bien-être ou la sécurité d’un animal est présumé compromis lorsqu’il ne reçoit pas les soins propres à ses impératifs biologiques:

– avoir accès à une quantité suffisante et de qualité convenable d’eau et de nourriture,

– être gardé dans un lieu salubre, propre, convenable, suffisamment espacé et éclairé;

– avoir l’occasion de se mouvoir suffisamment;

– obtenir la protection nécessaire contre la chaleur ou le froid excessifs;

– être transporté convenablement dans un véhicule approprié;

– recevoir les soins nécessaires lorsque l’animal est blessé, malade ou souffrant;

– n’être soumis à aucun abus ou mauvais traitement pouvant affecter sa santé.

Des avancées nombreuses

Selon Martine Lachance, la nouvelle loi comporte plusieurs autres avancées. «Elle interdit, par exemple, le transport d’un animal ou son dressage pour le combat, alors que  le Code criminel canadien ne pénalise que les  personnes assistant à des combats d’animaux. En outre, les vétérinaires et les agronomes devront signaler les cas d’abus et de maltraitance. S’ils ne le font pas, des pénalités seront appliquées.»

En vue d’assurer le bien-être et la sécurité de l’animal, des amendes s’élevant entre 250 et 250 000 dollars pour une première offense et des peines d’emprisonnement allant jusqu’à 18 mois en cas de récidive sont aussi prévues.

L’utilisation d’animaux dans les activités d’agriculture, d’enseignement et de recherche scientifique demeure permise dans la mesure où elle ne constitue pas autrement une pratique interdite par la loi ou ses règlements et qu’elle respecte les règles généralement reconnues.

Une portée plus que symbolique 

«La portée de la nouvelle loi n’est pas que symbolique, insiste la chercheuse. Elle modifie le Code civil, c’est-à-dire la référence à partir de laquelle on doit interpréter les lois. À l’avenir, nous devrons modifier nos façons d’utiliser et d’exploiter les animaux en fonction des prescriptions de la loi. Cela dit, il faudra s’assurer de consacrer les ressources nécessaires pour que les dispositions de la loi soient appliquées, notamment en ayant des enquêteurs et des inspecteurs en nombre suffisant sur le terrain.»

Avec son collègue Stevan Harnad, professeur au Département de psychologie et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en sciences cognitives, Martine Lachance défend depuis longtemps la cause animale. Elle comptait parmi les premiers signataires du manifeste Les animaux ne sont pas des choses, lancé en janvier 2014, qui a obtenu plus de 52 000 signatures.

«Le manifeste aura contribué à légitimer la démarche du ministre de l’Agriculture, Pierre Paradis, qui, fort d’un soutien populaire, a pu aller de l’avant avec le projet de loi», souligne la juriste.

Assimiler les animaux à des choses, c’est faire abstraction du développement des connaissances, notamment en neurosciences et en éthique animale, affirmait le manifeste. La communauté scientifique reconnaît en effet que les animaux ont des capacités cognitives et émotionnelles, qu’ils sont des êtres vivants pouvant ressentir du plaisir et de la douleur. En témoigne la Déclaration sur la conscience de Cambridge, du 7 juillet 2012, qui soutient que les animaux, notamment l’ensemble des mammifères et des oiseaux ainsi que de nombreuses autres espèces, possèdent tout comme les humains les substrats neurologiques de la conscience.