La Cour suprême du Canada, le plus haut tribunal au pays, a tranché. Dans un jugement unanime, elle a déclaré aujourd’hui que l’aide médicale à mourir doit être légalisée au Canada. La Cour a statué que l’interdiction contenue aux articles 14 et 241 du Code criminel du Canada porte atteinte à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, lequel garantit le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité. Les neuf juges donnent un an au gouvernement fédéral et à ceux des provinces pour ajuster leurs législations.
Lucie Lemonde, professeure au Département des sciences juridiques, n’est pas surprise par ce jugement. «Il était inévitable que cela arrive un jour ou l’autre, dit-elle. Le précédent jugement de 1993 dans l’affaire Sue Rodriguez, une femme de la Colombie-Britannique atteinte d’une maladie dégénérative, avait maintenu de justesse l’interdiction du suicide assisté, à cinq juges contre quatre. À cette époque, aucune loi dans le monde n’autorisait les malades à se suicider avec l’aide d’un médecin. Depuis, le contexte légal et social a changé. Aujourd’hui, une dizaine d’États à travers le monde autorisent une forme ou une autre d’aide médicale à mourir.»
La Cour pose toutefois des conditions très strictes à cette aide médicale à mourir. Celle-ci doit être administrée par un médecin à des personnes adultes capables d’y consentir. Des personnes qui, précise la Cour, sont atteintes de «problèmes de santé graves et irrémédiables» leur causant des souffrances «persistantes» et «intolérables», lesquelles peuvent être de nature physique ou psychologique. Fait important à noter, la Cour ne dit pas que la personne doit être atteinte d’une maladie mortelle ou même être en fin de vie. Elle ne dit pas non plus que la personne doit être incapable de mettre fin à ses jours d’elle-même.
Selon la professeure, ce jugement s’inscrit dans la foulée de décisions récentes de la Cour Suprême qui vont dans la direction opposée des positions du gouvernement conservateur dans certains dossiers, dont ceux des sites d’injections supervisées et de la décriminalisation de la prostitution. «C’est chaque fois la même logique. La Cour suprême fait savoir au législateur qu’il ne peut pas utiliser le droit criminel pour imposer ses conceptions morales, qu’il s’agisse du caractère sacré de la vie dans le cas de l’aide médicale à mourir ou de la sexualité féminine dans celui de la prostitution.»
Dans son jugement, la Cour n’oblige pas les médecins à pratiquer l’aide médicale à mourir. Les juges laissent aux collèges des médecins le soin de trancher les questions d’éthique et de conscience qui surviendront. «Rien dans la déclaration d’invalidité que nous proposons ne contraindrait les médecins à dispenser une aide médicale à mourir. La déclaration ne fait qu’invalider la prohibition criminelle. La suite dépend des collèges des médecins, du Parlement et des législatures provinciales», peut-on lire dans le jugement.
Les conservateurs peuvent-ils ignorer le jugement ?
Le gouvernement fédéral dispose d’un an pour réagir. D’ici là, l’aide médicale à mourir reste criminelle. Si le gouvernement décidait de ne pas légiférer, les conditions posées par la Cour suprême sont celles qui s’appliqueraient.
«Le pouvoir ultime revient toujours aux élus, note Lucie Lemonde. Ainsi, les conservateurs pourraient invoquer la clause nonobstant pour se soustraire au jugement et maintenir l’interdit. Mais ce serait une première. Je crois plutôt qu’ils vont agir de la même façon que dans le dossier de la prostitution et tenter de faire adopter un nouveau projet de loi qui contournerait le jugement de la Cour suprême et criminaliserait de nouveau l’aide médicale à mourir.»