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Gouvernance mondiale

À l’occasion du 70e anniversaire de l’ONU, un colloque s’est penché sur les réalisations de l’organisation et sur les défis auxquels elle est confrontée.

Par Claude Gauvreau

9 novembre 2015 à 11 h 11

Mis à jour le 9 novembre 2015 à 11 h 11

Réunion du Conseil de sécurité de l’ONU en décembre 2010, à New York. Photo: Mario Tama

Soixante-dix ans après sa création, l’Organisation des Nations Unies est-elle toujours essentielle au maintien de la paix et de la sécurité mondiales ? Quel bilan peut-on faire de ses réalisations dans ce domaine et dans ceux de l’aide au développement et de la protection des droits de la personne ? «L’ONU est vouée non pas à nous emmener au paradis, mais à nous sauver de l’enfer», disait Dag Hammarskjöld, Secrétaire général de l’Organisation de 1953 à 1961. «Si l’ONU n’est pas parvenue à  bannir la guerre, elle demeure indispensable à la recherche de la paix», affirment d’une même voix Claude-Yves Charron, professeur au Département de communication sociale et publique et directeur de l’Institut d’études internationales de Montréal (IEIM), Kim Fontaine-Skronski, directrice adjointe, et François Larochelle, président de l’Association canadienne pour les Nations Unies du Grand Montréal (ACNU).

Quels sont les défis actuels et futurs de l’organisation? Une vingtaine de conférenciers du Québec, du Canada et de l’étranger se sont penchés sur ces questions, et sur bien d’autres, lors d’un colloque tenu les 21 et 22 octobre derniers. L’événement était organisé par l’IEIM et par l’ACNU.

«Chaque panel réunissait des représentants du monde académique et des praticiens, notamment des diplomates, ce qui a favorisé un jeu de regards croisés extrêmement enrichissants. Nous sommes aussi très heureux que le diplomate canadien David Malone, sous-secrétaire général à l’ONU et recteur de l’Université des Nations Unies à Tokyo, ait accepté de rencontrer les médias québécois et de donner une conférence devant le Conseil des relations internationales de Montréal», souligne Claude-Yves Charron.

Un rôle clé

 «Depuis 1945, l’ONU a souvent joué un rôle clé pour hâter la fin d’un conflit ou pour trouver une solution pacifique, souligne François Larochelle. Pensons, par exemple, à guerre de Corée au début des années 50, à la crise du Canal de Suez en 1956 et, plus récemment, aux conflits en ex-Yougoslavie et au Timor oriental.»

La persistance de conflits dans le monde ne signifie pas que l’ONU a failli à la tâche, comme ce fut le cas de la Société des nations (SDN), créée en 1919 au lendemain de la Première Guerre mondiale, poursuit Claude-Yves Charron. «David Malone a rappelé que  l’ONU a permis de créer des espaces de dialogue et de négociation et qu’elle a réussi, contrairement à la SDN, à créer une force d’intervention et de maintien de la paix», note le professeur.

Les opérations de maintien de la paix des Nations Unies ont commencé en 1949 lorsque le Conseil de sécurité a autorisé le déploiement d’observateurs militaires au Moyen-Orient pour surveiller l’application de l’Accord d’armistice entre Israël et ses voisins arabes. Depuis lors, l’ONU a envoyé une soixantaine de missions de paix, dont plus de 50 depuis 1a fin des années 80, notamment au Rwanda et en Bosnie-Herzégovine.

Le mandat des missions de paix de l’ONU a toutefois changé ces dernières années. À l’origine, les missions devaient essentiellement maintenir la paix après un accord de cessez-le-feu entre les belligérants et s’assurer que l’accord était respecté. Depuis les années 90, elles se consacrent de plus en plus à la reconstruction sociale. Les Casques bleus supervisent des élections, rétablissent l’ordre public, désarment les combattants et protègent les populations afin de jeter les bases d’une paix durable. «Les attentes des populations à l’issue d’un conflit sont plus grandes qu’auparavant, remarque François Larochelle. Mieux informées grâce à Internet, elles disent: Nous aussi nous voulons la démocratie et l’ONU peut nous aider

Non-ingérence et responsabilité de protéger

Les conflits armés entre États sont moins nombreux depuis la fin de la guerre froide, alors que les conflits intra-étatiques sont en hausse, en particulier dans les pays en développement. Et cela complique la tâche de l’ONU. «Le principe de non-ingérence dans les affaires internes des États et la responsabilité de protéger les populations civiles sont en tension permanente, observe le président de l’ACNU. Certains pays, comme la Syrie de Bachar al-Assad, ne veulent pas que les Nations Unies se mêlent de leurs affaires. Mais la communauté internationale, entre autres pour des raisons humanitaires, ne peut pas rester les bras croisés. On l’a vu lors du génocide au Rwanda et on le voit encore encore dans la crise actuelle des réfugiés en Europe, provoquée en partie par la guerre civile en Syrie.»

Une vingtaine de pays, dont les États-Unis, la Russie et la France, se sont réunis à Vienne, il y a une dizaine de jours, pour remettre sur les rails un processus de paix en Syrie. «L’une des conclusions a été de demander aux Nations Unies de travailler à un scénario de cessez-le-feu, souligne François Larochelle. Cela montre que l’ONU est incontournable parce qu’elle demeure la seule organisation capable de parler à tous les acteurs impliqués dans un conflit.»

Aide au développement

Certains panélistes ont souligné que le bilan de l’ONU dans le dossier de l’aide au développement était moins reluisant que dans d’autres domaines. «Des progrès ont pourtant été réalisés et certains objectifs du Millénaire pour le développement, tracés en 2000, ont été atteints, notamment en matière de santé et d’éducation, soutient le président de l’ACNU. Les nouveaux objectifs de développement durable post 2015 sont certes ambitieux, mais ils permettent de tracer un plan global d’investissement pour le développement international et de fournir une marche à suivre aux États.»

L’ONU et les grandes institutions internationales – Banque mondiale et Fonds monétaire international – ne sont plus seules à définir la façon de gérer l’aide au développement. En juin dernier, une cinquantaine d’États ont signé à Pékin un accord entérinant les statuts de la nouvelle Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures lancée à l’initiative de la Chine, qui disposera d’un poids prédominant dans l’institution. Cela illustre le leadership de la Chine, superpuissance en émergence, laquelle utilise aussi l’aide au développement comme un instrument diplomatique et d’influence géopolitique.

Nouveaux défis    

Le colloque a mis en lumière les nombreux défis, actuels et à venir, auxquels l’ONU est confrontée: changements climatiques, cyberterrorisme, crises migratoires, diversité culturelle à l’ère du numérique, etc. «Plusieurs conférenciers ont souligné que l’ONU doit s’adapter aux nouvelles réalités si elle veut maintenir sa légitimité, note Kim Fontaine-Skronski. Tous ont reconnu la nécessité d’une réforme du  Conseil de sécurité. Ses cinq membres permanents – États-Unis, France, Royaume-Uni, Russie, Chine –, qui détiennent un droit de veto, incarnent un équilibre des pouvoirs devenu désuet. Certains ont soutenu, par ailleurs, que l’ONU doit tendre la main à des acteurs autres que les gouvernements nationaux, tels que les villes et les organisations de la société civile.»

François Crépeau, rapporteur spécial de l’ONU sur les droits de l’homme et des migrants, a rappelé lors du colloque que les politiques migratoires, hormis la question des réfugiés, ont longtemps été tenues à l’écart des forums multilatéraux de coopération internationale, en raison de la réticence des États à partager ce qu’ils considèrent relever de leur souveraineté territoriale. Aujourd’hui, ces politiques attirent l’attention de l’ONU et certains États acceptent, bien que discrètement, de discuter de leur coordination.

À la veille de la Conférence de Paris sur les changements climatiques, organisée par les Nations Unies, François Larochelle se montre optimiste. «Si la conférence s’avère un succès, cela renforcera la légitimité de l’ONU et démontrera que le multilatéralisme peut fonctionner», conclut-il.

La conférence de David Malone au CORIM, le 19 octobre dernier, sera diffusée sur les ondes du Canal Savoir les 25 (20h), 27 (12h), 28 (minuit) et 29 (17h 30) novembre prochains. Il est aussi possible de visionner les délibérations du panel consacré aux défis futurs de l’ONU.

Repères historiques

Février 1945 – Après la Conférence de Yalta, Roosevelt, Churchill et Staline expriment leur volonté d’établir une «organisation générale pour la sauvegarde de la paix et de la sécurité».

Octobre 1945 – L’Organisation des Nations Unies voit le jour alors que sa Charte entre en vigueur après avoir été ratifiée par les cinq membres permanents du Conseil de sécurité et la majorité des autres signataires.

Janvier 1946 – L’Assemblée générale adopte sa première résolution consacrée principalement aux utilisations pacifiques de l’énergie atomique et à l’élimination des armes atomiques et autres armes de destruction massive.

Décembre 1948 – L’Assemblée générale adopte la Déclaration universelle des droits de l’homme.

Janvier 1949 – L’émissaire de l’ONU obtient un cessez-le-feu entre le nouvel État d’Israël et les États arabes.

Novembre 1956 – À l’Occasion de la crise du Canal de Suez, l’Assemblée générale crée la première force de maintien de la paix de l’ONU, la Force d’urgence des Nations Unies.

Mars 1964 – Le Conseil de sécurité approuve l’envoi d’une force de maintien de la paix à Chypre.

Juin 1972 – La première Conférence des Nations Unies sur l’environnement se tient à Stockholm et débouche sur la création du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE).

Décembre 1979 – Adoption d’une Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes.

Mars 2006 – L’Assemblée générale établit le Conseil des droits de l’homme dont l’objectif principal est d’examiner les situations de violations des droits de l’homme et d’émettre des recommandations.