Voir plus
Voir moins

Le savoir médical désacralisé

Les communautés virtuelles de patients contribuent à transformer la relation médecin-patient, selon une étude.

Par Claude Gauvreau

13 avril 2015 à 15 h 04

Mis à jour le 26 août 2015 à 16 h 08

Les communautés virtuelles permettent à des milliers de patients de partager de l’information sur l’évolution de leur condition et sur les traitements.  Photo: Istock

«Ne soyez pas seul face à la maladie !» Ce message apparaît sur la page d’accueil du site Web de Carenity, une communauté virtuelle de patients fondée en France en 2011, qui compte quelque 70 000 membres. Les communautés virtuelles les plus connues ont pour nom PatientsLikeMe, BePatient, Doctissimo et Association of Cancer Online Resources (Acor.org ), qui réunit 130 groupes de malades atteints de différents types de cancers.

«Ces communautés permettent à des milliers de patients souffrant de maladies chroniques ou rares, et provenant de divers pays, de se rencontrer dans des espaces virtuels, de partager de l’information sur l’évolution de leur condition et sur les traitements, d’échanger des conseils pratiques, jetant ainsi les bases  d’une nouvelle approche participative et collaborative dans le domaine de la santé», soutient Anne-Françoise Audrain-Pontevia, professeure au Département de marketing.

En raison du nouveau partage des savoirs sur la santé et des nouvelles modalités de communication avec les patients, les soignants sont confrontés à une redéfinition de leur rôle et à de nouveaux enjeux éthiques.

Avec ses collègues Locik Menvielle et William Menvielle, respectivement professeurs à l’EDHEC Business School, en France, et à l’Université du Québec à Trois-Rivières, la chercheuse a mené une enquête auprès de 900 Français et Québécois membres de communautés virtuelles. Les premiers résultats obtenus montrent que les Québécois sont plus nombreux à considérer que  le recours fréquent aux plateformes santé sur Internet a un impact bénéfique sur la qualité de la relation médecin-patient. «Les Québécois ont plus difficilement accès à un médecin que les Français. Plusieurs d’entre eux fréquentent les sites des communautés virtuelles», dit Anne-Françoise Audrain-Pontevia.  

Dans de nombreux pays, Internet constitue une source importante d’information sur la santé. Selon une enquête CROP réalisée en 2011, rapportée par la professeure Christine Thoër du Département de communication sociale et publique dans un article publié en 2013, «Internet: un facteur de transformation de la relation médecin-patient, plus de la moitié des Québécois âgés de 18 ans et plus consulteraient Internet pour des sujets reliés à la santé, 23 % des répondants s’informant de manière régulière et 40 % à l’occasion. «Ces résultats, écrit Christine Thoër, s’apparentent à ceux issus d’une importante étude réalisée dans 12 pays (Australie, Brésil. Chine, France, Allemagne, Inde, Italie, Mexique, Russie, Espagne, Royaume-Uni et États-Unis) qui montre qu’en moyenne six répondants sur dix avaient effectué une recherche en ligne sur un problème médical particulier, un avis médical ou un médicament.»

Parmi les plateformes fréquentées, les médias sociaux (forums, blogues, groupes Facebok, Twitter) jouent un rôle de plus en plus important, note Christine Thoër. «Ces espaces permettent le partage d’informations et de conseils pratiques avec des pairs dans un format souvent plus accessible que ceux diffusés par les soignants et la santé publique.»

Un lien renforcé

Diverses recherches ont montré l’émergence, depuis une vingtaine d’années, de nouveaux modèles de relations, poursuit Christine Thoër. «Ces modèles, écrit-elle, reposent sur la possibilité pour chacune des parties de présenter sa vision de la maladie lors de la consultation, sur l’engagement dans une véritable négociation concernant le diagnostic et le traitement et sur l’atteinte d’un consensus mutuel.» Bref, l’implication du patient dans la décision médicale et plus largement dans le processus de soins constituerait une perspective d’avenir. Elle produirait de meilleurs résultats parce qu’elle favoriserait une plus grande adhésion du patient au traitement.

Plusieurs des patients ayant participé à l’étude menée par la professeure Audrain-Pontevia et ses collègues, les Québécois en particulier, avaient le sentiment que le lien avec leur médecin s’était renforcé. Mieux informés et éclairés sur leur problème de santé, les patients des communautés virtuelles sont enclins à s’affirmer, à poser des questions et à partager les informations recueillies avec leur médecin, sans cependant remettre en question son expertise. Celui-ci, en retour, peut aider le patient à identifier et à comprendre les bonnes informations. «Chose certaine, dit la chercheuse, les patients ne sont plus des récipiendaires passifs et deviennent des acteurs à part entière du processus de soins.»

De plus, poursuit Anne-Françoise Audrain-Pontevia, le fait d’échanger au sein de la communauté des expériences vécues constitue une source de soutien émotionnel, tant pour les patients que pour leurs proches, contribuant ainsi à briser l’isolement social auquel confine la maladie.

Des informations fiables ?

Selon Christine Thoër, la qualité des informations recueillies dans les médias sociaux et sur Internet en général constitue une source de préoccupation pour les internautes comme pour les soignants et les responsables de la santé publique et communautaire. «Celle-ci serait en effet très inégale selon les sites Internet consultés, entre autres parce que la popularité d’Internet est à l’origine du développement de nombreux services à visée commerciale (consultation en ligne, vente de produits pharmaceutiques, tests génétiques, etc.) dont les activités sont éthiquement peu encadrées.» L’industrie pharmaceutique, par exemple, a largement investi Internet afin de promouvoir des services et des produits de santé. «Pour cette industrie, les communautés virtuelles et les plateformes numériques représentent des mines d’informations sur les comportements des patients, leur permettant ainsi d’avoir une approche plus ciblée et plus personnalisée», souligne Anne-Françoise Audrain-Pontevia.

Celle-ci note, par ailleurs, que certaines communautés virtuelles de patients sont de véritables startup qui cherchent à augmenter leur nombre d’abonnés. Fondé en 2000 par deux médecins, Doctissimo était à l’origine un site d’information médicale. Aujourd’hui, il propose des rubriques sur la cuisine, la sexualité, la mode, les produits de beauté, la mise en forme et le sport. «Doctissimo, dont le chiffre d’affaires annuel est de 10 millions d’euros, est consulté par huit millions de visiteurs par mois, indique Anne-Françoise Audrain-Pontevia. En 2008, le puissant groupe médiatique français Lagardère a fait son acquisition pour plus de 70 millions d’euros.»

La professeure reconnaît que l’information disponible sur les sites des communautés virtuelles de patients n’est pas toujours fiable et que certains médecins s’en méfient. «Cela dit, on trouve sur certaines plateformes des médecins qui agissent à titre de modérateurs. Ils répondent à des questions, donnent des informations complémentaires et rectifient le tir au besoin.» La plateforme Carenity, par exemple, est associée à un comité scientifique et éthique composé de 12 médecins.

Dans une prochaine étape, l’équipe de chercheurs entreprendra une deuxième collecte d’informations auprès d’échantillons de patients encore plus larges. «Deux de mes étudiants travaillent sur les raisons qui motivent des personnes à participer aux communautés virtuelles et au pouvoir que celles-ci confèrent aux patients dans la gestion de leur maladie et dans la relation avec leur médecin», dit Anne-Françoise Audrain-Pontevia.