«Les professeurs qui m’ont le plus marqué à l’époque où j’étais étudiant étaient ceux qui osaient aborder des questions litigieuses en classe, se rappelle Simon Corneau. Ils ne craignaient pas de bousculer le confort intellectuel de leurs étudiants en questionnant leurs certitudes. C’était souvent très formateur.»
Celui qui est aujourd’hui professeur au Département de sexologie donnera avec sa collègue Maria Nengeh Mensah, de l’École de travail social, une conférence intitulée «L’enseignement de sujets sensibles et contentieux: entre plaisirs et défis». Leur communication, qui sera présentée le 11 juin prochain au pavillon de Sève (DS-R510), s’inscrit dans le cadre de la première édition des Journées de la pédagogie universitaire (9-10-11 juin), organisée par le Centre de formation en soutien à l’académique de l’UQAM. Anciens lauréats du Prix d’excellence en enseignement de la Faculté des sciences humaines, les deux jeunes professeurs traitent dans leurs cours de questions qui font souvent l’objet de débats, voire de controverses.
«Nos thèmes d’enseignement et nos approches pédagogiques sont similaires, dit Simon Corneau. Je m’intéresse à la criminalisation de la non-divulgation du VIH-Sida, au travail du sexe comme forme de travail légitime, aux mutilations génitales féminines dans certaines cultures et à l’usage de la pornographie chez les adolescents. Des sujets dits sensibles, politiquement chauds et complexes.»
Maria Nengeh Mensah aborde, notamment, le pluralisme sexuel, la criminalisation de la prostitution, les luttes féministes, le racisme et la stigmatisation sociale des personnes vivant avec le VIH. «Ce sont des enjeux qui suscitent des réactions, dit-elle. Certains étudiants s’identifient aux acteurs impliqués, tandis que d’autres se sentent confrontés dans leurs convictions morales ou politiques. D’autres encore peuvent revivre des émotions reliées à une expérience personnelle, positive ou négative.»
Les deux professeurs reconnaissent que les sciences sociales et humaines représentent un domaine du savoir particulièrement propice au traitement de sujets sensibles. «Ce n’est pas étonnant dans la mesure où l’être humain est au cœur des connaissances, à la fois comme sujet et objet d’étude», dit Maria Nengeh Mensah. Mais il n’y a pas que les sciences humaines qui abordent des domaines sensibles. «En sciences naturelles, les problèmes d’environnement et la question des manipulations génétiques, pour ne citer que ces exemples, sont aussi des sujets qui soulèvent les passions», note Simon Corneau.
Des défis particuliers
L’enseignement de sujets sensibles exige-t-il une approche pédagogique particulière ? «D’abord, le professeur doit être sensible à la confrontation des valeurs que son cours peut provoquer, souligne Maria Nengeh Mensah. Il doit savoir ramener les étudiants aux objectifs d’apprentissage et faire des liens avec diverses lectures, notamment théoriques, pour favoriser la réflexivité, tout en s’appuyant sur les forces du groupe.»
Simon Corneau croit que l’on peut adopter différentes approches. «Certains professeurs adoptent une attitude neutre, tandis que d’autres affichent clairement leur parti pris. Pour ma part, je préconise une approche équilibrée qui expose les différents points de vue existants sur un sujet donné. L’important est de favoriser l’esprit critique des étudiants et de solliciter la voix de chacun. On doit aussi établir des règles claires de conduite et de discussion pour éviter toute forme de dérapage.»
Dans les cours de premier cycle qu’il donne devant 40 à 50 étudiants, Simon Corneau s’inspire beaucoup des événements de l’actualité pour illustrer un thème donné. «J’aime bien organiser des débats contradictoires. J’impose d’abord un sujet de discussion, puis je désigne les étudiants qui auront à défendre des positions opposées. Dans tous les cas, ils doivent se documenter et chercher des données scientifiques permettant d’appuyer leur point de vue, lequel ne correspond pas nécessairement à leurs valeurs.»
Valoriser la pédagogie universitaire
La conférence des deux chercheurs vise par ailleurs à susciter une réflexion sur l’importance du plaisir dans l’enseignement. Simon Corneau et Maria Nengeh Mensah considèrent que la tâche d’enseignement à l’université est insuffisamment valorisée et qu’elle s’exerce souvent à l’ombre de la recherche.
La valorisation de la pédagogie et de l’enseignement sera justement un thème central lors des Journées de la pédagogie universitaire. Valoriser quelle pédagogie et comment ? Quel est l’apport de la technopédagogie ? Le jumelage interculturel constitue-t-il une piste de renouveau ? Comment amener les étudiants dans un processus réflexif ? En quoi l’apprentissage coopératif représente-t-il un modèle alternatif au cours magistral ? Ces questions seront débattues en ateliers le 9 juin.
La journée du 10 juin sera consacrée aux environnements numériques d’apprentissage et, en particulier, à la plateforme Moodle. Des professeurs et chargés de cours se demanderont comment structurer un cours, comment interagir et communiquer et comment évaluer avec Moodle. Lors de la troisième journée (11 juin), les participants échangeront et partageront leurs expériences autour de différentes pratiques d’enseignement.