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Le Web incontournable

En deux décennies à peine, Internet a envahi tous les aspects de notre vie personnelle et professionnelle.

Par Pierre-Etienne Caza

29 octobre 2015 à 8 h 10

Mis à jour le 31 janvier 2018 à 15 h 01

Série L’actualité vue par nos experts
Des professeurs et chercheurs de l’UQAM se prononcent sur des enjeux de l’actualité québécoise, canadienne ou internationale.

Photo: iStock

Depuis 2005, l’Internet Day célèbre la première transmission d’informations via Internet. Celle-ci remonte au 29 octobre 1969, alors que deux ordinateurs étaient mis en réseau pour la première fois. C’est l’invention du langage HTML et du protocole HTTP, au début des années 1990, qui a rendu possible la création du World Wide Web tel qu’on le connaît aujourd’hui, puis la création du moteur de recherche Google, popularisé à la fin des années 1990.

«Auparavant, il fallait se rendre à la bibliothèque pour accéder aux savoirs. Avec Internet, l’accès à d’innombrables ressources scientifiques à travers le monde est quasi immédiat. C’est sans contredit l’un des plus gros impacts d’Internet dans nos vies», affirme Mélanie Millette, professeure substitut au Département de communication sociale et publique. Google ne comporte pas que des avantages, souligne toutefois la jeune chercheuse. «La recherche par mots-clés est simple et efficace, car l’algorithme qui sous-tend le moteur de recherche prend en considération les mots-clés des autres utilisateurs de la même région. Sauf qu’il y a un effet pervers: la circularité des contenus. Les contenus populaires dans une région donnée obtiennent un bon référencement et se maintiennent en haut de la liste des résultats affichés par Google. Cela nuit à la diversité de l’information.»

Moins seuls

En deux décennies à peine, Internet a également transformé nos façons de communiquer, que ce soit par courriel ou par l’entremise des médias sociaux, dans nos relations personnelles ou professionnelles. «Les études démontrent qu’Internet a contribué à briser la solitude et l’isolement, du moins en Amérique du Nord», souligne la professeure, dont la thèse, réalisée sous la direction du professeur Serge Proulx, portait sur l’usage des médias sociaux à des fins politiques par les minorités francophones au Canada anglais.

Mélanie Millette Photo: Émilie Tournevache

Les personnes migrantes, qui se déplacent pour le travail ou pour les études, utilisent Internet pour garder le contact avec leurs proches malgré l’éloignement. Skype, FaceTime, Google Hangouts, WhatsApp, Viber, les applications qui facilitent les communications à moindre coût n’ont cessé de se multiplier au cours des dernières années. «En revanche, les populations qui ne sont pas connectées au Web sont isolées, note la professeure. C’est ce qu’on nomme la fracture numérique.»

Dans le monde du travail, «les technologies mobiles (ordinateurs portables, téléphones intelligents et tablettes) alliées à l’Internet – aujourd’hui à l’infonuagique – ont contribué au brouillage des frontières entre la vie privée et la vie professionnelle», souligne Mélanie Millette. Il est désormais facile de travailler n’importe où. Un plus pour les travailleurs. Sauf qu’il est difficile de décrocher quand on est constamment connecté avec son employeur.

Mobilisation et information

Obtenir des appuis, faire circuler une pétition en ligne, effectuer une levée de fonds ou organiser un événement: Internet offre au citoyen lambda le potentiel d’une diffusion massive à faible coût. «J’insiste sur le mot “potentiel”, précise la professeure. Les médias sociaux permettent de rejoindre des milliers, voire des millions de personnes, mais nous sommes nombreux à vouloir utiliser ce porte-voix. Le potentiel ne s’actualise pas toujours.»

Encore aujourd’hui, une action dans les médias sociaux est réellement couronnée de succès seulement quand elle réussit à obtenir de la visibilité dans les médias traditionnels comme les journaux et la télévision. Mais cela pourrait changer avec les générations montantes, qui ne consomment plus l’information de la même façon. Avant Internet, chaque génération partageait les mêmes référents culturels, liés à la programmation télévisuelle. Il y a eu la génération Sol et Gobelet, puis la génération Passe-Partout. «Aujourd’hui, il n’y a plus ce genre de point focal.  L’autre jour, un chroniqueur radiophonique nommait les idoles de sa fille de 20 ans, toutes issues de YouTube. C’est mon domaine d’expertise et je ne connaissais personne!», souligne en riant Mélanie Millette.

Certains étudiants auxquels la professeure enseigne ne consultent ni La Presse, ni le Devoir, ni le Journal de Montréal, mais plutôt Mic et VICE , des sites qui présentent des actualités provenant de partout dans le monde, en anglais, avec des contenus de type lifestyle. «C’est rédigé dans un style percutant, avec une foule d’hyperliens, beaucoup d’images et d’animation, analyse la chercheuse. Le contenu est intéressant et intelligent, et il est mis en forme pour les natifs du numérique.» À quand des sites comme ceux-là en français?

Le futur du Web

Nul ne sait dans quelle direction se développera Internet au cours des prochaines années. Certains acteurs travaillent en coulisse sur le développement du Web sémantique, qui sera capable de saisir les nuances, les sous-textes et les associations qu’opère la pensée humaine. D’autres s’activent à peaufiner les outils de la réalité augmentée, comme les lunettes Google Glass. Ce genre de projet soulève toutefois des inquiétudes. «Un téléphone intelligent qui peut reconnaître par lui-même un paysage et fournir automatiquement des informations est un outil intéressant pour l’industrie touristique, observe Mélanie Millette. Mais on est sur une pente glissante à partir du moment où la même technologie permet aussi de reconnaître des visages dans une foule…»

Les enjeux concernant la protection de la vie privée seront toujours d’actualité au cours des prochaines années. «Facebook a été lancé publiquement en 2006. Cela fera donc bientôt 10 ans que ses utilisateurs y mettent des photos et y partagent leurs préférences, dit la chercheuse. L’entreprise, comme sa rivale Google, est capable de tracer des trajectoires évolutives pour chacun de ses utilisateurs. Et on ne se le cachera pas: les deux géants du Web ont des visées hégémoniques.»

Ironiquement, la meilleure façon de se protéger contre les risques de piratage ou de dérapage est de ne pas utiliser les médias sociaux, ou le moins possible. «Ce sont des outils merveilleux dont il serait difficile de se passer, alors il faut continuer d’éduquer les gens à propos des principes de base en matière de sécurité et de protection de la vie privée», conclut Mélanie Millette.

Regards d’experts

L’Internet Day célèbre la première transmission d’informations via Internet et se veut un moment de réflexion sur les multiples impacts que cette invention a eus sur notre style de vie. Des professeurs de l’UQAM sont disponibles pour commenter les effets de cette innovation. On peut consulter ici la liste de ces professeurs et chercheurs ainsi que leurs domaines d’expertise.