Voir plus
Voir moins

En mode universitaire

En 2015, l’École supérieure de mode célèbre ses 20 ans dans un pavillon tout neuf.

Par Valérie Martin

12 novembre 2015 à 8 h 11

Mis à jour le 5 avril 2019 à 10 h 04

Série Cinquante ans d’histoire
L’UQAM, qui célèbre son 50e anniversaire en 2019-2020, a déjà beaucoup d’histoires à raconter. La plupart des textes de cette série ont originalement été publiés de 2006 à 2017 dans le magazine Inter. Des notes de mise à jour ont été ajoutées à l’occasion de leur rediffusion dans le cadre du cinquantième.

La jeune designer Julia Fadeitcheva (B.A. gestion et design de la mode, 2015) en pleine préparation de son projet de fin d’études.Photo: Nathalie St-Pierre

Pour célébrer ses 20 ans, en 2015, l’École supérieure de mode (ESM) s’est offert un vrai cadeau: un nouveau pavillon. La seule institution québécoise à proposer un programme d’études universitaires en gestion et en design de mode était installée depuis 1995 dans un édifice en location appartenant au Collège LaSalle, dans l’ouest de Montréal. Le nouveau pavillon de la rue Sainte-Catherine Est, à la facture à la fois historique et moderne, se veut un lieu unique d’enseignement et de création pour ses quelque 500 étudiants de premier cycle ainsi que pour ses professeurs et chargés de cours.

«Ce déménagement représente une étape importante pour l’École supérieure de mode, puisqu’il concentre toutes ses activités au cœur même du campus central, à deux pas de ses principaux partenaires que sont l’École des sciences de la gestion [à laquelle elle est rattachée depuis 1997] et la Faculté des arts», souligne Yvon Fauvel, directeur de l’ESM [aujourd’hui professeur associé au Département des sciences économiques, Yvon Fauvel a été remplacé à la tête de l’ÉSM par la professeure du Département de marketing Marie-Ève Faust (B.A.A. sciences comptables, 1988; B.A. gestion et design de la mode, 2000)]. L’installation de l’École dans le Quartier latin donne également une impulsion à la revitalisation de la rue Sainte-Catherine Est, cohérente avec la mise en œuvre du Programme particulier d’urbanisme du Quartier des spectacles – Pôle du Quartier latin, un projet important pour le développement du centre-ville est.

On trouve dans le nouveau bâtiment deux laboratoires de création, une salle de coupe, un centre de documentation, des salles de classe et des salles de couture. En façade de l’édifice, d’immenses vitrines s’ouvrent sur la rue Sainte-Catherine et exposent en permanence les créations des étudiants, diplômés et professeurs de l’École ainsi que des beaux livres provenant de la bibliothèque spécialisée en mode, l’une des plus importantes au Québec.

Un nouveau pavillon

L’École supérieure de mode.Photo: Nathalie St-Pierre

Deux bâtiments centenaires ont été transformés pour loger le nouveau pavillon de l’École supérieure de mode. Les bâtiments ont été entièrement dégarnis de manière à ne conserver que les murs d’origine périphériques et mitoyens. La tuyauterie, les conduits d’air et les poutres structurales y ont délibérément été laissés à la vue, ce qui donne à l’ensemble son allure industrielle et contemporaine. Une corniche décorative repérée dans une illustration des bâtiments d’origine, publiée dans un article de La Presse datant de 1913, a été reconstruite.

Combler le manque de formation

L’ESM, alors appelée École supérieure de mode de Montréal, a été fondée en 1995 grâce à un partenariat entre l’UQAM et le Collège LaSalle, une institution collégiale reconnue depuis plus de 30 ans pour son programme technique en mode. «La formation universitaire en mode était jusqu’alors offerte partout en Amérique du Nord, sauf au Québec, où l’on manquait cruellement de main-d’œuvre professionnelle dans l’industrie de la mode», relève Nathalie Langevin (B.Ed. enseignement professionnel, 1981), une dessinatrice de mode de métier qui a longtemps enseigné le patron à la formation des maîtres avant d’être embauchée par l’UQAM. Elle sera l’une des premières codirectrices de l’École (1995-1997).

« La formation universitaire en mode était jusqu’alors offerte partout en Amérique du Nord, sauf au Québec, où l’on manquait cruellement de main-d’œuvre professionnelle dans l’industrie de la mode.»

Nathalie Langevin,

Première codirectrice de l’École supérieure de mode (1995-1997).

Dans les années 90, les deux tiers des entreprises canadiennes de confection de vêtements étaient concentrées au Québec, dont 70 % à Montréal, désignée comme une capitale de la mode. Dans un contexte de globalisation et de délocalisation graduelle des manufactures de vêtements, l’industrie de la mode québécoise était toutefois en pleine transformation et évoluait vers une industrie de pointe nécessitant une main-d’œuvre qualifiée. La création de l’École visera à combler ce manque. L’Université apporte son expérience et sa compétence en matière de développement de programmes universitaires, d’enseignement et de recherche, tout en gérant les admissions et la remise des diplômes, alors que le Collège LaSalle met à la disposition des Uqamiens ses ressources spécialisées et son expertise dans le domaine de l’enseignement de la mode. Le partenariat formé à l’époque entre les deux institutions s’inspire de partenariats semblables à l’origine de plusieurs écoles de mode, dont celles de New York, de Boston et de Londres.

Un étage complètement ouvert a été ajouté à l’édifice afin d’y apporter plus de lumière. Photo: Nathalie St-Pierre

Le programme de baccalauréat en gestion et design de la mode offre à la fois une formation fondamentale et générale ainsi qu’une formation plus spécialisée et pratique dans l’un des trois grands secteurs de l’industrie de la mode, soit le design et le stylisme, la gestion industrielle et la commercialisation. À la fin de leurs études, les étudiants doivent réaliser un stage dans leur secteur respectif, au pays ou à l’étranger.

Les professeurs et chargés de cours proviennent de plusieurs disciplines et sont issus de différents départements (marketing, histoire de l’art, management et technologie, etc.) et facultés au sein de l’UQAM. Au cours des années, plusieurs designers reconnus de l’industrie de la mode ont donné des cours à l’ESM, dont Marie Saint-Pierre, Jean-Claude Poitras et Yves-Jean Lacasse, de la griffe Envers. Maryla Sobek (M.A. études des arts, 1996; Ph.D. histoire de l’art, 2006), décédée subitement en mai 2014, a été la première professeure embauchée par l’École. Sa double formation en architecture et en mode en Europe ainsi que son expérience acquise dans les grandes maisons de couture parisiennes comme Lanvin et Balenciaga faisaient d’elle une enseignante recherchée. «C’était une femme fourmillant d’idées déjà reconnue dans les milieux du design et de la mode, décrit Nathalie Langevin. Elle a contribué à mettre l’École sur la carte.»

Durant les deux premières années, Nathalie Langevin, aux affaires académiques, assume la codirection de l’École supérieure de mode de Montréal avec Michèle Boulanger-Bussière, du Collège LaSalle, aux affaires administratives. La codirection, une mesure temporaire visant à s’assurer que les deux établissements participent à la mise sur pied de l’École, sera abolie en 1997. Le partenariat avec le Collège LaSalle prendra fin quant à lui en 2009.

Première cohorte

À l’automne 1995, les premiers étudiants du baccalauréat en gestion et design de la mode sont accueillis dans des locaux du bâtiment Astral, sur la rue Sainte-Catherine Ouest, où le Collège LaSalle a aussi ses pénates. «Nous étions deux entités distinctes avec une identité propre, mais cette proximité était favorable aux échanges académiques et administratifs», précise Nathalie Langevin. Des cours se donnent également au campus central dans le pavillon des Sciences de la gestion. La plupart des étudiants du nouveau programme détiennent un diplôme collégial en mode ou ont fait des études supérieures dans des domaines connexes comme les relations publiques ou le marketing.

«Nous étions environ une quinzaine et la plupart d’entre nous travaillions déjà dans l’industrie», se remémore Sophie St-Laurent (B.A. gestion et design de la mode, 1998), diplômée de la première cohorte et aujourd’hui chef de section mode et beauté au magazine Châtelaine. Étudiants et enseignants étaient très proches, raconte la journaliste. «Pendant les pauses, nous pouvions prendre un café avec le célèbre couturier Michel Robichaud, qui avait, entre autres, conçu les uniformes du personnel d’Air Canada et d’Expo 67, et discuter pendant des heures sur le métier!»

Photo: Nathalie St-Pierre

La professeure au Département de marketing et sociologue de la mode Mariette Julien (Ph.D. communication, 1996) [aujourd’hui professeure associée], qui enseigne à l’ESM depuis les débuts, a toujours été aux petits soins pour ses étudiants. «Le fait d’enseigner à des petits groupes était propice au rapprochement. Nous étions comme une grande famille», se souvient celle qui possède encore plusieurs photographies de «ses» premières cohortes d’étudiants.

«Tout le monde se connaissait, c’était un milieu effervescent, les professeurs étaient disponibles et nous encourageaient», renchérit Pao Lim (B.A. gestion et design de la mode, 2001), aujourd’hui chargé de cours à l’ESM. Il régnait à l’École un esprit de camaraderie, d’ouverture et de créativité que lui et sa collègue Danielle Martin (B.A. gestion et design de la mode, 2000) – avec laquelle le designer a fondé la griffe Martin Lim (2010-2014) – souhaitent maintenant perpétuer [Danielle Martin enseigne aujourd’hui à l’Université Ryerson de Toronto]. En compagnie des professeurs Ying Gao (B.A. gestion et design de la mode, 2000; M.A. communication, 2003) et Marie-Ève Faust ainsi que du chargé de cours Milan Tanedjikov (B.A. gestion et design de la mode, 2004), fondateur de la griffe Perplex et Lola (2003-2010), ces derniers font partie de la relève enseignante à l’École.

Un programme controversé au départ

La venue du programme de mode n’a pas fait l’unanimité au sein du monde universitaire, se rappelle Nathalie Langevin. «La mode, ce n’est pas une matière noble au même titre que la philosophie. Il fallait faire nos preuves et démontrer que des programmes de mode existaient dans d’autres universités», observe-t-elle. «Les gens pensaient que l’ESM offrait des cours de mannequinat!», se souvient Esther Trépanier (B.A. philosophie, 1973; M.A. études des arts, 1984), professeure au Département d’histoire de l’art, qui a été la troisième directrice générale de l’ESM, de 2000 à 2007.

«La mode, ce n’est pas une matière noble au même titre que la philosophie. Il fallait faire nos preuves et démontrer que des programmes de mode existaient dans d’autres universités.»

Esther Trépanier,

Professeure au Département d’histoire de l’art et directrice générale de l’ESM, de 2000 à 2007.

Les arts ont été longtemps victimes du même snobisme, poursuit la professeure. «On trouvait que la mode et les arts étaient des disciplines moins rigoureuses. Pourtant, l’objet mode du point de vue de la gestion, de la production et de la création est équivalent à tout autre objet produit par les sociétés humaines.»

Selon Mariette Julien, la mode a toujours été vue comme futile et superficielle. «La main-d’œuvre ouvrière, peu éduquée, a sûrement contribué à ce snobisme», souligne l’auteure de La mode hypersexualisée (Sisyphe, 2010), qui a organisé un premier colloque à l’Association francophone pour le savoir (Acfas) sur le thème de la mode en 2012. «Encore aujourd’hui, les préjugés perdurent et peu de chercheurs s’intéressent au phénomène.»

Photo: Nathalie St-Pierre

Malgré tout, l’ESM a rapidement connu le succès. De 1995 à 2000, le nombre d’étudiants triple, passant à plus de 350. «Au fil des années, l’ESM attire de plus en plus d’étudiants étrangers… et d’hommes. Les nombreux programmes d’échange entre l’UQAM et différentes écoles de mode aux quatre coins du monde ont sûrement contribué à la faire connaître comme une école offrant un programme de qualité, différent des autres», note Mariette Julien.

Seule école de mode à offrir un programme de premier cycle en langue française en Amérique du Nord, l’ESM se différencie des établissements où l’on enseigne seulement le design et la création. «L’École se veut à l’image de la réalité de l’industrie, un milieu où les designers et les créatifs travaillent au quotidien avec des gestionnaires et du personnel administratif», souligne le professeur du Département de management et technologie Serge Carrier (Ph.D. administration, 99) [aujourd’hui professeur associé], un expert en commercialisation de la mode qui a dirigé l’École de 2007 à 2010. «Les étudiants en design de mode côtoient ceux en commercialisation et en gestion. Dès la première année du bac, chaque étudiant doit connaitre les différents secteurs de l’industrie et ses rouages et apprendre à travailler en groupe multidisciplinaire.»

Depuis 20 ans, les nombreuses cohortes de diplômés du baccalauréat en gestion et design de la mode ont changé le visage de l’industrie. «Dans les années 90, les communications dans l’industrie de la mode québécoise étaient peu développées», remarque Sophie St-Laurent. Aujourd’hui, les boîtes de relations publiques et autres agences de communication se spécialisant en mode, beauté et lifestyle sont légion. Plusieurs diplômés sont derrière ce changement.» Plusieurs ont également imposé leur griffe, dont Mélissa Nepton (B.A. gestion et design de la mode, 04) et Sofia Sokoloff (B.A. gestion et design de la mode, 12), qui ont toutes deux créé une marque à leur nom, ou Anne-Marie Laflamme (B.A. gestion et design de la mode, 08), cofondatrice avec Catherine Métivier, toujours étudiante [aujourd’hui diplômée: B.A. gestion et design de la mode, 2017], de l’Atelier b.

Le directeur de l’ESM se montre confiant en l’avenir. «On sent déjà un vent de changement à l’École, dit Yvon Fauvel. Nous aurons d’ici quelques années un programme révisé pour mieux répondre aux besoins du milieu et nous pourrons compter sur de nouvelles ressources professorales, qui vont insuffler un nouveau dynamisme. Tout est en place pour que l’ESM puisse continuer à progresser et accroître son rayonnement.» [Une importante refonte du programme de gestion et design de la mode sera en place dès l’automne 2019.]

Des personnalités issues de l’ESM

Deux robes créées par la diplômée Mélissa Nepton sont exposées dans la vitrine de l’École supérieure de mode.Photo: Nathalie St-Pierre

L’ESM a formé plusieurs acteurs du domaine de la mode sur la scène québécoise, canadienne et internationale. Parmi les diplômés les plus reconnus du bac en gestion et design de la mode, outre Ying Gao, Pao Lim, Danielle Martin, Marie-Ève Faust, Milan Tanedjikov, Mélissa Nepton, Sofia Sokoloff et Anne-Marie Laflamme, on retrouve Amélie Gingras-Rioux (2004), cofondatrice de la marque Annie 50; Vicky Boudreau (06), directrice générale et cofondatrice de l’agence de relations publiques Bicom communications; Émilie Heymans (2011), créatrice de la ligne de maillots de bain éponyme; Gabrielle Martimbault (2013), directrice de production pour la maison Shan; Marilyne Baril (2010), fondatrice de la ligne de manteaux éponyme et de la ligne de robes Marigold; Amélie Thellen (2004), copropriétaire de la boutique Unicorn; Claudia Labelle (2013), chargée de communication intégrée chez L’Oréal Canada [aujourd’hui directrice des relations publiques pour le Groupe Aldo]; Sophie Rozon (09; M.B.A., 2014), commissaire adjointe au développement économique du Bureau de la mode de la Ville de Montréal et rédactrice en chef du blogue modeMontreal.TV [aujourd’hui gestionnaire en stratégie de produit et marchandisage pour La Vie en Rose].

Source:
INTER, magazine de l’Université du Québec à Montréal, Vol. 13, no 2, automne 2015.