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Une campagne de désinformation

Le professeur Charles Séguin critique les politiques d’austérité du gouvernement libéral.

Par Claude Gauvreau

4 février 2015 à 7 h 02

Mis à jour le 4 septembre 2015 à 15 h 09

Les mesures d’austérité suscitent la grogne au sein d’une partie de la population. Photo: Raynald Leblanc

En décembre dernier, sept économistes, dont six professeurs du Département des sciences économiques, ont critiqué dans une lettre rendue publique par les médias «la campagne de désinformation» menée par le gouvernement libéral concernant l’ampleur du déficit au Québec. «Cette campagne a pour but de convaincre les Québécois que l’État a atteint une taille démesurée, qu’il faut de toute urgence l’amincir et réduire l’accès aux services», souligne Charles Séguin, professeur au Département des sciences économiques et cosignataire de la lettre.

Selon le chercheur, le message porté par le dernier budget du ministre des Finances Carlos Leitão est pourtant fort différent. Il prévoit un déficit de 1,1 milliard pour l’année 2014-2015, déduction faite des versements au Fonds des générations, un chiffre semblable aux prévisions du gouvernement précédent, confirmées par le Vérificateur général avant l’élection.

«La situation économique n’est pas catastrophique, soutient Charles Séguin. Le gouvernement, qui prévoit même des surplus budgétaires en 2015, a tendance à dramatiser. Le déficit est modeste. Il représente seulement 0,3 % de notre PIB, soit environ le sixième du déficit ontarien. Il pourrait même être moins élevé que 1,1 milliard s’il faut en croire les chiffes rendus publics avant les Fêtes, des chiffres meilleurs que ce que le ministre anticipait.»

Le professeur qualifie l’approche gouvernementale proposée pour revenir à l’équilibre budgétaire de radicale et précipitée. Une approche qui crée un cercle vicieux puisque l’économie risque d’en sortir affaiblie et les générations futures, hypothéquées. «Avec des compressions de dépenses et des hausses d’impôt devant totaliser 3,5 milliards en 2015-2016, un ralentissement économique est inévitable et un risque de récession existe», affirme Charles Séguin. En outre, la situation de l’emploi, déjà précaire, risque de s’assombrir. «Sans compter les coûts humains qui en résulteront, nous pourrions assister à une aggravation de l’état des finances publiques, car une économie au ralenti entraînera automatiquement une baisse des revenus fiscaux.»

La stratégie politique libérale est claire, poursuit le chercheur. «Il s’agit d’accomplir le redressement budgétaire et de prendre des mesure impopulaires le plus rapidement possible, en début de mandat, en espérant que l’électorat aura la mémoire courte au moment de la prochaine campagne électorale.»

Perte d’expertise

Après les compressions dans les programmes sociaux, on voit poindre pour 2015-2016 des mesures qui toucheront les rémunérations et les emplois dans les secteurs public et parapublic.

Québec fait fausse route en gelant l’embauche dans les ministères et organismes publics et en diminuant ses effectifs, soutient Charles Séguin. «Cela pourrait entraîner une perte d’expertise au sein de l’État. On a vu les conséquences désastreuses de telles mesures dans le secteur des transports. La fonction publique est un peu la gardienne de la mémoire institutionnelle. Elle a pour tâche d’informer et de donner l’heure juste aux politiciens. De méchantes langues pourraient dire qu’une fonction publique affaiblie est plus docile, et donc moins encline à contester les décisions des ministres.»

Effets néfastes en éducation

Les signataires de la lettre affirment que le gouvernement fait également preuve d’une vision à court terme en faisant des compressions en éducation et en recherche, causant ainsi un tort important à la productivité et à la croissance économique.

Les conséquences économiques des compressions budgétaires dans l’éducation supérieure ne sont souvent observables qu’à moyen ou long terme. Dans les universités, par exemple, l’impact pourrait toucher davantage les futures cohortes. «Des établissements ont laissé entendre qu’ils pourraient réduire la taille de certains de leurs programmes, ce qui risque d’entraîner une baisse du nombre de diplômés, note le professeur. Or, on connaît l’impact positif d’un diplôme universitaire sur le revenu et sur la qualité de vie en général.» Par ailleurs, la réduction du nombre de chargés de cours envisagés par certains établissements aura nécessairement pour conséquence d’augmenter la tâche d’enseignement des professeurs, qui auront moins de temps à consacrer à la recherche.

Les politiques d’austérité contribuent-elles à accroître les inégalités sociales, comme certains le prétendent ? «Ces politiques ne sont pas les seules responsables de la croissance des inégalités, souligne Charles Séguin. Celles-ci étaient déjà en hausse avant la crise financière de 2007-2008. Cela dit, un des rôles de l’État consiste à redistribuer la richesse. Quand un gouvernement réduit démesurément sa taille, il affaiblit par le fait même sa capacité d’atténuer les inégalités de revenus.»

L’équilibre sur trois ans

À l’instar de ses collègues, le chercheur ne remet pas en question l’atteinte du déficit zéro ni la nécessité de réduire l’ampleur de la dette. «Les intérêts payés annuellement sur la dette coûtent cher, dit-il. Bien que leur poids dans l’économie soit deux fois plus faible aujourd’hui qu’il y a 20 ans, ces paiements nous rendent vulnérables à d’éventuelles hausses de taux d’intérêt et aux sautes d’humeur des agences de crédit. Même si elle n’est pas gigantesque, la dette demeure importante. L’atteinte de l’équilibre budgétaire pourrait être étalée sur trois années plutôt qu’une. Une solution susceptible d’être bien accueillie par les agences de crédit.»

Charles Séguin craint par ailleurs que Québec réforme l’État sans vision globale de société et que ses politiques soient incohérentes. «Toute réforme structurelle devrait se confronter au modèle social dont les Québécois veulent se doter, dit-il. Entre le statu quo et la cure minceur tous azimuts imposée à l’État, peut-être faut-il chercher une troisième voie, ce qui demande beaucoup d’imagination et de créativité.»