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Une pilule ou un psy?

Une étude lève le voile sur les préférences de traitement lors d’un diagnostic de dépression.

Par Pierre-Etienne Caza

3 février 2014 à 9 h 02

Mis à jour le 17 septembre 2014 à 19 h 09

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La littérature sur le traitement de la dépression laisse croire que les hommes détestent la psychothérapie. Mais est-ce réellement le cas? Des chercheurs montréalais, dont la professeure Janie Houle, du Département de psychologie, ont voulu fouiller la question en s’intéressant aux préférences de traitement lors d’un premier épisode de dépression. Les résultats de cette étude ont été publiés dans Journal of Affective Disorders.

Janie Houle et ses collègues ont interrogé 88 patients ayant reçu récemment, et pour la première fois de leur vie, un diagnostic de dépression. Ils ont voulu savoir quel était le traitement envisagé par ces patients. Sans surprise, leurs résultats démontrent que trois femmes sur quatre optent pour la psychothérapie plutôt que les antidépresseurs. Les chercheurs ont toutefois été étonnés de constater que presque un homme sur deux privilégiait aussi la psychothérapie. «C’est important que les médecins soient au courant de ces résultats, affirme Janie Houle. Ils ne doivent pas prendre pour acquis que les hommes ne veulent pas entendre parler de psychothérapie.»

La recherche a également mis en relief trois variables influençant le fait qu’une personne choisisse la psychothérapie plutôt que les antidépresseurs: être une femme, détenir un diplôme universitaire et avoir un historique familial de dépression. «La probabilité qu’une femme avec un diplôme universitaire et un historique familial de dépression opte pour la psychothérapie advenant un diagnostic de dépression est de 99 %», souligne Janie Houle. Pour les hommes, dans le même cas de figure, la probabilité est de 88 %, tandis qu’à l’autre bout du spectre, pour un homme sans diplôme universitaire et sans historique familial de dépression, la probabilité chute à 10 %. Chez les femmes, elle se maintient tout de même au-dessus de 50 %.

Les chercheurs ont aussi demandé aux patients les causes de leur dépression. «La seule représentation qui influence la préférence de traitement est le fait d’attribuer sa dépression à des causes sociales – difficultés relationnelles ou conflits interpersonnels, note Janie Houle. Les gens qui sont dans cette situation optent davantage pour la psychothérapie et c’est logique: l’antidépresseur ne peut pas leur offrir de meilleurs outils pour gérer leurs relations.» Il importe donc, ajoute-t-elle, que le médecin prenne le temps de discuter avec le patient pour s’enquérir des causes possibles de la dépression et adapter le traitement en conséquence.

L’importance de la décision partagée

«Trop souvent, les médecins ne passent que quelques minutes avec un patient avant de diagnostiquer une dépression et prescrire des antidépresseurs, sans avoir pris le temps de discuter des autres options», déplore Janie Houle.

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La professeure Janie Houle. Photo: Nathalie St-Pierre.

Les recherches ont pourtant démontré que pour une dépression légère à modérée, l’efficacité de la psychothérapie est comparable à celle des antidépresseurs. «Sauf que les médecins, de par leur formation, sont plus enclins à suggérer des antidépresseurs, précise la chercheuse. Or, moins de 40 % des patients prennent correctement leur médication.»

En 2009, la professeure avait publié avec des collègues un article intitulé «Partager la décision dans le traitement de la dépression» dans la revue Le Médecin du Québec. Cet article, qui s’adressait aux médecins de famille, mettait déjà en lumière l’importance de la discussion entre le médecin et son patient lorsque vient le temps de choisir un traitement pour un épisode dépressif.

«Lorsque la décision est partagée, cela favorise l’adhésion au traitement de la part du patient et donne de meilleurs résultats, c’est-à-dire que l’on observe une plus grande diminution des symptômes et un meilleur taux de rémission», explique-t-elle.

Un guide pour mieux choisir

Janie Houle participe à la préparation d’un guide d’aide à la décision destiné au grand public, exposant les avantages et les inconvénients de chacune des options dans le traitement de la dépression – antidépresseurs, psychothérapie, produits naturels ou inaction (oui, c’est aussi une option). «Ce sera une première au Québec, car ce genre d’outil n’existe pas en français», précise-t-elle. Le guide sera disponible sur Internet dès l’été prochain.

Par exemple, le patient qui choisit les antidépresseurs doit être informé des effets secondaires – constipation, diarrhée, vertiges, maux de tête, insomnie, nausées, somnolence, gain de poids et troubles sexuels – qui ne sont pas les mêmes selon le type d’antidépresseurs. «Il doit aussi savoir que les antidépresseurs prennent quelques semaines avant d’agir et que la première molécule prescrite ne sera peut-être pas la bonne. Il faudra peut-être en essayer plus d’une», souligne la professeure.

En ce qui concerne la psychothérapie, il importe que les patients soient informés des coûts – entre 80 et 100 dollars la séance – car il s’agit souvent du principal obstacle. «Il faut aussi que le patient s’implique pour trouver un psychologue et qu’il se déplace pour ses rendez-vous», précise Janie Houle. L’Ordre des psychologues du Québec offre un bottin de ses membres sur son site, et il est possible d’effectuer une recherche par localisation géographique. «Il faut aussi informer les patients que, à l’instar des antidépresseurs, le premier psychologue ne conviendra peut-être pas, conclut-elle. Il existe différentes orientations en psychothérapie et chaque psy a sa personnalité. Or, un des ingrédients essentiels de l’efficacité de la psychothérapie est l’alliance qui se créé entre le patient et le thérapeute. Il faut donc trouver le bon psy!»