Voir plus
Voir moins

Tabou universitaire

Martine Delvaux organise un colloque portant sur les rapports amoureux entre professeurs et étudiantes.

Par Pierre-Etienne Caza

6 novembre 2014 à 11 h 11

Mis à jour le 13 novembre 2014 à 8 h 11

Au printemps dernier, Martine Delvaux a donné une conférence coup-de-poing intitulée «Qui aime? Qui enseigne?» lors du Colloque Les femmes en sciences humaines: étudier, enseigner, travailler, militer, organisé par la Faculté des sciences humaines, l’Institut de recherches et d’études féministes, l’Association étudiante en études féministes et le Conseil de diplômés de la Faculté des sciences humaines. Elle y abordait de front la question des rapports amoureux entre professeurs et étudiantes. «C’est l’éléphant dans la pièce, affirme la professeure du Département d’études littéraires. Tout le monde sait que ça existe, la machine à rumeurs est infernale, mais personne n’agit. J’ai décidé de crever l’abcès.»

Elle a redonné cette conférence à l’invitation d’étudiantes de l’Université de Montréal, dans le cadre d’un colloque organisé par la revue Post-Scriptum, qui a publié le texte de son allocution sur son site – lequel est aussi disponible sur YouTube. Ce même texte a été publié en octobre dernier dans le Bulletin de liaison du syndicat des professeurs et professeures de l’UQAM, le SPUQ-INFO. «Depuis, je reçois des messages d’appui de la part de professeures et de professeurs, ainsi que des confidences d’étudiantes et d’étudiants qui ont vécu ce genre de situation», souligne Martine Delvaux.

Sexe, amour et pouvoir. Il était une fois à l’université…

La professeure organise, le 14 novembre prochain, le colloque «Sexe, amour et pouvoir. Il était une fois à l’université…» «Ce colloque ne prétend pas trancher le débat complexe et délicat des relations de pouvoir entre professeurs et étudiantes au sein des universités, précise Martine Delvaux. Il vise plutôt à en montrer les ambiguïtés et les points de fuite, tout en soulignant l’appel à une résistance solidaire que lance le mouvement féministe», explique-t-elle.

Créations et analyses culturelles du phénomène seront, entre autres, au menu de cet événement, dont la dernière séance sera dédiée à la présentation des travaux du Collectif des étudiantes contre le sexisme en études littéraires à l’UQAM.

Le colloque est ouvert au public (J-M400), mais il n’y a que des femmes parmi les participants. «Nous voulions d’abord leur donner la parole, explique Martine Delvaux. Bien sûr, il y aussi des étudiants impliqués dans des rapports amoureux avec des professeurs ou des professeures, mais j’ai choisi, en tant que féministe, de mener mon combat une étape à la fois. Le cas de figure professeur-étudiante est beaucoup plus répandu.»

Du harcèlement sexuel

«Lorsque j’étais étudiante, j’ai vécu une situation de flirt provoquée par un professeur, raconte Martine Delvaux. J’ai été capable d’y mettre fin et je n’ai pas été traumatisée. Mais je sais que plusieurs filles ont vécu des situations similaires qui, dans certains cas, sont allées beaucoup plus loin, et en sont sorties brisées. On ne peut pas prendre ça à la légère. Une étudiante à la maîtrise qui est l’objet d’harcèlement peut être amenée à changer d’université, voire même à interrompre ses études. Ce type de problème est susceptible d’empoisonner les relations entre collègues d’un département ou encore d’alimenter les rivalités entre les étudiantes.»

Martine Delvaux Photo: Patrick Harrop

Martine Delvaux dit vouloir interpeller la communauté universitaire à propos d’un phénomène d’harcèlement sexuel qui ne devrait pas être banalisé. «On accuse à tort les étudiantes d’être paranoïaques. Nous baignons dans une culture du viol, où les filles sont les premières à se sentir coupables quand elles sont harcelées sexuellement. C’est presque de l’ordre du rituel … et c’est terrible quand on y pense!»

Son objectif est uniquement de protéger les étudiantes, insiste la professeure. «Aux cycles supérieurs, par exemple, les étudiantes sont évaluées ou supervisées par un professeur qui agit comme un mentor, qui les embauche comme assistantes de recherche et avec lequel elles écrivent parfois des articles. Elles sont forcément vulnérables, car elles sont en situation transférentielle. Un cas de figure semblable à celui que l’on retrouve dans une relation avec un psychologue ou un médecin», soutient Martine Delvaux.

Un sujet délicat

Le sujet est délicat, reconnaît la chercheuse. Certains professeurs se sentent menacés et sont sur la défensive. «Il n’est pas question d’accuser les profs en bloc, nuance-t-elle. Et je ne veux pas non plus tomber dans le paternalisme avec les étudiantes en leur disant qu’elles ne savent pas ce qu’elles font.»

Elle déplore en revanche que le couple prof-étudiante qui “fonctionne” soit considéré comme la norme, alors que c’est l’exception. «La norme, c’est une vie bousillée ou une confiance ébranlée pour plusieurs jeunes filles», affirme Martine Delvaux.

La professeure tient à préciser que le phénomène n’est pas spécifique à l’UQAM, bien entendu. «J’ai décidé d’agir au sein de mon université parce que c’est mon lieu de travail», dit celle qui siège au Comité de révision de la Politique no 16 contre le harcèlement sexuel, en plus d’être membre du Collectif opposé au sexisme à l’UQAM. «Tout ce que je souhaite, dans un premier temps, c’est que l’on prenne conscience du problème et que l’on en parle», conclut-elle.