En mai dernier, une équipe de chercheurs de l’École de travail social s’est rendue à Fès, une ville du Maroc central de près d’un million d’habitants, pour établir des liens avec l’université Sidi Mohamed Ben Abdellah et le Département de psychiatrie du centre hospitalier universitaire de la cité. Ce séjour s’inscrivait dans le cadre d’un projet visant à développer des conditions propices aux pratiques professionnelles dans le champ de la santé mentale, à produire des connaissance sur les professions de la relation d’aide – psychiatres, psychologues, travailleurs sociaux, conseillers d’orientation, ergothérapeutes – et à expérimenter une méthodologie collaborative à l’international.
Les professeurs Marie-Chantal Doucet, Henri Dorvil, Suzanne Mongeau et Amnon Jacob Suissa, de l’École de travail social, de même que Jacques Rhéaume, professeur émérite au Département de communication sociale et publique, participent à ce projet.
Au Maroc, plus du quart de la population âgée de 15 ans et plus est touchée par la dépression, selon une enquête menée par le ministère de la Santé de ce pays. Pour affronter ce problème social majeur, le Maroc doit malheureusement composer avec des ressources insuffisantes, comme c’est le cas partout sur la planète. Selon l’Organisation mondiale de la santé, le pourcentage de personnes atteintes de troubles mentaux qui ne reçoivent aucun traitement se situe entre 76 % et 85 % dans les pays à revenu faibles et intermédiaires, tandis qu’il oscille entre 35 % et 50 % dans les pays à revenus élevés.
Psychiatres débordés
«Au Québec, nous avons plusieurs intervenants de première ligne en santé mentale – psychoéducateurs, psychologues, travailleurs sociaux et ergothérapeutes –, alors que les psychiatres interviennent uniquement en deuxième ligne, souligne Marie-Chantal Doucet, chercheuse principale dans ce projet. Au Maroc, toutefois, les psychiatres doivent assurer tous les aspects du traitement, y compris les interventions de proximité, les thérapies psychosociales et de psychoéducation.»
De nombreux obstacles nuisent à l’établissement de pratiques professionnelles optimales en santé mentale au Maroc: l’insuffisance des ressources humaines et financières – le pays compte seulement 350 psychiatres pour une population de 32 millions d’habitants –, des facteurs culturels et religieux, ainsi qu’une vision généralement négative de la maladie mentale au sein de la population.
«L’hospitalocentrisme est dominant au Maroc, note Marie-Chantal Doucet. Contrairement au Québec, les patients ne vont pas dans des CSSS mais rencontrent directement un psychiatre. Ces derniers doivent pallier le manque de professionnels dans le domaine de la santé en accomplissant le travail que feraient normalement des travailleurs sociaux ou des psychologues.»
Travail collaboratif
Ce projet de collaboration entre l’UQAM et le Maroc est original, car les chercheurs marocains établissent habituellement des liens avec des universités françaises plutôt que québécoises. «Les gens que nous avons rencontrés ont été séduits par notre approche axée sur la collaboration entre le milieu universitaire et les milieux de pratique, affirme la chercheuse. Notre visite a déjà eu des retombées positives, alors que des universitaires et des praticiens québécois et marocains ont l’intention d’écrire un article conjoint dans une revue scientifique.»
Ce partenariat est aussi susceptible de générer des retombées positives pour l’UQAM. «Des professeurs d’ici pourraient être amenés à donner des formations au Maroc, explique Marie-Chantal Doucet. Ce besoin est d’autant plus important que le ministère de la Santé dans ce pays a récemment adopté un plan d’action visant à renforcer la formation de base des professionnels en santé mentale.»
D’autres actions collaboratives sont prévues au cours des prochaines années. «Un symposium international sur les professions de la relation d’aide est prévu à Montréal, en mai 2015, et un institut d’été devrait se tenir à Fès, en 2016», observe la professeure.