
L’organisme Tel-jeunes constate depuis quelques années que certaines questions posées à ses intervenants sont préoccupantes. «Il y a des jeunes qui sont gênés de se donner la main ou de s’embrasser en public – cela ne change pas –, mais il y en a d’autres qui se demandent quels jouets sexuels utiliser pour se masturber ou qui posent des questions sur le sexe anal», souligne Marie-Soleil Carroll. Candidate à la maîtrise en sexologie, la jeune chercheuse s’est penchée sur les préoccupations liées à la sexualité dans le cadre des questions adressées à Tel-jeunes par des jeunes âgés de 11 à 14 ans. Elle vient de déposer son mémoire, sous la direction de la professeure Francine Duquet.
«L’environnement médiatique sexualisé et la pornographie ont un impact sur le développement social, émotif et relationnel des jeunes et cela se reflète dans leurs préoccupations», affirme Marie-Soleil Carroll, qui a analysé 1107 questions posées entre juin 2012 et mars 2013. «Cette période incluait des événements tels que la fin d’année scolaire, les vacances d’été, les congés de Noël, la Saint-Valentin et la semaine de relâche», précise-t-elle.
La chercheuse a eu accès aux questions publiées sur le site Internet de l’organisme, de même qu’à celles qui ne le sont pas (les jeunes qui communiquent avec Tel-jeunes décident s’ils souhaitent que leur question soit publiée ou non). «Évidemment, toutes les questions citées dans mon mémoire proviennent du lot de questions publiées sur le site», précise-t-elle.
Elle a évacué les questions sur d’autres sujets que la sexualité, comme la violence ou la famille, et a construit une grille d’analyse qui lui a permis de classer les questions en cinq catégories: la relation à l’autre, les conduites sexuelles, le rapport au corps, les références à l’univers pornographique et la notion de pression.
Des questionnements traversent les époques, souligne Marie-Soleil Carroll. «Les jeunes de cet âge vivent des changements physiques et se demandent s’ils sont normaux. Cela concorde avec ce que l’on voit dans des études similaires effectuées à travers le monde, lesquelles font ressortir les mêmes préoccupations par rapport au développement psychosexuel.»
Mais ce sont, et de loin, les questions en lien avec la relation à l’autre qui sont les plus nombreuses. Comment savoir que l’autre m’apprécie? Que dire au premier rendez-vous? Comment savoir que l’on est prêt pour une première relation sexuelle?
Les filles et le désir de plaire
Plus des trois quarts des questions provenaient de filles, surtout âgées entre 13 et 14 ans. «Chez les garçons, il n’y a pas de grande tendance, on retrouve toutes les préoccupations, mais chez les filles, il y a un évident désir de plaire et de performer», note Marie-Soleil Carroll.
Certaines jeunes filles posent des questions sur l’augmentation mammaire, sur la perte de poids, les régimes et le besoin d’être mince. «Cela accrédite les théories de l’objectivation qui stipulent que certaines jeunes filles façonnent leur identité en lien avec leur environnement et qu’elles en viennent à se projeter comme femme-objet, à l’instar des femmes qu’elles voient dans les publicités», explique la chercheuse.
Les questions se rapportant aux conduites sexuelles sont les plus préoccupantes. «Il y a des interrogations par rapport à l’éjaculation féminine et au sexe anal, note Marie-Soleil Carroll. On pose aussi des questions sur les relations sexuelles en groupe, sur l’utilisation de jouets sexuels et sur la pertinence de se filmer et de se mettre en scène.»
Même s’il y a peu de questions en rapport direct avec la pornographie – à peine 2,79 % du lot –, on peut en observer l’influence dans les questions sur les conduites sexuelles. «Les jeunes ressentent une pression afin de reproduire les comportements caractéristiques de l’univers pornographique», dit la chercheuse. Dans certains cas, cet univers devient envahissant: un jeune a demandé comment faire pour arrêter de visionner de la pornographie.
Cela dit, il ne faut pas oublier qu’il s’agit de jeunes qui ont contacté Tel-jeunes car ils voulaient des conseils. «Ils représentent peut-être une minorité et on ne peut pas généraliser leurs préoccupations à l’ensemble des jeunes de cet âge-là, note la chercheuse. Bref, il ne sert à rien d’être alarmiste, mais il ne faut pas minimiser non plus l’incidence des publicités et de la pornographie dans la vie des jeunes.»
Outiller les jeunes
Marie-Soleil Carroll aimerait travailler en milieu scolaire afin de faire la promotion de la santé sexuelle et de l’éducation à la sexualité auprès des adolescents et des jeunes adultes. «À la lumière des résultats de ma recherche, je crois qu’il y a encore du travail à faire pour outiller les jeunes afin qu’ils trouvent des réponses adéquates à leurs préoccupations, cela dit sans porter ombrage à Tel-jeunes, qui accomplit un boulot formidable.»
L’outil d’éducation à la sexualité Oser être soi-même, l’un des trois volets du projet «Outiller les jeunes face à l’hypersexualisation», dirigé par la professeure Francine Duquet, du Département de sexologie, et financé par le CRSH, fait partie des 18 finalistes du Prix Égalité 2014. «Il y a aussi des parents qui pourraient profiter de ce genre d’outil, conclut Marie-Soleil Carroll, car je ne suis pas convaincue qu’ils auraient tous été à l’aise de répondre à certaines questions posées à Tel-jeunes.»