Les médias sociaux ne rendent pas les relations amoureuses plus romantiques et non, il n’est pas plus facile de rencontrer quelqu’un malgré tous les sites et applications qui existent aujourd’hui pour magasiner le partenaire idéal. D’ailleurs, c’est encore en personne qu’on préfère faire ses avances, même si les messages textes ont supplanté le bon vieux téléphone et qu’une majorité d’Uqamiens consultent le profil Facebook d’un éventuel partenaire amoureux avant de se déclarer.
C’est ce qui ressort, entre autres, d’un sondage ludique et absolument non scientifique mené par Actualités UQAM (avec l’aide du Service de planification académique et de recherche institutionnelle) entre le 3 et le 9 février dernier. Plus de 400 personnes ont répondu au questionnaire, dont une majorité de femmes (68,2%) et de jeunes de 18 à 30 ans (69,4%).

Draguer sur le Web
Est-ce que le Web et les médias sociaux transforment en profondeur les rapports amoureux? Oui et non. «L’intérêt pour les bars, autrefois hauts lieux de la drague, a beaucoup diminué, observe Frederick Philippe, professeur au Département de psychologie. Les résultats indiquent que le Web et les médias sociaux ont même surpassé les bars comme lieux de rencontre, avec 13,4% contre 4,9% des préférences exprimées. Il y a 10 ans, on n’aurait pas vu cela.»
Sa collègue Marie-Aude Boislard-Pépin, professeure au Département de sexologie, se serait pour sa part attendue à ce que les médias sociaux jouent un rôle plus important. «Même chez les jeunes, le Web reste relativement marginal comme lieu de rencontres», note-t-elle. En fait, les répondants qui favorisent le Web et les médias sociaux se retrouvent en plus grande proportion chez les 31-50 ans (22,3%). Chez les jeunes de 18 à 30 ans, c’est moitié moins (11,2%), alors que 58,2% estiment avoir plus de chances de trouver un partenaire dans un party/chez des amis et 17,8% sur le campus. Comme on pouvait s’y attendre, ce sont les personnes âgées de 50 ans et plus qui croient le moins aux rencontres virtuelles (3,4%). Pour eux aussi, c’est dans un party/chez les amis (37,9%) ou encore sur le campus (27,6%) que Cupidon a le plus de chances de frapper.
Même si plusieurs répondants seraient prêts à essayer les sites de rencontres (32,6%) ou avouent l’avoir fait sans vouloir que cela ne se sache (11,3%), seulement 14,4% (12,7% des plus jeunes) trouvent que c’est génial et 41% (45,9% des plus jeunes) considèrent que c’est carrément nul. «Mais cela n’empêche pas qu’une majorité consulte le profil Facebook d’un partenaire éventuel», note la professeure du Département de sociologie Chiara Piazzesi. Malgré le scepticisme des répondants à l’égard des rencontres sur le Web, particulièrement apparent dans les commentaires, «on voit que les gens utilisent de plus en plus les médias sociaux pour développer leurs relations», dit Frederick Philipe.
Ambivalence sociale
D’un côté, on dénonce l’abondance d’informations et de détails que les personnes affichent sur leur profil ou leur fiche personnelle, regrettant la perte de mystère et de romantisme que cela engendre. De l’autre, on s’affiche de plus en plus et on aime pouvoir consulter le profil d’un partenaire éventuel. «Cette ambivalence est typique de l’apparition de nouvelles technologies, affirme Chiara Piazzesi. La technologie, qui change le cadre et les rites de l’interaction, est vue à la fois comme un obstacle et comme un outil facilitateur.»

Si certains répondants affirment que le Web et les médias sociaux contribuent à rendre les relations amoureuses plus romantiques en facilitant l’expression des petites attentions qui sont à la base de l’idée que l’on se fait du romantisme (envoyer un message ou mettre une mention «j’aime» sur le site de quelqu’un, par exemple), nombreux sont ceux qui trouvent, au contraire, que les gens ont tendance à s’enfermer dans leur bulle technologique, ce qui nuit aux relations. «Dans les soirées new-yorkaises, on invite maintenant les gens à laisser leur téléphone à l’entrée pour les empêcher de passer la soirée absorbés par leur appareil!», relate la sociologue.
D’autres répondants déplorent le type de rapport engendré par les sites de rencontres, qui s’apparente de plus en plus à un rapport de consommation. «Les sites et les applications offrent un bassin de partenaires potentiels tellement grand que l’on s’attend à ce que la personne recherchée soit entièrement satisfaisante pour soi, dit Chiara Piazzesi. Si ce n’est pas le cas, on passe au suivant ou à la suivante. Mais il est hautement improbable de trouver quelqu’un qui soit entièrement satisfaisant!»
Difficile de trouver l’âme sœur
Nos trois experts notent à quel point les répondants trouvent difficile de rencontrer quelqu’un ou, plus exactement, la bonne personne avec qui s’engager. «Les médias sociaux ne font pas disparaître la peur de s’engager ou de faire le bon choix», observe Frederick Philippe. «Même les jeunes, qui utilisent davantage les médias sociaux et pour qui il existe une multiplicité de contextes de socialistion, trouvent qu’il est difficile d’entrer dans une relation durable», ajoute Marie-Aude Boislard-Pépin. «Facile de trouver quelqu’un, mais difficile de trouver quelqu’un avec qui ça “clique”», lit-on dans de très nombreux commentaires.
Plusieurs répondants déplorent l’aspect trompeur de l’image que certains projettent sur le Web: «certaines personnes mentent sur elles-mêmes», disent-ils. D’autres dénoncent le caractère artificiel des rencontres virtuelles. «Je préfère rencontrer quelqu’un naturellement, à un moment où je ne m’y attends pas du tout. Je trouve cela plus romantique et spontané», écrit une personne. Une autre souligne le caractère «désincarné» des relations sur le Web, alors, dit-elle, que les sens jouent pour beaucoup dans l’attraction. «Ce qui m’attire est souvent quelque chose que je n’aurais pas imaginé, une surprise, une originalité, un mouvement, une attitude, un ton de voix… rarement ce que je pense à l’avance (ou décide) qui va m’attirer ou me plaire», écrit-elle.
Les médias sociaux, où tout se sait instantanément, ne font pas disparaître non plus la peur du rejet. «Au contraire, les médias sociaux peuvent favoriser l’expression d’une certaine violence. Ils favorisent aussi des phénomènes d’exclusion, souligne Chiara Piazzesi. On voit dans les commentaires que des personnes se sentent complètement exclues à cause de caractéristiques physiques ou de leur âge.»
Les jeunes sont quand même plus nombreux à trouver qu’il est facile de rencontrer quelqu’un (41,7% versus 33,3% chez les 31-50 ans et 20,7% chez les plus de 50 ans). Plusieurs personnes soulignent que les jeunes ont plus d’occasions de faire des rencontres. «Vive la vie étudiante!» écrit un répondant. Malgré tout, même ceux qui affirment qu’ils n’ont pas de problème à rencontrer quelqu’un sont nombreux à préciser dans leurs commentaires qu’il est beaucoup plus difficile d’établir une vraie relation avec quelqu’un qui nous plaît vraiment.
Qu’est-ce qui fait, justement, qu’on se considère en couple? Majoritairement, à tous les âges, c’est le fait de se l’être dit. Et c’est encore plus vrai pour les jeunes, note Marie-Aude Boislard-Pépin. «Alors que les personnes de 50 ans et plus sont plus nombreuses à considérer qu’on forme un couple à partir du moment où on est sorti ensemble ou qu’on a fait l’amour quelques fois, massivement, les jeunes disent qu’il faut qu’il y ait une discussion: on ne prend pas pour acquis qu’on est en couple tant qu’on n’en a pas parlé!»
La personnalité plutôt que l’apparence
La majorité des répondants des deux genres et de tous les âges ont dit être d’abord attirés par la personnalité d’un partenaire éventuel plutôt que par son apparence. «Contrairement à ce que l’on entend dans le discours populaire, seulement le quart des hommes ont choisi l’apparence comme élément qui les attire le plus lors d’une rencontre. J’étais contente de voir cela», dit Marie-Aude Boislard-Pépin, qui a par ailleurs été étonnée de constater que les femmes étaient plus nombreuses que les hommes à trouver que l’humour rend plus sexy.

Le sondage révèle tout de même des différences entre les sexes. «Comme on le voit dans d’autres enquêtes et comme le prédisent les théories évolutionnistes ainsi que les influences socioculturelles, les hommes accordent plus d’importance à l’apparence et ils sont plus nombreux à rechercher des aventures ou des relations d’un soir que les femmes», observe Frederick Philippe.
Également, plus d’hommes (94,9%) que de femmes (86,6%) pensent qu’il est acceptable de faire l’amour même sans amour, dans n’importe quelle relation où les partenaires sont consentants. Mais la différence, ici, est à peine de quelques points. «Cela montre que nous sommes définitivement sortis d’un contexte de sexualité prémaritale versus postmaritale comme on le voyait dans la littérature d’autrefois, où la sexualité prémaritale était considérée “déviante”», souligne la sexologue Marie-Aude Boislard Pépin. Fait surprenant, toutefois, les plus jeunes hommes sont légèrement plus nombreux que les plus vieux à penser qu’on doit se réserver pour les relations stables! Chez les femmes, 14,4% des 18-30 ans sont de cet avis.
Comme l’ont fait remarquer certains répondants dans leurs commentaires, le sondage comportait un biais hétérocentriste: des questions destinées à mesurer l’évolution de certains comportements des hommes et des femmes ne reflétaient pas la réalité des jeunes (et moins jeunes) qui recherchent autre chose que des relations hétérosexuelles. «Il est évident que cela colore à la fois les résultats obtenus et les analyses qu’on peut en faire», souligne Chiara Piazzesi.
Si la majorité des personnes qui ont répondu au sondage (78,6%) disent que les premiers pas, dans une rencontre amoureuse, sont autant l’affaire des femmes que celle des hommes (toute une évolution…), il y en a quand même 20,3% qui continuent de penser que c’est aux hommes de prendre l’initiative. Et ce sont les jeunes femmes de 18 à 30 ans qui sont, de loin, les plus nombreuses à partager cette opinion (29,7%)! «Ce n’est pas si étonnant, affirme Chiara Piazzesi. Quand on débute notre vie sentimentale, on fait souvent un petit retour à des idéaux et des stéréotypes traditionnels.»
On retrouve la même persistance des stéréotypes dans les réponses à la question sur qui doit payer lors d’une première sortie en couple. Presque tout le monde s’entend pour dire qu’on doit diviser l’addition ou que c’est la personne qui a proposé la sortie qui doit sortir son portefeuille, «ce qui est sans doute lié au contexte québécois où la masculinité est en redéfinition», remarque Marie-Aude Boislard-Pépin. Mais parmi ceux qui ne sont pas de cet avis, on dit que c’est l’homme qui doit payer. Et ce sont non pas les femmes, mais les hommes, notamment les plus jeunes et les plus vieux, qui sont les plus nombreux à partager cette opinion!