
Née en Éthiopie de parents rwandais et étudiante à la maîtrise en science politique, Sandra Gasana a présenté une communication au colloque Femmes, rapports de sexe et génocide des Tutsi, qui s’est tenu à l’UQAM le 4 avril dernier. Organisé par le Réseau québécois en études féministes, cet événement visait à commémorer le 20e anniversaire du génocide commis au Rwanda, une tragédie qui, en trois mois, a causé la mort de 800 000 personnes, en majorité des Tutsis, et qui continue de hanter les mémoires de milliers de veuves, d’orphelins et d’autres rescapés.
L’étudiante s’intéresse à l’impact de lois progressistes sur les veuves qui ont survécu au génocide. Pour les fins de son mémoire, elle doit bientôt se rendre au Rwanda afin d’y poursuivre ses recherches de terrain et réaliser des entrevues avec une vingtaine de femmes, en collaboration avec une association qui défend les intérêts des veuves. «Avant le génocide, les femmes ne pouvaient pas être propriétaires d’une terre ou d’une maison, souligne Sandra Gasana. En 1999 et en 2005, le parlement rwandais, dont 64 % des membres sont des femmes [N.D.L.R: grâce, en partie, à un système de quotas], a adopté une loi sur la famille et la succession et une autre sur la propriété foncière. Je veux comprendre comment ces lois se sont traduites dans la réalité, dans quelle mesure elles ont permis aux veuves, qui comptent parmi les femmes les plus vulnérables, d’acquérir davantage d’autonomie dans leur vie.»
Les femmes occupent une place de plus en plus importante au Rwanda, non seulement dans la vie politique mais aussi dans la société civile. «Des centaines de milliers d’hommes ont été tués pendant le génocide, de nombreux autres ont été emprisonnés ou ont fui le pays. Le Front patriotique rwandais (FPR), qui a pris le pouvoir au lendemain du génocide, devait miser sur les femmes pour reconstruire le pays», explique la candidate à la maîtrise.
Une réconciliation fragile
«Les tensions entre la majorité hutu et la minorité tutsi existaient bien avant le génocide, rappelle Sandra Gasana. Les colonisateurs belges avaient instrumentalisé les différences sociales entre les deux groupes. Ils avaient aussi instauré le système des cartes d’identité qui a servi à définir les appartenances ethniques lors du génocide.» Dans le nouveau Rwanda, il n’y a officiellement plus de Tutsis ni de Hutus, seulement des Rwandais. Mais les tensions entre les deux groupes ne sont pas disparues.
Dans un pays qui compte 27 700 veuves, 74 000 orphelins et 12 000 personnes handicapées, la réconciliation demeure fragile. «Des tribunaux communautaires ont été mis sur pied en 2005 et d’anciens génocidaires, libérés de prison, sont retournés vivre dans leur village où ils cohabitent avec les proches de leurs victimes», raconte l’étudiante.
Préserver la mémoire
Ce n’est pas d’hier que la jeune femme s’intéresse au sort de personnes qui ont vécu des expériences particulièrement difficiles. De 2007 à 2012, elle a participé au projet Histoires de vie Montréal, lequel visait à recueillir 500 récits de vie auprès de personnes qui s’étaient établies dans la métropole après avoir fui des violences de masse commises dans leur pays: génocides au Rwanda et au Cambodge, violence politique en Haïti, en Amérique latine et en Asie méridionale.
«Je coordonnais les entrevues pour le groupe de travail Rwanda, dit Sandra Gasana. À la fin du projet, un ouvrage a été publié et une grande exposition s’est tenue au Centre d’histoire de Montréal. Le projet a permis de produire un matériel historique et culturel en vue de préserver la mémoire de crimes contre l’humanité et de tirer des leçons du passé.»
Les histoires de vie sont hébergées sur le site du Centre d’histoire orale et de récits numérisés de l’Université Concordia.