
Le gouvernement du Parti québécois a dévoilé, le 27 février dernier, la première politique nationale de lutte contre l’itinérance. Bien accueillie par les acteurs du milieu, la politique intitulée «Ensemble, pour éviter la rue et en sortir» identifie cinq axes d’intervention prioritaires, dont le logement, la réinsertion sociale et la cohabitation. Un plan d’action comportant une série de mesures concrètes doit suivre au cours des prochains mois.
«Une politique nationale sur l’itinérance, soutenue par l’État, constitue un levier de changement important, affirme Michel Parazelli, professeur à l’École de travail social. Cela met la table pour des échanges publics afin de mieux comprendre la nature complexe du phénomène et de tracer des perspectives d’action. Il est important de réaffirmer que les itinérants ont des droits, comme les autres citoyens.»

La politique prévoit notamment la construction de 500 logements sociaux, dont près de la moitié à Montréal. «C’est un pas dans la bonne direction, affirme le chercheur. On avait déjà le programme fédéral Chez soi visant à permettre aux personnes itinérantes d’avoir accès au marché locatif privé. En privilégiant le logement social, Québec reconnaît l’importance de la solidarité collective. C’est l’un des aspects les plus rafraîchissants de la politique.»
Quelques bémols
Les services de santé et les services sociaux constituent un autre axe d’action prioritaire. Dans son dernier budget, le gouvernement a annoncé qu’il consacrerait 6 millions de dollars pour renforcer les services de proximité pour les personnes itinérantes, notamment en santé mentale et physique. «C’est un enjeu important, dit Michel Parazelli. On verra comment les services seront conçus et orientés.»
La politique parle de facteurs individuels de risque, de vulnérabilité, de prévention et de protection, mais aborde peu les conditions sociopolitiques et économiques qui alimentent l’itinérance, soutient le professeur. «Il ne faut pas donner prise à une vision pathologique de la marginalité sociale ni réduire l’itinérance à une mauvaise trajectoire personnelle.»
En matière de cohabitation sociale, Michel Parazelli est d’accord avec la politique qui insiste sur l’importance de combattre les préjugés, de sensibiliser la population et de favoriser la déjudiciarisation ainsi que la présence d’intervenants sociaux dans les équipes d’intervention policière. Le professeur connaît bien ce dossier puisqu’il a dirigé une recherche intitulée «Les enjeux du partage de l’espace public avec les personnes itinérantes et sa gestion à Montréal et à Québec», dont les résultats ont été rendus publics en décembre dernier.
«Dans un contexte de revitalisation des centres-villes à des fins touristiques – Quartier des spectacles à Montréal et nouveau quartier Saint-Roch à Québec –, on vise à faire de ces endroits des milieux accueillants, sécuritaires, qui permettent de se classer dans le palmarès des destinations internationales, note Michel Parazelli. Pas étonnant si on laisse de moins en moins d’espace aux itinérants. On a vu des citoyens et des commerçants, par exemple, exercer des pressions pour “nettoyer” les centres-villes.» Les attitudes envers les itinérants vont de l’expulsion pure et simple jusqu’à la négociation des normes d’occupation de l’espace public, en passant par les mesures de dispersion et de dilution pour atténuer leur visibilité. «Les conflits d’appropriation de l’espace public ne se résoudront pas si on oppose la visibilité des sans-abri aux activités commerciales et à la qualité de vie des quartiers.»
Le chercheur dit craindre l’uniformisation des modes d’intervention. Il se questionne d’ailleurs sur le titre de la politique qui parle d’éviter la rue et d’en sortir. «Il ne s’agit pas d’idéaliser la rue ni d’en faire la promotion. Cela dit, on doit considérer que certaines personnes itinérantes, les jeunes de la rue en particulier, conçoivent et utilisent l’espace public – parcs, rues, – comme un espace de vie et de liberté, comme un chez soi, même si c’est pour une période temporaire.»
Michel Parazelli croit que l’on doit passer d’un discours paternaliste de prise en charge à un discours de prise en compte des personnes itinérantes. «C’est ce qui manque le plus dans la politique, affirme-t-il. Si on perçoit les itinérants comme des citoyens, alors il faut les inviter à prendre la parole, favoriser leur participation dans la définition des problèmes et des actions.»
Il y aurait environ 30 000 sans-abri à Montréal et une trentaine de maisons d’hébergement. Entre 30 % et 50 % des itinérants auraient des problèmes de santé mentale. Plus de 100 organismes communautaires offrent des services aux sans-abri.