Votre œil gauche n’est pas aligné avec le droit. Vous n’êtes pas handicapé à proprement parler, mais vous avez dû apprendre à vous débrouiller sans distinguer la troisième dimension. Cela se traduit peut-être dans votre quotidien par une incapacité à passer un examen de conduite ou simplement à plus d’orteils meurtris sur le coin des meubles. Un jour, vous en avez assez et subissez une opération pour corriger votre strabisme. Enfin, vos deux yeux regardent précisément la même chose au même moment, mais vous ne voyez toujours pas la troisième dimension: pour lutter contre le strabisme, votre cerveau a depuis longtemps appris à ignorer les images transmises par un œil. On appelle cette condition l’amblyopie ou, plus communément, l’œil paresseux.
«L’amblyopie est définie comme une diminution importante de l’acuité visuelle dans un œil en l’absence de pathologie oculaire, explique Dave Saint-Amour, professeur au Département de psychologie et directeur du Centre de recherche en neurosciences de l’UQAM. Elle se produit souvent quand les deux yeux ne voient pas la même chose. La stratégie du cerveau consiste alors à supprimer l’image qui vient de l’œil amblyope, le plus dévié ou le plus faible. » On estime que près de 3 % de la population est affectée par cette condition qui, pour l’instant, n’est traitable que chez de jeunes enfants.
Dans son laboratoire, Dave Saint-Amour cherche à mieux comprendre le phénomène de suppression oculaire vécu par les personnes atteintes d’amblyopie. Grâce à des lunettes dichoptiques capables de projeter une image différente dans chaque œil, il induit artificiellement une suppression visuelle tant chez des sujets sains que chez des amblyopes. L’idée est de jouer avec les paramètres de base des images, comme le contraste ou la luminosité, pour cerner les mécanismes à l’origine de cette suppression oculaire.
Tout au long de l’expérience, les ondes cérébrales du sujet sont enregistrées à l’aide d’un électroencéphalogramme (EEG). Dave Saint-Amour espère ainsi trouver la région du cerveau responsable de ce phénomène. «Grâce aux informations obtenues avec l’EEG, il est possible de déterminer les processus responsables de la suppression oculaire et éventuellement de les modifier avec différentes techniques, dont la stimulation électrique transcranienne», note-t-il.
Une nouvelle technique
La stimulation électrique transcranienne est un nouvel axe de recherche exploré par le professeur. Cette technique consiste à stimuler directement les neurones avec un courant très faible – l’équivalent du courant produit par une batterie de neuf volts – afin de favoriser ou d’inhiber l’activité cérébrale dans des régions choisies du cerveau. «Il y a une dizaine d’années, cette approche a connu un engouement en neurosciences cognitives après que l’on ait démontré qu’elle permettait d’améliorer certaines fonctions, comme le calcul mathématique, par exemple», mentionne Dave-Saint Amour.
Grâce à cette technique, le professeur espère être en mesure d’augmenter ou de diminuer la suppression visuelle induite chez ses sujets. Pour l’instant, la stimulation électrique transcranienne n’est utilisée qu’à des fins de recherche fondamentale, mais Dave Saint-Amour croit qu’elle pourrait avoir des applications pratiques. «On sait que la plasticité cérébrale – la capacité du cerveau de s’adapter à différents changements – est très grande pendant l’enfance et est plus limitée chez les adultes, rappelle-t-il. Ce type d’approche nous laisse croire qu’il serait peut-être possible d’augmenter la plasticité cérébrale chez les adultes afin, peut-être, d’arriver à des traitements plus efficaces de l’amblyopie.»