Hillary Clinton était à Montréal le 18 mars dernier, dans le cadre d’une conférence présentée au Palais des congrès à l’invitation de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain. «Il y a une aura autour d’elle. C’est l’une des personnes les plus influentes du monde», affirme Frédérick Gagnon. Le professeur au Département de science politique, qui est aussi directeur de l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques, ne voulait pas manquer l’événement, «une chance unique de voir celle qui sera peut-être la première femme présidente des États-Unis».
Lors de cette conférence, l’ancienne première Dame (1992-2000), sénatrice de l’État de New York (2001-2009) et secrétaire d’État (2009-2013) a surtout parlé de la place des femmes dans le monde, avant de répondre à quelques questions. On lui a bien sûr demandé si elle se présentera à titre de candidate démocrate à l’élection présidentielle de 2016. «Je suis encore en période de réflexion», a affirmé Hillary Clinton.
Il est encore tôt pour spéculer, met en garde le directeur de l’Observatoire sur les États-Unis. «Rappelons-nous: avant la convention nationale démocrate de 2004, peu de gens connaissaient Barack Obama. Même au début des primaires démocrates de 2008, plusieurs donnaient Hillary Clinton gagnante. On connaît la suite.»
Il n’y a pas de règles quant au moment où les candidats doivent se déclarer pour la course à l’investiture de leur parti, mais, depuis quelques années, cela survient de plus en plus tôt, remarque Frédérick Gagnon. «Chaque élection coûte de plus en plus cher et on veut amorcer les campagnes de financement le plus rapidement possible. Les candidats se déclarent donc aux alentours du scrutin de mi-mandat, qui aura lieu en novembre prochain.»
En avance dans les sondages
Chose certaine, Hillary Clinton partirait avec une longueur d’avance, non seulement lors des primaires démocrates, mais aussi à l’élection présidentielle. Tous les sondages la donnent gagnante face à d’éventuels adversaires républicains comme Mike Huckabee, Rand Paul ou Chris Christie. «Elle a un dossier parfait et elle connaît tous les enjeux, note le chercheur. Elle n’a pas de squelettes dans le placard, puisque ça fait longtemps qu’elle est une figure nationale. L’affaire Benghazi – l’attaque sur le consulat américain en Libye, en septembre 2012, qui a fait quatre morts dont l’ambassadeur américain – est la seule chose qui pourrait revenir l’ennuyer, car elle était secrétaire d’État à ce moment-là, mais je doute que cela lui pose réellement un problème.»
Plusieurs experts affirment que la seule chance de battre Hilllary Clinton, pour le Parti républicain, serait de miser sur un jeune candidat. Car si elle était élue en 2016, Hillary Clinton deviendrait la deuxième personne la plus âgée à accéder à la présidence – elle aurait fêté son 69e anniversaire quelques semaines auparavant (Ronald Reagan a été élu en 1980 alors qu’il avait presque 70 ans).
L’âge, en politique, est souvent le mot utilisé pour ne pas parler ouvertement d’état de santé. Or, Hillary Clinton a éprouvé quelques ennuis de santé l’an dernier (une thrombose entre le cerveau et la boîte crânienne, selon les informations officielles). Elle a également affirmé qu’elle avait quitté son poste de secrétaire d’État «épuisée» par le rythme effréné qu’elle s’était imposé pendant quatre ans à la tête de la diplomatie américaine. «Une course à la présidence est éprouvante pour la santé, note Frédérick Gagnon. Il est probable qu’Hillary Clinton jauge actuellement si elle a le souffle nécessaire pour se lancer dans l’aventure.»
Une nouvelle image?
«Les Américains sont peut-être prêts à élire une femme à la présidence, mais pour que cela se produise, il faudra que cette femme se conduise comme un homme», auraient suggéré à Hillary Clinton ses proches conseillers lors de la campagne démocrate de 2008. «On lui avait suggéré de projeter l’image d’une femme froide, rationnelle, qui ne se laisse pas submerger par les émotions, raconte Frédérick Gagnon. L’institution présidentielle américaine est associée à un caractère masculin. Le président est le commandant en chef des forces armées. Il doit être capable de prendre des décisions difficiles pour protéger la sécurité nationale, etc.»
Certains se rappelleront peut-être de la publicité du camp Clinton, intitulée 3 AM, durant laquelle on voyait des enfants dormir avec la narration masculine suivante: Il est trois heures du matin et vos enfants sont endormis paisiblement. Mais il y a un téléphone qui sonne à la Maison-Blanche car il se passe quelque chose dans le monde. Votre vote décidera qui répondra à cet appel. Ce pourrait être quelqu’un qui connaît déjà les leaders de ce monde et les forces armées. Quelqu’un qui a de l’expérience et qui est prêt à gouverner dans ce monde dangereux. Il est trois heures du matin et vos enfants sont endormis paisiblement. Qui souhaitez-vous pour répondre à cet appel? «Cette publicité a été raillée et cela s’est retourné contre Hillary Clinton, affirme Frédérick Gagnon. Cela ne plaisait pas à l’électorat féminin et féministe, qui l’ont accusé de jouer le jeu des hommes et de projeter l’image d’une femme qui se laisse dicter une ligne de conduite par des conseillers masculins.»
Durant cette même campagne, lors d’une rencontre avec des électeurs, Hillary Clinton, épuisée, avait versé une larme en réponse à une personne qui lui demandait comment se déroulait sa campagne. «Les commentateurs conservateurs s’étaient moqué en affirmant que c’était la femme en elle qui ressortait, que l’émotion allait prendre le dessus à certains moments si elle devenait présidente», rappelle Frédérick Gagnon.
Quatre ans plus tard, il semble qu’Hillary Clinton ait revampé son image. Sur son profil Twitter, elle se décrit avec humour comme épouse, maman, avocate, défenseur des femmes et des enfants, première dame de l’Arkansas, première Dame des États-Unis, sénatrice, secrétaire d’État, auteure, propriétaire de chien, icône capillaire, aficionado de tailleurs-pantalons, et briseuse de plafonds de verre. Elle termine sa description par TBD, acronyme de «to be determined» (à déterminer), laissant ainsi planer le suspense sur ses intentions.
Une femme à la présidence ?
Les Américains sont-ils prêts à élire une femme à la tête de leur pays? Les chercheurs n’ont pas d’outil pour mesurer les raisons qui pousseraient les gens à voter ou à ne pas voter pour Hillary Clinton parce que c’est une femme. «Entre ce que les gens disent aux sondeurs et leur vote dans l’isoloir, il y a souvent un écart, note Frédérick Gagnon. Et plusieurs personnes pourraient ne pas vouloir l’appuyer pour d’autres raisons: parce que c’est une Clinton et que l’on ne veut pas que Bill revienne à la Maison-Blanche par la porte d’en arrière, parce qu’elle n’aurait jamais dû pardonner à son mari après l’affaire Lewinsky, parce qu’elle est démocrate, parce qu’elle est vue comme une politicienne du nord-est des États-Unis qui n’incarne pas les valeurs du sud, etc. Cela dit, je pense que les Américains sont prêts à élire une femme.»
S’il fallait qu’Hillary Clinton devienne la 45e présidente des États-Unis, cela cimenterait à coup sûr la dynastie Clinton dans l’imaginaire américain. «Leur fille Chelsea, dit-on, pourrait elle aussi se lancer en politique un de ces jours, souligne le chercheur. Mais voyons d’abord l’élection de 2016, pour laquelle rien n’est joué.»